• Aucun résultat trouvé

Approche sociologique de la pers´ev´eration

2.5 R´esolution du conflit

3.2.1 Approche sociologique de la pers´ev´eration

Lors du proc`es destin´e `a juger la responsabilit´e de l’´equipage du vol AA- 1420 qui a ´ecras´e l’appareil sur la piste de Little Rock en juin 99 apr`es avoir pers´ev´er´e trois fois autour du terrain malgr´e des conditions effroyable (orages violents centr´es sur la piste, pluie diluvienne, vents de c ˆot´e sup´erieur `a 20 noeuds, cisaillement de vent) et en d´epit d’une capacit´e en carburant qui per- mettait de se d´erouter sur un a´eroport s ˆur, une enquˆete a ´et´e command´ee au M.I.T. pour d´eterminer si le comportement de ces pilotes correspondaient `a une tendance g´en´eralis´ee en aviation. Cette ´etude [Rhoda et Pawlak, 1999] qui porte sur 2000 approches en condition d’orage montre des r´esultats pour le moins inqui´etant : deux tiers des ´equipages pers´ev`erent dans un atterrissage en d´epit des r`egles de s´ecurit´e et ce comportement est corr´el´e avec trois va- riables :

– s’ils suivent un autre avion ; – si c’est la nuit ;

– si leur vol a ´et´e r´etard´e d’au moins un quart d’heure.

Par ailleurs, une ´etude en aviation g´en´erale men´ee par le Bureau Enquˆetes- Accident [BEA, 2000] appel´ee “objectif : destination” s’est int´eress´ee `a un type d’accident o `u les ´equipages ont manifest´e une forte volont´e d’arriver `a desti- nation alors que les conditions m´et´eorologiques ou l’´etat de l’appareil ne leur permettait pas. Les sp´ecialistes qualifient ce genre de comportement de “fasci- nation pour l’objectif” : dans chacun des accidents analys´es, les pilotes ´etaient absolument d´ecid´es `a se rendre `a des rendez-vous professionnels ou person- nels pr´evus de longue date. Cette ´etude porte sur la p´eriode 1991-1996 (c.f. tableau 3.2.1) durant laquelle 60 accidents r´epondant aux crit`eres pr´ec´edents ont ´et´e d´enombr´es.

Si l’on rapporte ces valeurs aux ´ev´enements a´eriens qui se sont produits en aviation g´en´erale pour la mˆeme p´eriode (c.f. tableau3.2.1), les accidents ana- lys´es repr´esentent 4,5 % du total des accidents en moyenne, mais occasionnent 41,5 % du total des d´ec´es !

Une autre point du rapport mentionne que plus l’incident (panne, d´egradation de la m´et´eo...) se passe `a proximit´e de l’a´erodrome d’arriv´ee, plus il est difficile pour les pilotes de renoncer `a atteindre la destination, c’est-`a-dire qu’ils vont pers´everer encore plus intens´ement pour s’y rendre en

3.2. Th´eorie de la pers´ev´eration 65 TAB. 3.1: “Objectif : destination. 1991-1996”, Source : BEA

1991 1992 1993 1994 1995 1996

accidents 11 12 11 9 11 6

accidents mortels 5 9 9 7 5 5

morts 18 26 21 11 10 14

bless´es 2 1 3 0 2 0

TAB. 3.2: Pourcentage de victimes caus´ees par la fascination pour l’objectif

1991-1996 Total Objectif-destination Pourcentage

accidents 1325 60 4,5 %

morts 240 100 41,5 %

d´epit de la r´eglementation a´erienne.

La litt´erature a´eronautique militaire et civile d´ecrit ´egalement des cas symptomatiques de pers´everation chez des ´equipages constitu´es d’un pilote chevronn´e et d’un copilote novice. Dans ces situations, on retrouve le mˆeme m´ecanisme : le pilote exp´eriment´e commet une erreur grave qu’il s’entˆete `a ne pas reconnaˆıtre afin de ne pas perdre la face ; de son c ˆot´e le copilote, soucieux de ne pas critiquer un chef prestigieux, n’ose pas non plus la relever. Cet ´etat de statu quo, s’il n’y a pas l’intervention d’un tiers (le contr ˆoleur a´erien) se termine g´en´eralement par la perte de l’appareil et parfois de l’´equipage. L’´etude des accidents a´eriens militaires pour les ann´ees 1993 et 1994 [Grau, 1994;Grau, 1995] montrent que sur 12 accidents imput´es au facteur humain, 3 accidents sont directement li´es `a ce type de situation.

Le dernier type de pers´ev´eration `a caract`ere sociologique trouve sa source dans la volont´e d’un individu ou d’un groupe d’individus de “bien faire” ou d”’ˆetre bien vu” vis-`a-vis d’un autre groupe. L’accident militaire suivant est caract´eristique de ce genre de situation :

Dans un contexte de guerre, un pilote d’avion d’arme se pr´epare `a faire un atterris- sage qu’il tient particuli`erement `a r´eussir : 15 jours auparavant il a ´et´e sanctionn´e pour avoir abˆım´e sa machine alors qu’il se posait. Le d´esir de bien faire vis-`a-vis des autres pilotes de la coalition l’am`ene `a se surcharger inutilement en utilisant par exemple ses modes automatiques d’accrochage radar pour surveiller son espacement avec les autres

66 Chapitre 3. Pers´ev´eration appareils dans le circuit. Parall`element il re¸coit des ordres ambigus du contrˆole qu’il a du mal `a interpr´eter. La situation est telle que le pilote aurait d ˆu annuler son atterris- sage, mais obnubil´e, le pilote d´ecide de continuer son approche et se pose train rentr´e. Une action r´eflexe lui permet toutefois de remettre les gaz en minimisant les d´egˆats sur son appareil.

L’ensemble des trois cat´egories d´ecrites (fascination pour l’objectif, jeu de hi´erarchie, volont´e de bien faire) rel`eve des th´eories de l’engagement social et de la soumission [Festinger, 1957 ; Beauvois et Joule, 1999]. Ces auteurs ont montr´e exp´erimentalement l’“escalade d’engagement”, ph´enom`ene qui tra- duit la tendance que manifestent les individus `a s’accrocher `a leur premi`ere d´ecision mˆeme lorsqu’elle est clairement remise en cause par les faits. Chacun des cas ´etudi´es ci-dessus montre que les pilotes ou ´equipages se sont sentis engag´es vis-`a-vis d’eux-mˆemes ou d’une tierce personne :

– dans le premier cas, les pilotes ont pers´ev´er´e pour atteindre la destina- tion finale afin de pouvoir se rendre `a un rendez-vous pr´evu depuis long- temps ou pour amener `a destination les passagers et respecter les int´erˆets de leur compagnie. Les r´esultats du BEA sur la tendance des pilotes `a pers´everer `a proximit´e de leur destination finale sont coh´erents avec les analyses de Beauvois et Joules [Beauvois et Joule, 1999] qui postulent que plus le co ˆut (dur´ee, argent, effort physique ou psychologique) de l’enga- gement est fort, plus il est difficile de renoncer `a un objectif que l’on s’est fix´e ;

– dans le deuxi`eme cas, le pilote exp´eriment´e engage sa responsabilit´e et sa renomm´ee dans les d´ecisions pour la conduite de l’avion ; d´ecisions qui ne peuvent ˆetre que bonnes aux yeux du copilote puisqu’elles sont prises par quelqu’un qu’il admire ;

– dans le dernier cas, le pilote a engag´e ses qualit´es professionnelles pour prouver `a sa hi´erarchie ou `a ses coll`egues qu’il est `a la hauteur de sa tˆache.