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Mesure de coupes de la fonction de Wigner de l’état |10ê + |01ê

II.3 Résultats

II.3.3 Mesure de coupes de la fonction de Wigner de l’état |10ê + |01ê

La mesure de la fonction de Wigner s’est avérée difficile à réaliser. En effet, comme on l’a déjà dit, le contraste est assez réduit entre le signal attendu pour l’état |10ê + |01ê et celui pour |10ê − |01ê. Nous avons effectué des mesures de deux types de coupes de la fonction de Wigner : la première consiste à effectuer des injections de même amplitude dans les deux cavités et de balayer cette amplitude. La deuxième consiste à varier la phase de mesure en laissant évoluer l’état. Cette seconde mesure est peu concluante à cause de la limitation du contraste. On va présenter brièvement les résultats obtenus et les limitations qui rendent cette mesure difficile.

Balayage en amplitude

La première mesure consiste à effectuer un balayage de la puissance des sources micro-onde, en utilisant les méthodes présentées dans la sectionI.5.4pour calibrer les amplitudes de manière à avoir |α1| = |α2| ≡ r. On s’attend alors à obtenir un signal proche de ceux de la figureII.6. En fonction de la phase relative des injections et de la phase de l’état, on peut avoir n’importe quelle courbe intermédiaire entre celle de |10ê + |01ê et |10ê − |01ê. L’avantage de cette méthode est que, quelle que soit la phase de l’état noon, la fonction de Wigner vaut 0 pour une injection nulle et tend vers 1/2 pour des grandes injections. On s’attend donc à avoir un signal contrasté.

Pour réaliser la mesure, on envoie d’abord un atome injecteur, dans un échantillon contenant en moyenne µ = 0, 32 atome. On attend 1350 µs après l’instant d’excitation de cet atome, pour qu’il soit détecté, avant d’effectuer simultanément deux injections de 746 µs. La durée de ces injections est choisie de sorte qu’elle soit égale à 1/δ, afin que l’injection d’une cavité ait une densité spectrale de puissance nulle à la fréquence de l’autre cavité. On envoie ensuite, 2200 µs après l’atome injecteur, 10 échantillons d’atomes QND, séparés de 100 µs, contenant en moyenne 0,18 atomes. La mesure est répétée 140 × 100 fois. La figureII.14montre les signaux obtenus lorsqu’on détecte un atome injecteur dans l’état |gê, et lorsqu’aucun atome injecteur n’est détecté. Le second de ces deux signaux est la fonction de Wigner de l’état vide des deux cavités, avec une légère pollution due aux atomes injecteurs non détectés. On en tire l’ajustement en bleu. Cet ajustement nous permet d’effectuer une calibration de l’amplitude d’injection dans les deux cavités. En utilisant cette calibration, on peut effectuer un ajustement de notre signal par la fonction de Wigner d’un état noon avec des paramètres d’injection réels identiques1 :

W|10ê+e|01ê(r, r) = 3 8r2cos2 φ 2 − 1 4 e−4r2, (II.3.6)

en prenant pour seuls paramètres libres la probabilité d’avoir 0 photon et la phase de l’état

noon. Celui-ci fournit la valeur p1 = 0, 77 ± 0, 02 pour la probabilité d’avoir 1 photon, qui

1. On suppose ici que les injections sont en phase et on ajuste par rapport à la phase de l’état. Ceci revient à effectuer une rotation des paramètres complexes de la fonction de Wigner.

est à prendre avec précaution, puisque le modèle n’inclue pas la possibilité que les poids de |10ê et |01ê soient différents. Il fournit par ailleurs la valeur de la phase φ = 2.02 ± 0.2 rad. La courbe obtenue est proche des données expérimentales, cependant, elle présente plusieurs limitations pour l’étude de l’état noon. En effet, elle est proche de la courbe, verte, pouvant correspondre aux états |10ê + e±iφ|01ê et |1ê é1| + |0ê é0|. On ne peut donc pas conclure à la présence de cohérences entre |10ê et |01ê. On voit qu’il est nécessaire de connaître la différence entre la phase de l’état et les phases de la mesure pour pouvoir prouver la présence de cohérences. Afin de l’obtenir, on peut faire varier la phase de l’état.

Balayage de la phase

Les phases complexes des paramètres de la fonction de Wigner correspondent aux phases des sources utilisées pour réaliser les injections. La référence de phase à choisir pour ces phase dépend en général du protocole de préparation de l’état. Par exemple, lors de la préparation d’un état chat de Schrödinger |αê + |−αê à partir d’un état cohérent, la référence de phase est donnée par la source qui a servi à préparer l’état cohérent [29]. Les états que nous avons mesurés dans ce travail sont préparés sans injection dans les cavités. Par ailleurs, ils sont préparés par un atome dans l’état |eê, qui n’a pas de phase quantique. Il n’y a donc pas de référence de phase pour notre état. La phase globale des impulsions utilisées pour les déplacements n’importe pas, ce qui se traduit par les propriétés de symétrie des fonctions de Wigner des états noon.

Cependant, la phase relative entre le déplacement dans C1 et celui dans C2 importe. On a vu dans la sectionI.5.4 qu’on la contrôle à l’aide d’un battement entre les signaux des deux sources. On veut balayer la phase relative φS = arg α2− arg α1 des deux in-jections. D’après l’équation I.1.33, l’évolution temporelle de l’état revient à changer la phase des injections micro-onde. Plutôt que de changer φS, il est plus simple de changer la phase relative φc de l’état entre les deux cavités. Dans ce but, on balaye l’instant t0 de préparation de l’état en gardant fixe l’instant d’injection. Cette méthode est schématisée sur la figureII.15.

Le déroulé de la séquence est donc le suivant. À l’instant t = 0, le signal de battement atteint 0 par valeurs ascendantes. Le signal de S2 est alors en quadrature et en retard de phase avec celui de S1. La phase relative des deux injections évolue donc comme :

φS= −π2 + δt. (II.3.7)

À l’instant t0, l’atome injecteur prépare l’état, avec une phase ψp. La phase de l’état évolue ensuite à δ selon :

φc= ψp+ δ(t − t0). (II.3.8) La différence entre ces deux phases, qui est la seul phase à jouer un rôle dans la fonction de Wigner, à cause de la symétrie des états noon, vaut donc au moment de la mesure :

∆φ = φc− φS = ψp+π

2 − δt0. (II.3.9) Cette phase ne dépend pas de l’instant d’injection tmes. Ceci est du au fait que les sources sont accordées sur les cavités. φc et φS croissent donc toutes les deux linéairement avec un taux δ. En revanche, si l’instant de préparation t0 varie, cette phase est modifiée. On

Fig. II.14 Coupes de fonctions de Wigner obtenues en balayant l’am-plitude r = α1= α2. Les triangles correspondent aux événements où on n’a détecté aucun atome injecteur. Le champ est alors dans l’état vide. On a utilisé ces points pour calibrer l’amplitude d’injection : α(P ) =

ñ

1/2000 · 10a(P −P0) avec a = 0.609 ± 0.012 et P0 = −2.7 ± 0.1 dBm, et où P est la puissance de la source S1. La courbe bleue est un ajustement de ces points par la fonction P = π0+ (CF/2)W|00ê(r, r), avec les paramètres

π0 = 0.487 ± 0.002 et CF = 0.335 ± 0.006. Les cercles représentent les don-nées obtenues lorsqu’on détecte l’injecteur dans |gê, c’est-à-dire la fonction de Wigner de l’état 1001. La courbe jaune est un ajustement sur ces données avec la fonction P = π0+ (CF/2)è(1 − p1)W|0,0ê(r, r) + p1W|10ê+eiφ

|01ê(r, r)é, où

p1 = 0.77 ± 0.02, φ = 2.02 ± 0.2 rad et les paramètres π0et CF sont ceux obtenus par l’ajustement sur l’état vide.

Fig. II.15 Schéma de principe du choix de la phase de mesure. À l’instant t = 0, le signal de battement des sources, en vert, permet de lancer la séquence pour une phase relative des injections donnée. L’atome injecteur est envoyé à un instant

t0 variable. La phase initiale de l’état préparé est toujours la même et sa phase

φc évolue à la même pulsation que la phase relative des deux injections. Si on prépare l’atome injecteur à un instant différent, la phase φc(tmes) au moment de l’injection est modifiée, ce qui est équivalent à modifier la phase de mesure

φS(tmes).

s’attend donc à voir une oscillation à δ. Le contraste attendu pour celle-ci est cependant très faible. Le contraste maximal obtenu pour une mesure idéale sur un état |10ê + |01ê vaut e−1= 0.37. À cause du mélange de l’état avec l’état vide, ce contraste est réduit à 0.28. En prenant en compte le contraste de Ramsey CF = 0.34, on s’attend à un contraste

CW = 0.092.

La figure II.16 montre les résultats obtenus. Les points de mesure sont en noirs. La courbe bleue est un ajustement dans lequel la phase est le seul paramètre libre. La fré-quence de l’oscillation est mesurée par des mesures de fréfré-quence des cavités. Le contraste et la valeur moyenne de l’oscillation sont ceux obtenus par ajustement sur la courbe de ba-layage de l’amplitude. Le signal semble présenter une oscillation avec les paramètres atten-dus, à l’exception de la phase. Le point rouge montre la valeur déterminée par l’ajustement de la courbe de balayage en amplitude, qui correspond à la valeur ti = 28 µs. Pour cette valeur de ti, la phase estimée avec le balayage en amplitude est φ(a)= 2.02 ± 0.25 rad, tandis que celle estimée pour le balayage en phase vaut φ(p)= 0.03 ± 0.13 rad. Ces deux valeurs sont en désaccord. Dans les séquences utilisées, il s’écoule 7200 µs2 entre l’instant où on fixe la phase et celui où l’injection commence. La différence de phase précédente pourrait donc s’expliquer par une variation 44 Hz de la fréquence relative des deux injec-tions. Un tel écart est compatible avec les dérives observées à l’échelle de séquences de mesure longues de quelques heures.

En conclusion, on observe l’oscillation attendue mais le contraste est très faible et la

2. Ce délai est en grande partie dû au temps nécessaire pour envoyer les atomes serpillières avant d’envoyer l’atome injecteur.

Fig. II.16 Oscillation obtenue en balayant la phase φ de l’état |10ê+e|01ê lors de la mesure de la fonction de Wigner. On s’est placé à l’amplitude d’injection

r = 1/2 pour avoir un contraste maximum. La courbe bleue est un ajustement

par la fonction P = π0+ (CF/2) cos (δti+ φ0), où φ0 = 2.38 ± 0.13 rad est le seul paramètre libre. δ = 2π · 13.4 kHz est obtenu en mesurant les fréquences des cavités et les autres paramètres sont ceux obtenus par l’ajustement sur le balayage en amplitude. Le point rouge est la valeur estimée pour ti = 28 µs avec l’ajustement du balayage en amplitude.

valeur obtenue pour la phase ne semble pas reproductible d’une mesure à l’autre. Cette méthode est de plus particulièrement lourde à mettre en place puisqu’elle nécessite de calibrer les amplitudes d’injection et de verrouiller les phases.

Conclusion du chapitre II : des méthodes de mesures complémentaires

Dans ce chapitre, nous avons montré que nous sommes capables de préparer un état délocalisé d’un photon présent dans deux cavités à la fois. Nous avons mis en évidence de deux manières différentes les cohérences quantiques de cet état. La première d’entre elles consiste à réaliser une mesure interférométrique en envoyant un atome sonde, dont la probabilité d’absober dépend de la phase des cohérences entre les deux membres de la superposition quantique. Cette méthode présente un contraste maximal dans le cas idéal et permet donc de discriminer très efficacement les états |10ê + e|01ê de phases différentes. Elle nous a permis de mettre en évidence les cohérence quantiques jusqu’à

20 ms après la préparation de l’état. Elle ne permet cependant pas de reconstruire l’état entièrement. Une autre approche consiste à effectuer des mesures de la fonction de Wigner à deux modes de l’état. Celle-ci permet en principe de reconstruire totalement l’état, si on la mesure en suffisamment de points différents. Elle présente aussi des oscillations en fonction de la phase quantique de l’état. Cependant, ces oscillations ont un contraste faible, y compris dans le cas idéal. La fonction de Wigner n’est donc pas un outil adapté pour mesurer les cohérences quantiques des états noon. Nous verrons dans le chapitreIV comment on peut combiner ces deux mesures pour effectuer une tomographie de l’état délocalisé.

Principes de la tomographie d’états

quantiques

Dans le chapitre II, nous avons montré des expériences de préparation et de mesure d’états intriqués à deux cavités. Les mesures effectuées mettent en évidence des cohé-rences quantiques, responsables de l’oscillation observée. Cependant, le contraste obtenu ne permet pas de conclure à l’intrication avec le critère II.2.6que nous avions envisagé. Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux techniques de reconstruction. Celles-ci permettent de construire des estimateurs qui, à partir d’un ensemble de mesures, toutes réalisées avec le même état initial, fournissent un état qui s’approche de ce dernier. Nous allons présenter une méthode qui permet de prendre en compte les protocoles de mesure les plus généraux qu’on puisse appliquer au système, faisant intervenir plusieurs mesures successives, ainsi que de la décohérence entre ces mesures. Cette méthode de tomographie

par trajectoiresenrichit la gamme de protocoles de reconstruction existants en permettant de prendre en compte toute l’information contenue dans les corrélations entre mesures ef-fectuées successivement lors d’une même trajectoire quantique suivie par l’état.

Dans la section III.1, nous donnons quelques rappels sur la théorie de l’estimation d’un paramètre réel. Nous introduisons en particulier l’information de Fisher qui décrit l’information apportée par la mesure sur le paramètre à estimer. Celle-ci intervient dans la borne de Cramer-Rao qui donne la limite de précision accessible sur la détermination du paramètre, pour un nombre de répétitions de la mesure donné. Dans la section III.2, le cadre de la tomographie d’états quantiques est introduit. On présente ensuite les prin-cipales méthodes de reconstruction qui permettent d’estimer un état quantique à l’aide d’un ensemble de mesures instantanées. La section III.3 détaille la nouvelle méthode de reconstruction utilisée dans ce travail de thèse, qui permet de prendre en compte une sé-rie de mesures successives pour chaque réalisation de l’état à déterminer. Elle montre en particulier comment appliquer cette méthode à la reconstruction de l’état d’un système à deux niveaux. Enfin, la section III.4 pose la question de l’estimation des incertitudes associées à la tomographie. Nous y proposons une manière de calculer des barres d’erreur directement sur les coefficients de la matrice densité. Nous comparons cette approche à une des méthodes proposées pour établir des régions de confiance de la reconstruction. Notre protocole de tomographie sera ensuite appliqué à la reconstruction de l’état de nos cavités dans le chapitre IV.

III.1 Quelques rappels de théorie de l’estimation