• Aucun résultat trouvé

3. Le toucher thérapeutique : rencontre entre deux sujets

3.2. Mes propres ressentis corporels et émotionnels

Durant mon stage, il m’est souvent arrivé d’être attentive à ce que je pouvais ressentir intérieurement, mes propres sensations corporelles et émotionnelles. En effet, « nos émotions sont particulièrement sollicitées quand nous rencontrons un être dans une relation de peau, une relation faite d’intuition. »139

Lors d’une séance, Mr C. est particulièrement angoissé. Il tente de me parler mais ses mots ne sortent pas facilement et il semble « perdu », fermant ses yeux. Puis son corps se met à trembler, notamment ses bras qu’il lève devant lui. Pendant un instant je perçois en moi son mal-être me toucher et je me sens « impuissante » face à sa détresse. Quelques 134 J. SAVATOFSKI, P. PRAYEZ, 1999, p.123 135 P. ANCET, et al., 2010, p.135 136 F. VINIT, 2007, p.34 137 P. ANCET, et al., 2010, p.135 138 M. GUIOSE, 2007, p.95 139 C. POTEL et al., 2000, p.128

83

secondes ont été nécessaires pour me recentrer et mettre à distance l’angoisse véhiculée afin de pouvoir l’accompagner vers un apaisement. Je lui propose alors intuitivement un toucher contenant pour favoriser la sensation d’enveloppe corporelle, ajoutée à celle visuelle et sonore afin de le contenir, ce qui l’apaisera visiblement. Cette séance m’a beaucoup marquée car elle fut riche en émotions et m’a demandé de l’adaptation afin de ne pas me laisser « envahir » par l’angoisse de Mr C. De plus lors de la séance de toucher thérapeutique auprès de Mme A., relatée précédemment140, j’étais assez déstabilisée face à la situation, devant ses grands yeux ouverts, son hypertonie au contact et son refus apparent d’être touchée.

Mais au fil de mon stage, j’ai appris à prendre du recul, à ne pas me laisser envahir par mes émotions ainsi qu’à m’adapter et trouver la « juste distance ». Il a été important de pouvoir parler à la psychomotricienne de mes ressentis afin de me détacher émotionnellement et de réfléchir ensemble à un ajustement possible de l’accompagnement. De plus, une éventuelle participation à des groupes d’analyse des pratiques entre professionnels serait un soutien supplémentaire pour le psychomotricien. Suite à ces réflexions, je me suis alors penchée sur les notions d’empathie et de contre-transfert.

3.2.1. L’empathie

L’empathie est une « perception du cadre de référence interne d’une personne avec précision et dans ses composantes et significations émotionnelles, de façon à les ressentir comme si l’on était cette personne, mais sans jamais oublier le comme si. […] Être presque l’autre, sans être l’autre et sans cesser d’être soi-même »141

Le psychomotricien revêt une attitude d’empathie psychique et tonique afin d’être parfaitement à l’écoute du patient et que s’élabore une « dyade relationnelle ». Il « saura « décoder » les messages, les appels toniques, verbaux du patient qui ne sont que des manifestations d’un désir d’être, d’exister dans un mieux-être »142

Ainsi c'est à travers le tonus, vecteur des émotions, que le psychomotricien peut amener la personne à prendre conscience de son enveloppe corporelle et de ses éventuelles tensions et s'ajuster à elle. Lors des séances de toucher thérapeutique j’ai tenté de décoder, via la communication non verbale et à travers mon ressenti, les signes de détente ou bien de mal-être des patients afin de m’ajuster du point de vue tonique, postural et verbal mais aussi en adaptant ma pratique.

140

Cf. supra, p.77

141

C. ROGERS cité par M.GUIOSE, 2007, p.102

142

84

V. DEFIOLLES-PELTIER parle « d'empathie tonique »143 pour désigner la sensibilité du thérapeute aux modifications tonico-émotionnelles de la personne et de son ajustement via le dialogue tonique. Il s’agit ainsi « par une mise en éveil de la sensitivité sensorielle et tonique du psychomotricien, d’être en disponibilité pour recevoir les émotions ou plutôt le vécu du patient, dans le but de lui offrir le maximum de possibilités d’échanges. »144 Il m’est arrivé d’être tellement à l’écoute lors du contact tonico- émotionnel auprès de Mme A. que je me suis surprise à avoir une réaction tonique inattendue, telle qu’un sursaut en même temps qu’elle. J’ai ensuite mis des mots sur ce qui venait de se passer. Ainsi « en livrant ses difficultés à laisser émerger la communication, le psychomotricien ne sera pas perçu comme un être tout-puissant.»145

Il me semble qu’il est nécessaire, en tant que thérapeute, d’être à l’écoute de ses propres ressentis tout en entrant en résonnance avec le vécu du patient, tant physiquement que psychiquement, afin de s’ajuster au mieux à ses besoins.

Ainsi « recevoir le vécu corporel de l’autre ne signifie pas pour autant perdre ses propres limites, c’est pourquoi ce type de travail nécessite un professionnel bien « entier », c’est-à-dire conscient de ses possibilités émotionnelles […], peut-être pourrait-on parler de contre-transfert tonico-émotionnel ? »146

3.2.2. Le contre-transfert en thérapie psychomotrice

Le transfert « désigne, en psychanalyse, le processus par lequel les désirs inconscients s'actualisent sur certains objets dans le cadre d'un certain type de relation analytique ; il s'agit là d'une répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d'actualité marqué.» 147 Quant au contre-transfert, il désigne « la relation (et les mouvements affectifs qui l’accompagnent) qui s’établit dans l’autre sens, c’est-à-dire du soignant vers le soigné. »148

Il est à noter qu’il existe des éléments transférentiels et contre-transférentiels en thérapie psychomotrice. En effet, la rencontre thérapeutique, médiatisée à partir d’un échange tonico-émotionnel, « nous implique dans un vrai échange : un mouvement de soi vers l’autre, et inversement. C’est une relation thérapeutique qui s’établit entre deux partenaires, impliquant transfert et contre-transfert. » 149 Cependant cette relation 143 V. DEFIOLLES-PELTIER, 2010, p.180 144 Ibid. p.181 145 Ibid. p182 146 Ibid. p.182-183 147 J. LAPLANCHE et J-B. PONTALIS, 1967, p.462 148 P. ANDRE, 2006, p.263 149 F. CABROL, 2006, p.124

85

transférentielle et contre-transférentielle « ne se situe pas sur le même registre que celle qui est engagée dans une psychothérapie ou dans une analyse […] la communication verbale n’est pas impliquée de la même manière et il n’y a pas une interprétation de contenus psychiques. »150 Ce sont les outils du psychomotricien, tels que le toucher, le tonus et le regard, qui vont être les médiateurs privilégiés de la rencontre. En effet lorsque j’effectue un toucher thérapeutique auprès d’une personne âgée, je suis imprégnée du dialogue tonique mis en jeu et je m’ajuste corporellement en me positionnant de manière à être à la fois semblable et différente de la personne.

En tant que psychomotriciens, « nous sommes des thérapeutes du corps, mais nous avons notre mot à dire, le mot émotionnel, le mot de la rencontre de deux tensions. C’est l’ajustement tonique et sensoriel qui a valeur de parole structurante. »151Ainsi « lorsque nous avons conscience de notre contre-transfert, nous allons répondre par des propositions de travail sensoriel et tonique […] Nos réponses ne sont pas le fruit du hasard ou de vagues techniques applicables à n’importe quelle situation : elles correspondent à l’analyse de notre éprouvé émotionnel […] »152

Le psychomotricien est toujours au plus près des émotions et ressentis du patient, tant corporels que psychiques. Il doit avoir ainsi conscience de son propre vécu afin de ne pas être submergé par celui du patient. C’est un « travail sur notre manière d’être qui suppose de découvrir ce qui en nous fait obstacle et résistance à être là pour l’autre »153 Par conséquent, lorsqu’une relation thérapeutique s’établit auprès d’une personne âgée, le psychomotricien doit pouvoir analyser son propre vieillissement et « là où il se trouve dans ce processus, pour être lucide sur ses propres peurs, ses propres questionnements ; alors seulement, pourra s’ouvrir un espace d’écoute, sans projection, où cette personne-là, en face de nous, nous dit sa vie, ses perspectives à elle, ses angoisses à elle.»154 Nous pourrons ainsi entendre et reconnaître les aléas du vieillissement et de la maladie. La personne âgée se sentira alors reconnue et soutenue dans son identité psychocorporelle.

150 F. CABROL, 2006, p.124 151 S. ROBERT-OUVRAY, 2002, p. 66-67 152 Ibid. p.65 153 P. ANCET, et al., 2010, p.135 154 Ibid. p.61

86