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qui ont été menées à ce propos

Dans le document Jeunes, racisme et construction identitaire (Page 78-81)

Situation no1

J., professionnel de la ville du Blanc-Mesnil, est avec un membre de sa famille à la salle des sports. Ils regardent les adolescents derrière la vitre, environ vingt jeunes garçons s’apprêtent à jouer ensemble un sport collectif. En regardant les jeunes d’origine sri-lankaise, cette per- sonne dit alors : « Cela grouille comme des cafards ici. »

J. est alors interloqué et ne sait pas comment, ni quoi dire.

Nous menons alors un exercice collectif sur nos associations et nos représentations de ce que cela signifie : « Cela grouille comme des cafards. » Les associations sont alors à peu près les mêmes pour tous les membres du groupe : saleté ; parasite/inutile/nuisible ; envahissant/« on ne peut pas s’en débarrasser » ; destructeur/atteint la vie ; se multiplie rapidement ; « c’est laid et répugnant ».

Nous repérons alors que ces représentations sont très anciennes, et qu’elles ont été aussi uti- lisées souvent dans l’iconographie coloniale, esclavagiste, antisémite. Nous identifions aussi que nous les avons tous et qu’elles constituent en quelque sorte un « fonds de représentations partagées ». Au centre de ces représentations, des dimensions de catégories primaires sont en jeu : le pur et l’impur ; la protection et le danger ; la maîtrise et l’envahissement.

Les membres du groupe ont été étonnés de ces représentations communes et ont mieux appréhendé comment chacun d’entre nous peut se référer à ces catégories primaires d’attri- bution à l’autre, s’il se sent mis en danger ou s’il ne garde pas une distance critique.

Nous avons noté la difficulté de J. de répondre à la situation mais nous n’avons pas appro- fondi cette question à ce moment. Nous avons seulement identifié que face à cette interjection vécue comme une violence langagière, il n’a pas su comment se situer et est resté interloqué. Situation no2

L., membre du collectif CILDA, est une femme qui depuis plusieurs années est confrontée à une maladie dégénérative très handicapante. Elle a dû arrêter de travailler, mais la rencontre avec les femmes participant à la vie du centre social a constitué une grande rencontre et elle y est très active. Elle se rend à la pharmacie où elle va habituellement. Elle parle avec la phar- macienne de sa situation de santé et du classement COTOREP dont elle fait l’objet. La phar- macienne lui dit alors qu’elle n’est pas assez prise en charge compte tenu de la gravité de sa maladie et que si « elle était arabe, ce serait bien différent, car les Arabes, eux, ils savent se plaindre… »

L. est très gênée et interloquée, mais elle ne réagit pas et s’en va.

Il n’est pas facile pour elle de restituer cette situation face au groupe constitué de nombreu- ses femmes originaires du Maghreb mais la restitution de sa situation ouvre à une réflexion importante.

PRATIQUES/ANALYSES

Après avoir reconstitué la situation, nous avons identifié ce qu’elle dit de l’autre et du racisme : « Les Arabes » désignent une catégorie de personnes imprécises mais que toutes partageaient des stéréotypes proches : elles ne sont pas d’ici et viennent des pays « arabes ». Souvent cela est une façon de faire référence à l’appartenance à la religion musulmane.

Ces personnes abusent de l’hospitalité, et profitent des situations en utilisant ici la sécurité sociale et ses règles. Elles s’estiment toujours plus victimes que les autres, alors que « les Français » eux savent ne pas se plaindre et ne pas abuser des services sociaux.

Nous avons mené une réflexion plus théorique sur les notions de préjugés, sur les représen- tations « des autres », sur « les étrangers ». La référence aux travaux de J. Dubost, A. Mancini, E. Goffman a permis de mieux comprendre les processus psychiques en jeu.

Les membres du groupe ont cependant noté que la pharmacienne n’était pas en situation de danger mais a établi une relation de complicité « victimaire ».

Les confidences de L. ont facilité la mise en place de cette relation établie au-delà d’un acte professionnel.

Cela a conduit le groupe à réfléchir à la position de « victime », ce qu’elle signifie, et comment elle facilite la mise en place d’une dynamique concurrentielle entre victimes.

Dans le cas présent, ce registre victimaire a été relayé par l’expression de préjugés racistes. Un dernier temps de travail a eu lieu à propos de la posture tenue par L. et de son malaise à ne pas avoir pu se situer et répondre. Les membres du groupe se sont exprimés à ce propos. Après réflexion, L. a conclu qu’elle s’était trop engagée dans la relation avec la pharmacienne, et qu’elle viserait à l’avenir à tenir plus de distance pour ne pas se retrouver dans une position en porte-à-faux dont elle ne peut se sortir.

Ces réflexions sur la position de victime et la mise en concurrence victimaire ont été mises en relation avec le travail mené avec les jeunes à Saint-Jean-de-la-Ruelle et sur les risques d’en- fermement dans cette position de « victime ». Reconnaître la souffrance de l’autre constitue un enjeu important, cela ne suppose pas de se réduire ou d’être réduit à une identité essentielle- ment de victime.

L. a particulièrement développé cet aspect car, au quotidien, alors qu’elle est face à de gran- des difficultés, elle lutte avec les autres pour ne pas être réduite à la condition de « malade » mais pour toujours être perçue comme une femme sensible, active, présente aux autres. Sa présence dans le groupe constitue un rayonnement pour tous. Les membres du groupe ont été particulièrement impliqués pour analyser la situation et l’aider à réfléchir à ces questions. Situation no3

N., professionnelle de la ville et jeune mère de famille, expose une altercation avec son père à propos de la personne qui doit garder son premier enfant. Le père de N. la prend à partie et lui dit : « Elle est au moins française ? » Elle refuse alors de lui répondre. Ces altercations entre N. et son père ne sont pas rares ; elle en souffre et ne sait pas comment sortir de cette confron- tation. Elle vit avec un homme d’origine de la Guadeloupe et son enfant est métis.

L’analyse de la situation, au-delà de l’altercation, a mis au jour une histoire familiale très dou- loureuse, de retour en France d’Algérie dans des conditions difficiles, de suicides dans la famille dus à ce déracinement forcé. Les personnes présentes dans le groupe ont fortement aidé N. à explorer ces dimensions et à prendre conscience, qu’au-delà de la violence des pro- pos paternels, une souffrance d’histoire était en jeu. N. n’avait pas établi de liens entre ces

répétitions agressives et l’histoire de sa famille. Ceci nous a conduits à identifier de façon plus précise comment une altercation langagière peut être le symptôme de processus, d’histoires complexes, de non-dits dans la sphère sociale et familiale.

Plusieurs personnes du groupe ont alors établi des liens entre les valeurs, leurs prises de posi- tion dans la vie sociale et leur propre histoire, leurs relations dans la vie familiale, leur rapport à leur propre histoire.

À l’issue de cette séance de travail, nous avons proposé que chaque personne du groupe dise à N., soit son ressenti de la situation, soit qu’elle propose un nouveau positionnement par rap- port à son père. Plusieurs personnes, d’origine du Maghreb, ont dit à la fois leur émotion à entendre la souffrance des personnes ayant vécu le déracinement de l’Afrique du Nord dans les années 1960, et leurs difficultés à s’identifier à N. L’une d’entre elles a souligné qu’elle pen- sait toujours qu’elle était victime du racisme et qu’il était bien difficile, pour elle, d’envisager qu’une femme représentant pour elle « la femme française » soit aux prises avec ces questions. Difficulté d’accepter les réciprocités, que le racisme ne trace pas un partage clair entre ceux qui sont les auteurs de situations racistes et ceux qui en sont les victimes.

Ce travail collectif, pendant plusieurs séances, impliquant les personnes, les rapports d’iden- tification entre elles ont fait bouger les représentations et ont créé une appréhension beaucoup plus complexe des rapports entre auteurs et victimes et de rapports de réciprocités possibles. Ceci ouvre alors à de nouvelles postures, à une écoute plus différenciée. Au fur et à mesure des séances, nous avons visé à éclairer et à énoncer les enjeux de situations analysées, et à mieux préciser pourquoi il est difficile de répondre face au racisme. Des apports conceptuels sur les notions, telles que « stéréotypes », « préjugés », « processus de victimisation », « rap- port auteur-victime et réciprocité », « rapport entre histoire et mémoire » ont été abordés. Les textes de J. Dubost, J.-P. Vernant, J. Costa-Lascoux, A. Memmi, E. Goffman, constituent des références culturelles, éthiques et conceptuelles qui, au fur et à mesure de l’analyse, permet- tent d’identifier les processus à l’œuvre, et de les énoncer.

Pour l’animateur d’un travail comme celui-ci, ceci suppose d’avoir pour soi-même tenter de lever la sidération des violences, en situation. En effet, il est important dans la dynamique transférentielle créée par l’analyse de situation, de pouvoir mettre en lien les concepts et les situations, tout en décryptant et tenant compte des émotions mobilisées par la remémoration de ces situations qui sont toutes très implicantes pour les participants. La possibilité d’avoir expérimenté ce travail dans le cadre de la recherche-action, cadre protégé, en dehors et en lien avec la vie quotidienne, permet aux participants de devenir eux-mêmes les animateurs de réseau qui permettent de développer ces capacités de prise de conscience et de réaction par d’autres habitants. Ces pédagogies s’inscrivent dans la dynamique de travaux comme ceux de Paolo Freire ou d’Augusto Boal et le théâtre forum au Brésil. C’est une façon de poursuivre l’in- tervention pour renforcer les capacités de faire face aux effets de violences.

PRATIQUES/ANALYSES

Lever l’euphémisation

Dans le document Jeunes, racisme et construction identitaire (Page 78-81)