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Les mentions de l’article 52 de la Charte dans la jurisprudence de la Cour de cassation

Depuis l’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2009, l’article 52 a été cité à quinze reprises sur 362 arrêts mentionnant la Charte, soit un pourcentage de 4,14%.

Néanmoins, le paragraphe premier de cet article relatif aux limitations autorisées aux droits n’a été invoqué qu’une seule et unique fois dans un arrêt du 6 juillet 201788, cela ne

représente dès lors que 0,28% des arrêts. Qui plus est, l’arrêt précité ne mentionne le paragraphe premier de l’article 52 que dans les moyens des requérants sans que la Cour ne se fonde sur ledit article.

Nous nous sommes donc attachés à regarder si, malgré l’absence de mention de ce paragraphe spécifique, la question des limitations aux droits était quand mêmeévoquée au sein des arrêts de la Cour de cassation.

Dans la majorité des cas, l’article 52 est invoqué de façon générale dans les moyens de cassation ou dans l’attendu de la Cour sans qu’il n’y soit fait référence ni à un paragraphe spécifique, ni à la question de la limitation autorisée aux droits. Ainsi, sur 362 arrêts rendus par la Cour de cassation et mentionnant la Charte depuis son entrée en vigueur, huit arrêts mentionnent l’article 52 de cette façon, soit 2,2%.

Dans quatre arrêts toutefois, l’invocation générale de l’article 52 donna lieu à un argument, de la part des requérants, relatif à la limitation aux droits. Aucun domaine particulier n’est propice à l’invocation de ce principe, il peut s’agir tant d’une limitation au principe de non-discrimination89, que d’une limitation à la liberté d’expression et à la liberté d’entreprise90.

Néanmoins, la Cour de cassation ne reprendra l’argument de la limitation autorisée aux droits dans aucune de ses décisions, pas plus que le fondement de l’article 52. Cela démontre,

88 Cass., Civ., 1, 6 juillet 2017, nos 16-17.217 ; 16-18.298 ; 16-18.348 ; 16-18.595.

89 Cass., Soc., 6 juillet 2010, n° 09-40.428 09-40.430, inédit ; Cass., Soc., 6 juillet 2010, nos 09-40.427 ; 09-40.429 ;

09-40.431 ; 09-40.432, publiés au bulletin.

encore une fois, la portée ambivalente de la Charte au sein de la jurisprudence de la Cour, et ce, d’autant plus que ledit article n’a été mentionné que dans les moyens annexes.

Deux arrêts seulement méritent une attention particulière.

D’une part, dans un arrêt du 11 avril 201291 rendu par la chambre sociale, l’article 52 a été invoqué au sein d’un attendu dans une procédure de renvoi préjudiciel afin de justifier d’une absence de limitation par la Charte de possibles invocations de ses dispositions dans un litige de nature horizontale. La Cour se fonde donc de manière ambitieuse sur cet article (mais également sur les articles 51 et 53 de la même Charte) afin de demander à la Cour de justice de l’Union européenne si le droit fondamental relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, reconnu par l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peut être invoqué dans un litige entre particuliers aux fins de vérifier la conformité d’une mesure nationale de transposition de la directive.

Cette ambition peut s’expliquer par le fait que l’on se trouve dans une procédure de renvoi préjudiciel et donc, dans le champ de l’Union, ce qui a pu encourager, d’une certaine façon, l’ardeur de la Cour dans l’invocation de l’article 52.

Néanmoins, l’invocation par la Cour de l’article 52 fut vaine puisque la Cour de justice répondra, dans d’un arrêt du 15 janvier 201492, que l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne présente pas d’effet direct.

D’autre part, dans un arrêt du 22 janvier 201493, la chambre criminelle s’est fondée sur l’article 52 de la Charte afin de justifier un cumul de sanction pour des mêmes faits en affirmant qu’un tel cumul est fondé sur « la réalisation de l’objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, entrant dans les prévisions de l’article 52 de la Charte et tendant à assurer

91 Cass., Soc., 11 avril 2012, n° 11-21.609.

92 CJUE, 15 janvier 2014, AMS, aff. C-176/12, § 52 « L’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne, seul ou en combinaison avec les dispositions de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une disposition nationale de transposition de cette directive, telle que l’article L. 1111‑3 du code du travail français, est incompatible avec le droit de l’Union, cet article de la Charte ne peut pas être invoqué dans un litige entre particuliers afin de laisser inappliquée ladite disposition nationale ».

l’intégrité des marchés financiers communautaires et à renforcer la confiance des investisseurs ».

Dès lors, même si aucun paragraphe n’est spécifiquement mentionné par la chambre criminelle, on constate que le principe développé par l’article 52 selon lequel « des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union » est au fondement du raisonnement de la Cour.

Toutefois, il est opportun de noter que l’article 52 est toujours combiné avec d’autres articles de la Charte des droits fondamentaux lorsqu’un arrêt de la Cour de cassation y fait référence. Cela limite alors sa portée puisque la question de la limitation aux droits n’est jamais alléguée de façon autonome. L’article 52 vient donc uniquement en renfort d’autres articles de la Charte en ayant plus un caractère de support d’argumentation que d’invocation individuelle.

La faible invocation de l’article 52 § 1 par la Cour de cassation est d’autant plus regrettable lorsque l’on regarde la jurisprudence des autres pays membres de l’Union européenne.

Qu’il s’agisse de l’Autriche94, de l’Allemagne95 ou encore du Royaume-Uni96, les

juridictions nationales n’hésitent pas à se fonder sur l’article 52 de la Charte et, spécifiquement, sur son premier paragraphe, en basant expressément leur raisonnement sur les conditions à respecter afin de pouvoir justifier d’une limitation à un droit reconnu par la Charte.

Elle peut toutefois s’expliquer par l’une des difficultés inhérentes au régime des limitations aux droits, à savoir, son application à des destinataires qui relèvent d’ordres juridiques différents, d’un côté les institutions et organes de l’Union et de l’autre les Etats membres dans la mise en œuvre du droit de l’Union97.

En effet, si les exigences de l’article 52 § 1 sont classiques, en ce qu’elles ne font que reproduire des conditions régissant habituellement toute ingérence publique dans l’exercice des

94 Cour d’asile, aff. B3 259443-5/2008 ; E3 428458-1/2012 ; B4 416.572-1/2010.

95 Tribunal administratif supérieur de Hesse, aff. 7 C 897/13.N ; Tribunal administratif supérieur du Bade-

Wurtemberg, aff. A 9 S 1872/12 ; Tribunal administratif fédéral aff. 10 C 23.12.

96 Cour suprême, aff. UKSC 2015/0233 ; Cour d’appel, chambre civile, aff. EWCA Civ 7, Q.B. 820 ; 2 W.L.R.

791, 3 All E.R. 587, 2 C.M.L.R. 49.

97 J.-P. JACQUE, « Les limitations aux droits fondamentaux dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union

droits fondamentaux98, et s’harmonisent autour de trois éléments : l’exigence d’un fondement législatif, d’un objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union et la protection des droits et liberté d’autrui, leur mise en œuvre pourra être différente selon que l’on se trouve dans le champ de l’Union ou dans celui des Etats membres.

A titre d’exemple, dans le cadre de l’Union, et concernant le premier critère tenant à l’exigence d’un fondement législatif, la Cour estime qu’un acte de second rang, adopté à l’issue d’une procédure de réglementation avec contrôle, ne peut apporter de limitations aux libertés individuelles. Une telle faculté doit être réservée au seul législateur.

Or du côté des Etats membres, il peut sembler difficile de leur imposer une interprétation formelle du terme de « loi » compte tenu du principe d’autonomie procédurale, puisqu’il appartient à ceux-ci de choisir les moyens de mise en œuvre du droit de l’Union pourvu que soient respectés les principes d’effectivité et d’équivalence.

En ce sens, l’arrêt Digital Rights Ireland restreint la possibilité d’action des Etats membres en imposant que les limitations aux droits figurent dans la réglementation de l’Union qui doit prévoir des « règles claires et précises régissant la portée et l’application de la mesure en cause et imposant un minimum d’exigences de sorte que les personnes dont les données ont été conservées disposent de garanties suffisantes permettant de protéger efficacement leurs données à caractère personnel contre les risques d’abus ainsi que contre tout accès et toute utilisation illicites de ces données »99. Ceci limite dès lors le champ laissé aux interventions nationales sans pour autant l’interdire.

98 X. GROUSSOT, L. PECH, « La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne après le Traité

de Lisbonne », Question d’Europe, 14 juin 2010, n° 173.

Conseil constitutionnel et Charte des droits fondamentaux

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