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Chapitre 3 : Approche empirique

3.5 Mesurer le degré de contrainte réglementaire des décisions

Dans la littérature sur la gouvernance réglementaire, plusieurs auteurs suggèrent qu’une bonne manière de mesurer l’influence des groupes d’intérêt qui participent aux consultations est de vérifier dans quelle mesure leur participation modifie le degré de contrainte réglementaire, que ce soit en mesurant l’implication du gouvernement (Nelson et Yackee 2012 ; Yackee et Yackee 2006) ou les coûts de conformité de l’industrie (Woods 2015). La contrainte réglementaire représente en effet une conséquence tangible pour les représentants de la société civile. Les décisions du BAPE recèlent un degré plus ou moins grand de contrainte réglementaire, que j’opérationnalise à l’aide de deux indicateurs. Le premier est la recommandation ou non du projet par les commissaires. Chaque rapport d’enquête est précédé d’une lettre à l’intention du ou de la ministre de l’environnement en place. On y décrit sommairement les travaux de la commission et l’avis général du BAPE concernant le projet est formulé clairement. La figure 3.5 montre un exemple de lettre du BAPE dans laquelle le président de la commission conclut qu’un projet de train proposé par l’Agence métropolitaine de transport n’est pas adéquat.

Figure 3.5 Exemple de lettre du BAPE au ministre de l’environnement

La plupart des projets (67/108=62 %) sont cependant acceptés. Un deuxième indicateur, plus fin, mesure ainsi le degré d’ajustement demandé au projet par les commissaires du BAPE. Dans chaque rapport, les commissaires émettent en effet une série d’avis explicites. Ces avis sont des balises jugées nécessaires pour que le projet

suscite l’adhésion du public, rencontre les exigences de la science et soit conforme aux seize principes de la Loi sur le développement durable.

Figure 3.6 Exemple d’avis du BAPE

Comme l’illustre la figure 3.6, un exemple typique d’avis donné par les commissaires du BAPE lors de l’évaluation d’un projet de parc éolien (BAPE 2010), chaque avis du BAPE est aisément reconnaissable dans le texte du rapport. La figure 3.7 montre la distribution du nombre d’avis consignés dans les rapports d’enquête du BAPE. Là encore, la distribution est positive et asymétrique. La moyenne d’avis est de 24.6 par commission. Les valeurs extrêmes (100, 134 avis) correspondent aux deux commissions d’enquête du BAPE sur la filière des gaz de schiste, des consultations exceptionnelles, qui se caractérisent par une mobilisation (Dufour, Bherer, et Allison 2015) et une couverture médiatique (É. Montpetit et Harvey 2018) exceptionnellement élevées.

Figure 3.7 Distribution du nombre d’avis du BAPE pour les 108 commissions d’enquête

Un des avantages d’analyser les consultations du BAPE est que nous pouvons directement les relier à celles du gouvernement. Le rôle du BAPE s’inscrit en effet dans le processus plus large d’évaluation environnementale provinciale. Malgré que l’organisme jouisse d’une certaine indépendance et dispose des pouvoirs alloués aux commissions d’enquête, il fait partie du pouvoir exécutif de la province.

Les décisions du gouvernement peuvent donc elles aussi s’opérationnaliser à l’aide de deux indicateurs. Le premier indicateur est l’autorisation ou non du projet :

0 2 6 4 % 0 50 100 150

l’environnement, puis possiblement d’un décret gouvernemental consigné dans la Gazette du Québec. Si un gouvernement finit par rejeter un projet, aucun décret n’est émis. Dans chaque décret, on retrouve les conditions nécessaires à l’autorisation du projet. Ces conditions correspondent au deuxième indicateur. À l’instar des avis émis par les commissaires du BAPE dans leur rapport, elles capturent le degré de contrainte réglementaire associé à un projet. On peut facilement relier chaque projet évalué par le BAPE à son décret à partir d’un lien sur le site du BAPE qui nous redirige sur le site du ministère de l’environnement3. La figure 3.8 est un exemple typique de condition émise

dans un décret, tandis que la figure 3.9 montre la distribution du nombre de conditions consignées dans les décrets gouvernementaux.

Figure 3.9 Distribution du nombre de conditions dans les décrets gouvernementaux pour les 108 commissions d’enquête

Notons que cette thèse ne se penche pas directement sur l’influence du BAPE sur le gouvernement. Dans les prochains chapitres, je me concentre uniquement sur l’influence des groupes d’intérêt sur les décisions des commissaires du BAPE. Nous savons cependant que les décisions du BAPE, qui statue sur des projets dont la valeur oscille autour de plusieurs centaines de millions de dollars, ne sont pas d’ordre esthétique. J’ai en effet déjà montré que le degré de contrainte réglementaire des décisions du BAPE était fortement corrélé avec le degré de contrainte réglementaire du décret gouvernemental (Tremblay-Faulkner 2019). En tenant compte de plusieurs facteurs explicatifs potentiels, chaque avis du BAPE dans son rapport génère en

0 2 4 8 6 10 % 0 5 10 15 20

moyenne 0.12 condition dans le décret gouvernemental concomitant. Si le gouvernement accepte un projet même si le BAPE en recommande le refus, le décret qu’il émet inclut néanmoins près de 3.84 conditions supplémentaires. Par ailleurs, un refus d’un projet du BAPE augmente les chances d’un refus de ce projet par le gouvernement de 310 %. Sur les 108 commissions d’enquête analysées, les 19 projets refusés par le gouvernement ont tous été rejetés préalablement par le BAPE. Je reviendrai sur ces résultats dans la conclusion de la thèse.

3.6 De la crédibilité à l’influence d’un groupe d’intérêt : un