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Chapitre 2 – État des connaissances

2.5 La mesure de la morbidité

Comme nous l’avons bien situé, « le besoin » est le déclencheur nécessaire à toute utilisation. Le « besoin » est un écart entre l’état actuel et un état optimal ou jugé désirable (Pineault et Daveluy 1995). Last définit la morbidité comme étant « Tout écart, subjectif ou objectif, par rapport à un état de bien-être physiologique ou psychologique » (Last 2004, p.155). En effet, l’état de santé peut aussi être décrit à partir des différents codages de la morbidité tel que suggéré par Pineault et Daveluy (1995). Nous allons ici approfondir la définition et l’opérationnalisation du concept de morbidité qui sera utilisé tout au long de cet ouvrage. La morbidité objectivée est celle identifiée à l’occasion d’examens systématiques (Jammal et al. 1988) réalisés en contexte professionnel. On dit qu’elle est celle dont il est possible de donner des preuves. La morbidité perçue est la représentation profane de la maladie. Elle correspond à la définition donnée par l’individu à partir de sa perception de symptômes ou de malaises (Pineault et Daveluy 1995). La morbidité perçue peut être comprise à partir des quatre aspects

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suggérés par Davidoff, (Davidoff 1996) : la détresse (ce qui fait que le patient ne se sent pas bien), l’incapacité (l’interférence avec la fonction normale), la gravité (une menace à la vie) et l’urgence (un danger imminent, un besoin immédiat).

Leduc nous rappelle qu’il ne faut pas considérer comme équivalent le besoin de santé et le besoin de soins perçu par l’individu (Leduc 1992). Le besoin de santé ressenti peut, à son tour, faire naître un besoin de soins (Nutt 1984) qui est l’expression de ce qui est perçu à faire pour combler l’écart entre l’état de santé actuel et l’état de bien-être jugé optimal. Le besoin de soins est donc une étape intermédiaire dans le processus d’utilisation qui se produira sous certaines conditions, notamment la « capacité de recourir », favorables au transfert de la perception du besoin de santé vers l’identification d’un désir de soins et de services, la formulation d’une demande et la recherche de soins (Lévesque 2005).

2.5.1 Morbidité perçue et objectivée : duo patient-professionnel

Concepts complémentaires et interreliés, la morbidité perçue et la morbidité objectivée découlent des concepts de comportements client et de comportements fournisseur de Donabedian présentés plus haut ainsi que des rôles respectifs joués par la structure de référence, ce que Freidson (Freidson 1984) appelait le « système de référence profane » et le « système de référence professionnel ». Donabedian souligne qu’un succès de planification dans le domaine de la santé dépend du degré de convergence entre ces deux perspectives du besoin (Donabedian 1973). Lorsque la représentation de la maladie du profane correspond à celle du professionnel (Freidson 1984), c’est-à-dire que la maladie est considérée comme importante et qu’elle exige une attention professionnelle, il est clair que la plupart des cas de morbidité viendront à la connaissance de la profession médicale, lui donnant une idée assez précise de la variation des signes et symptômes et une image relativement exacte de sa fréquence. Toutefois, si les profanes ne reconnaissent pas eux-mêmes l’existence d’une maladie, si les signes et symptômes sont considérés comme triviaux et sans importance, la conception professionnelle en sera limitée. De plus, la pratique médicale peut éprouver des difficultés à gérer les incertitudes face à une condition de santé méconnue du professionnel et à rechercher d’emblée l’avis d’experts. Ce genre de circonstances peut conduire à une forme de sur-déclaration de maladie et de sur-référence (références inappropriées). Au point qui marque

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l’entrée en consultation, les conceptions profanes de la maladie ne sont plus seules : elles entrent en contact direct et explicite avec celles des professionnels.

En bref : L’appréciation globale du besoin résulte d’un mélange de l’expérience de maladie de l’individu et de l’évaluation de la maladie par le professionnel, et l’importance relative de ces dernières dans la recherche de soins et l’utilisation des services va varier d’une maladie à l’autre, d’une clientèle à l’autre et d’un contexte sanitaire à l’autre.

2.5.2 Morbidité perçue : duo jeune-parent

Relativement à la décision de recourir aux services de santé, les adolescents constituent une clientèle particulière puisque, sans être des agents parfaitement autonomes, ils se caractérisent par une recherche d’autonomie, de contrôle de soi, et d’indépendance face aux parents, qui se manifeste d’ailleurs dans toutes les sphères de leur vie (Erikson 1968).

Les adolescents, et les adolescentes en particulier, chercheraient à redéfinir leurs relations avec leurs parents à mesure qu’ils/qu’elles prennent de la maturité cognitivement, psychologiquement et socialement (Gilligan 1987). L’adolescent dispose ainsi d’une capacité de désaccord cognitif tout en maintenant l’attachement émotif (Gilligan 1987). Selon Piaget et Indelher, la pensée orientée vers le futur, soit la capacité à manipuler des construits, à évaluer des probabilités et des hypothèses commence à se développer dès l’âge de 11 ans (Piaget et Indelher 1958). Cela n’implique toutefois pas que l’adolescent, dans toutes les situations, aura recours de façon efficace à des mécanismes de prise de décision rationnels (Walruff et al. 2000). Notamment, la familiarité avec le contexte de décision, dit Piaget, va favoriser cette performance. De ce point de vue, la confrontation avec une nouvelle situation médicale peut donc suggérer une variabilité dans la réponse des adolescents que l’on peut tenter de comprendre en considérant leur âge, leur rapport passé avec le milieu médical, leurs attitudes face à la santé et celles de leurs parents, ainsi que la qualité de la relation avec les parents (Brown 1988, Klein et al. 1997). Selon ces caractéristiques, certains adolescents nécessitent donc plus d’assistance de la famille et des dispensateurs de soins pour adhérer aux soins de santé dont ils ont besoin (Walruff et al. 2000). Comme dans bien d’autres aspects de la

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vie des adolescents, l’histoire familiale, la culture, les valeurs et les patrons de communication avec leur entourage s’unissent pour influencer leurs connaissances, leurs perceptions de besoin de santé et leurs décisions. Parvenir à un consensus sur la perception de la morbidité entre le jeune, son parent et aussi le professionnel est un facteur clé pour diminuer la sous-utilisation des services (Lindsey et al. 2010; Owens et al. 2002), planifier la prise en charge, et assurer sa coopération de même que sa satisfaction (Dogan et al. 2010, Spalj et al. 2010, Dauden et al. 2011).

En bref : Une particularité de la clientèle adolescente en regard de l’utilisation des services est sa quête d’autonomie, laquelle peut impliquer une variabilité dans la réponse face à une nouvelle situation médicale et conduire à un désaccord cognitif en matière de santé avec le parent.