• Aucun résultat trouvé

Jean-François Mignard

Dans le document Jeunes, racisme et construction identitaire (Page 85-87)

Le développement social local, une approche complexe

La mise en forme synthétique du bref travail réalisé dans le cadre de la recherche-action « Lutter contre le racisme », s’attachant aux dynamiques spécifiques au développement social local pose d’emblée un certain nombre de difficultés spécifiques quant à ce type de démarche concernant le travail social. Cette façon de concevoir l’intervention sociale demeure pour le moins margi- nale quant à ce qui est de son enseignement et dans sa mise en pratique par les travailleurs sociaux dans notre pays. Les modèles d’intervention en travail social sont en effet caractérisés par un quasi-monopole d’une approche individualiste, « case work » pour les assistants de ser- vice social ou clinique éducative pour les professions éducatives, par exemple.

Que ce soit au niveau de la conception de l’intervention, du positionnement professionnel ou des dispositifs disponibles, la démarche en développement social local qui est souvent rabat- tue à des dimensions essentiellement méthodologiques demande à construire des postures originales, réinterroge la question de la légitimité des acteurs et demande la construction d’ou- tils d’intervention adaptés. La problématique du racisme, considérée comme nous l’avons fait dans le groupe de travail comme un indicateur de transformation violente de l’élaboration du lien social, particulièrement dans le cadre de rapports de proximité rend indispensable une cla- rification de la place des intervenants (au nom de quoi, de qui interviens-tu ? Suivant quelles règles du jeu structurant le lien social ?) qu’il s’agit d’évoquer brièvement avant d’aborder la question des conditions de l’intervention que nous aborderons dans un second temps. À l’articulation du sociétal et du communautaire…

Dans la situation particulièrement exposée (confrontation directe aux acteurs et aux décideurs locaux, sans la protection des cadres et dispositifs spécifiques au secteur social ou médico- social) à laquelle il a été déjà fait référence dans le cadre des travaux intermédiaires produits au sein du groupe, les intervenants ont à se positionner et à développer leurs actions au cœur même d’un social en plein travail.

Se situer délibérément dans le « local », dans la proximité territoriale amène d’emblée à devoir prendre en compte les processus de « solidarité mécanique » (Durkheim), ancrés et légitimés dans l’histoire, l’identité particulière du lieu partagé. Les groupes sociaux ainsi constitués se révèlent alors très souvent réactifs à la confrontation à l’altérité, aux autres perçus comme dif- férents quand ce n’est intrusifs, menaçants ou dangereux pour sa propre identité.

Ces réactions de méfiance, voire de rejet… ou de racisme sont généralement accentuées par les difficultés socio-économiques, génératrices de tendances au repli, que connaissent les ter- ritoires dans lesquels se situent précisément les travailleurs sociaux.

On voit là que la question du racisme est souvent une composante majeure des probléma- tiques sociales avec lesquelles ont à faire les intervenants. Que ce soit la question de la coha- bitation de communautés différentes dans un contexte économique fragilisé ou, plus concrètement dans le cas que nous avons étudié, l’implantation progressive de populations étrangères (et ce terme peut avoir des définitions très larges) dans un territoire rural déstabi- lisé par l’envahissement urbain, le processus est récurrent.

Engagé dans un parti pris « d’immersion dans le local » ou à tout le moins dans la prise en compte de ses réalités, le travailleur social porteur d’un mandat le positionnant du côté des valeurs et des normes républicaines fondées sur les universaux doit évoluer sur un périlleux

chemin de crête. Il s’agit alors d’articuler de façon dynamique et productive (on parle bien ici de développement) universel et particulier, sociétal et communautaire… dans des situations dans lesquelles tout cela ne va pas de soi et qui justifient sa présence !

La position à tenir, dans des situations généralement tendues, empreintes d’émotionnel, est aujourd’hui particulièrement difficile. En effet, souvent perçus comme « complices » des grou- pes stigmatisés, les travailleurs sociaux sont confrontés à la tendance dominante menant à renvoyer à des individus ou des groupes socialement en difficulté l’origine de leur situation sur la base de position essentialiste ou culturaliste. Le rapport aux élus, légitimés en tant que représentants de la doxa locale, est souvent évoqué comme alors particulièrement sensible. On conviendra que tenir cette place paradoxale et renvoie à des conditions d’exercice dont nous avons pu identifier quelques éléments se situant à des niveaux différents :

Le niveau des acteurs de terrain, les travailleurs sociaux

Pour autant qu’une partie de leur travail se situe dans le registre de l’intervention à dominante individuelle, ils doivent nécessairement être en capacité d’investir, que ce soit en termes d’ob- servation, de problématisation et de perspective d’action, les dimensions collectives et territo- riales. C’est aujourd’hui une carence majeure dans la formation des travailleurs sociaux, soulignée par de nombreuses instances sans que rien ne semble bouger dans les institutions de formation.

Par ailleurs, la confrontation directe au social « en travail », particulièrement en ce qui concerne des questions fortes, impliquantes tant au niveau des valeurs que des attitudes per- sonnelles nécessite à la fois de bonnes capacités à « vivre » de façon distanciée les situations, mais aussi de façon tout aussi indispensable à se référer à des analyses sociopolitiques arti- culées des principes éthiques, l’un n’étant sans l’autre d’aucune efficacité.

Enfin, en corollaire avec le point précédent, soulignons l’importance que revêtent les straté- gies de réseau et de partenariat s’appuyant sur une bonne connaissance des compétences, missions et légitimités des acteurs en présence, internes à l’équipe professionnelle et exter- nes, concernant les acteurs sur le territoire, usagers inclus.

Le niveau de l’encadrement

Nous touchons là un point sensible, les enjeux habituels de fonctionnement institutionnel étant là articulés avec un changement de nature et de registre de l’intervention qui tend à distribuer différemment les cartes institutionnelles.

Il y aurait à engager à ce propos toute une recherche, mais bornons-nous à évoquer quelques points repérés comme importants :

– En ce qui concerne l’encadrement administratif en premier lieu, la mise en œuvre de ce type d’intervention ne peut que s’accompagner d’un dépassement des logiques centralisées, nor- matives et catégorisantes qui caractérisent aujourd’hui le registre de l’administratif.

– C’est par ailleurs dans le domaine de l’interaction des niveaux administratifs et techniques que peut s’ouvrir le champ des possibles en créant les conditions de fonctionnement, par le jeu des délégations de pouvoir, de la prise en compte de l’autonomie relative à la dimension territoriale, des organigrammes régulant le pouvoir sur les opérateurs de terrain et les équipes d’acteurs.

Concernant l’encadrement technique sur lequel nous nous sommes attardés plus particulière- ment, il nous paraît renvoyer à la compétence spécifique de celui qui l’assure à articuler les niveaux techniques et politiques.

PRATIQUES/ANALYSES

Il lui est également nécessaire de prendre une distance critique et constructive par rapport à la commande politico-administrative.

Il lui appartient de gérer trois niveaux en interaction : – le niveau intra-institutionnel ;

– le niveau interinstitutionnel (partenariat et registre du politique) ;

– le niveau de l’équipe en termes assez classiques de conduite de projet, mais aussi d’accom- pagnement à des dynamiques de recherche collective et de constitution de réseaux.

Enfin, il a un rôle particulièrement important :

– dans l’engagement de l’équipe dans une logique d’ouverture à la fois à d’autres probléma- tiques, d’autres acteurs et d’autres projets, dans une perspective de création et de développe- ment. Ceci est une des conditions de réassurance des travailleurs sociaux, ainsi que de réactivation de l’action au quotidien ;

– dans l’aide à l’anticipation et à la perspective de développement, déplaçant l’action du regis- tre de la réparation, de la centration sur le manque, la difficulté pour ouvrir des possibles en articulant des domaines généralement clivés : économique, social, culturel… ;

– dans la construction d’une position de tiers des travailleurs sociaux, individuellement ou col- lectivement leur assurant une place spécifique dans les jeux d’acteurs ;

– dans la prise en compte permanente du contexte par l’équipe particulièrement en resituant les situations individuelles dans leur contexte, et dans une mise en perspective des phénomè- nes sociaux dans leurs aspects macro et micro ;

– dans le rapport aux élus locaux, dans le registre de la visibilité et de la lisibilité du travail réalisé par l’équipe de professionnels.

Bibliographie

MIGNARDJ.-F, MENCHIP.,

Le développement social local contre le repli ethnique. Pour se réconcilier avec une identité collective, Érès, Toulouse, 2008.

Un projet franco-allemand

Dans le document Jeunes, racisme et construction identitaire (Page 85-87)