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Aspects psychologiques du conflit

entre leurs buts [Luhmann, 1987; Castelfranchi, 2000], un conflit impli- cite ne repr´esente qu’un conflit potentiel ;

– les agents sont faces `a un choix. Le devoir de d´ecider m`ene au conflit, `a condition que la d´ecision finale conduise `a une perte pour les agents : par exemple devoir choisir entre prendre une douche ou un bain pour se laver, n’est pas un conflit en soit (les options sont ´equivalentes), alors que devoir choisir entre prendre le train ou l’avion peut ˆetre conflictuel (le train est moins cher, mais on perd du temps ; l’avion est plus rapide, mais on perd de l’argent).

2.4

Aspects psychologiques du conflit

Le conflit ne se r´eduit pas seulement `a son aspect structurel ou formel, il poss`ede ´egalement des attributs psychologiques, affectifs [Touzard, 1977] : “ on peut dire que les aspects structurels contribuent `a d´efinir la situation conflictuelle tan- dis que les aspects affectifs sont, en g´en´eral, consid´er´es comme des cons´equences de la situation de conflit. ” Pourtant, comme le montrent les travaux suivants, struc- ture et comportements psychologiques influent sur la dynamique du conflit : si l’on d´efinit le conflit par une relation antagoniste par rapport `a un mˆeme but ou par la poursuite interd´ependante de buts contradictoires, alors celui- ci entraˆıne des attitudes comportementales (agressivit´e, st´er´eotypes n´egatifs, dissonance...) qui `a leur tour agissent sur sa structure en le perp´etuant et en le modifiant [Touzard, 1977].

2.4.1

Le mod`ele de Lewin

Kurt Lewin propose une d´efinition structurelle et dynamique des conflits `a travers une perspective de champs psychologiques attracteurs et r´epulsifs [Lewin et al., 1939]. Il d´egage trois types fondamentaux de conflits :

– le premier type correspond `a la situation ou un agent se trouve `a mi- chemin entre deux champs de valences positives de force sensiblement ´egale. Un exemple est celui de l’ˆane de Buridan qui, affam´e, h´esite entre deux bottes de foin ;

– le second type se produit lorsqu’un agent se trouve entre deux valences n´egatives de force ´egale. Ce type de conflit se raffine en trois cas pos- sibles :

– l’agent se trouve pris entre des valences n´egatives mais n’est pas contraint de rester dans le champ de force (ex : un employ´e doit choisir entre plusieurs travaux d´egradants au sein de son entreprise, mais rien ne l’empˆeche de d´emissionner),

56 Chapitre 2. Conflit – l’agent se trouve pris entre des valences n´egatives mais ne peut s’ex- traire du champ (ex : un prisonnier doit choisir entre plusieurs puni- tions),

– l’agent se trouve pris dans une r´egion n´egative, et doit, pour en sortir passer par une autre r´egion de valence n´egative (ex : un accus´e, pour obtenir la cl´emence du juge, doit d´enoncer ses complices) ;

– le troisi`eme type de conflit s’observe lorsqu’un agent subit des forces oppos´ees qui exercent sur lui des valences n´egatives et positives. Il en existe deux cas :

– l’agent est plong´e dans une situation ambivalente (ex : accepter un tra- vail int´eressant, mais qui en contrepartie r´eclame une charge de travail tr`es importante),

– l’agent est entour´e par une r´egion n´egative ou r´egion barri`ere et est attir´e vers un but qui se trouve au del`a de cette limite (ex : un jeune homme doit passer par un rite d’initiation cruel pour devenir adulte).

2.4.2

La dissonance cognitive

La notion de conflit a ´et´e ´etudi´ee par Festinger [Festinger, 1957] dans sa th´eorie de la dissonance cognitive : un individu se trouve dans un ´etat de dissonance cognitive lorsqu’il est dans des situations non coh´erentes, comme par exemple r´eagir contrairement `a son point de vue (paradigme de la sou- mission forc´ee : tenir des propos racistes au sein d’un groupe, en n’´etant pas x´enophobe), ou encore ˆetre dans une situation contraire `a ses attentes (at- tente non confirm´ee : acheter une maison tr`es ch`ere et se rendre compte qu’elle pr´esente de nombreux d´efauts).

L’exp´erience de Festinger pour mettre en ´evidence la dissonance consiste `a faire r´ealiser `a des sujets une tˆache qui est `a la fois p´enible et d´enu´ee de sens : placer des bobines sur des chevilles, les tourner d’un quart de tour, les en- lever puis recommencer `a plusieurs reprises. Par la suite, l’exp´erimentateur demande `a chaque sujet de l’aider `a recruter d’autres personnes pour son exp´erience : les sujets sont donc mis en contact avec d’autres individus (en fait des complices de l’exp´erimentateur) et doivent les convaincre que l’exp´erience `a laquelle ils ont particip´e est tr`es int´eressante. Certains sujets sont pay´es un dollar pour raconter que la tˆache est passionante, d’autres rec¸oivent une attri- bution de vingt dollars.

Les r´esultats de cette exp´erience semblent a priori ˆetre pour le moins contre- intuitifs : les sujets les moins bien pay´es se montrent beaucoup plus convain- cants pour motiver les futurs participants, notamment en expliquant que la tˆache `a r´ealiser est b´en´efique et int´eressante, alors que ceux ayant rec¸us les

2.4. Aspects psychologiques du conflit 57 vingt dollars argumentent peu en insistant essentiellement sur le gain finan- cier que peut apporter l’accomplissement de la tˆache.

L’hypoth`ese de Festinger pour expliquer ces comportements est que la dis- sonance produit chez le sujet une tension qui l’incite au changement. Plus la dissonance est forte, plus la situation est psychologiquement inconfortable, et plus la pression pour r´eduire la dissonance se fait ressentir. Une dissonance peut ˆetre r´eduite : en supprimant ou en r´eduisant l’importance des connais- sances dissonantes, en ajoutant ou en augmentant l’importance des connais- sances consonantes.

Ainsi dans l’exp´erience, les sujets pay´es vingt dollars ne sont pas en disso- nance, la somme perc¸ue fournit une explication coh´erente pour justifier leur comportement ; en revanche, les sujets pay´es un dollar sont dans une situation dissonante, la seule fac¸on pour justifier leur comportement et de changer leur attitude vis-`a-vis de la tˆache en la consid´erant sous un aspect positif (“ ce n’est pas si long que ¸ca, c’est pour aider la science, ce n’est pas si inint´eressant que cela... “). Cette hypoth`ese rejoint la th´eorie de l’´equilibre d’Heider [Heider, 1958] qui consid`ere qu’un individu cherche `a ˆetre coh´erent (´etat d’harmonie) dans l’inter- action avec son environnement. Cette coh´erence porte sur trois plans [Vignaux, 1991] :

– celui de la coh´erence comportementale, c’est-`a-dire la correspondance entre la r´eaction d’autres individus et le comportement que l’on attend d’eux ;

– celui de notre coh´erence interne, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons ;

– celui des correspondances ´etablies entre nos appartenances, attitudes, croyances et opinions.

2.4.3

Exp´erience de Sherif [Sherif et Sherif, 1953]

Sherif [Sherif et Sherif, 1953] a men´e des exp´erimentations pour ´etablir le lien entre les aspects structurels et affectifs du conflit. Le principe de ses exp´eriences est le suivant :

– des jeunes enfants qui ne se connaissent pas, mais de mˆeme milieu so- cial, sont rassembl´es pour participer `a un camp de vacances. Aussit ˆot des amiti´es apparaissent, bas´ees sur des affinit´es communes ;

– deux groupes sont constitu´es en veillant `a s´eparer les amiti´es pr´ec´edemment form´ees. Ces groupes sont ensuite isol´es les uns des autres ;

– des tournois sont organis´es (ex : jeu du fanion). Les comportements suivant sont observ´es :

58 Chapitre 2. Conflit – les activit´es comp´etitives solidarisent la structure de chaque groupe et font croˆıtre l’hostilit´e intergroupe : injures, bagarres, exp´editions puni- tives (le fanion de l’adversaire est br ˆul´e) ...

– les membres d’un groupe, notamment les leaders, s’ils ne sont pas assez vindicatifs, sont ´evinc´es ;

– les anciens amis sont agressifs entre eux.

De mani`ere `a r´eduire le conflit, Sherif propose une premi`ere phase d’activit´es communes : manger dans le mˆeme r´efectoire, s´eances de cin´ema... En d´epit de leur caract`ere neutre, elles sont l’occasion de poursuivre l’agression inter- groupes, certains sujets refusant mˆeme de se rendre au cin´ema si des indivi- dus de l’autre groupe y sont pr´esents. Une deuxi`eme phase consiste `a r´ealiser des tˆaches qui n´ecessitent la participation active des deux groupes : r´eparer le camion qui apporte la nourriture, collecter de l’argent pour voir un film, chercher de l’eau pour approvisionner le camp... Ces activit´es en revanche permettent d’att´enuer progressivement les tensions intergroupes, la solidarit´e finit par triompher et les anciennes amiti´es se reforment.