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C/ SUR LA MECONNAISSANCE DE L’ARTICLE 37-1 DE LA CONSTITUTION 1/ Sur la pérennisation de dispositions expérimentales sans évaluation

Contribution extérieure sur la saisine n° 2021-817 DC portant sur la Loi pour un nouveau pacte sur la sécurité respectueux des libertés

C/ SUR LA MECONNAISSANCE DE L’ARTICLE 37-1 DE LA CONSTITUTION 1/ Sur la pérennisation de dispositions expérimentales sans évaluation

1.1 En droit

Le cadre juridique des lois expérimentales a été précisé par le Conseil Constitutionnel :

leur abandon » (décision, 93-322 DC du 28 juillet 1993)

L'article 37-1 de la Constitution dispose que : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

Concernant un contentieux précédent, relatif aux dispositions ci après contestées de l'article 28 quinqies, pour lesquelles le gouvernement avait sollicité la possibilité d’intervenir par ordonnance, le Conseil Constitutionnel a jugé que :

« 51. Le paragraphe V de l'article 113 habilite le Gouvernement à généraliser, le cas échéant en l'adaptant, le dispositif de caméras individuelles des agents des services de sécurité de la société nationale des chemins de fer français et de la régie autonome des transports parisiens, expérimenté en application de l'article 2 de la loi du 22 mars 2016 mentionnée ci-dessus. Le paragraphe IV du même article prévoit, dans le même temps, que cette expérimentation est prolongée jusqu'au 1er janvier 2022 et qu'un bilan de sa mise en œuvre doit intervenir d'ici 2021, afin d'évaluer l'opportunité du maintien de cette mesure.

52. Aux termes de l'article 37-1 de la Constitution : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

53. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 37-1 et 38 de la Constitution que le Gouvernement ne saurait être autorisé à procéder à la généralisation d'une expérimentation par le Parlement, sans que ce dernier dispose d'une évaluation de celle-ci ou, lorsqu'elle n'est pas arrivée à son terme, sans avoir précisément déterminé les conditions auxquelles une telle généralisation pourra avoir lieu » Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019

Le Conseil Constitutionnel juge ainsi que le Parlement doit être destinataire de l’évaluation.

L’article 2 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 (consolidé par la loi numéro 2019 –1428 du 24 décembre 2019), crée l’article L2251-4-1 du code des transports, dans un cadre expérimental (de 5 ans, avec bilan après 4 ans de mise en oeuvre, au titre du II et du III dudit article 2) :

« Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées.

L'enregistrement n'est pas permanent.

Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.

Lorsque la sécurité des agents est menacée, les images captées et enregistrées au moyen des caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service interne de sécurité concerné.

Les caméras sont portées de façon apparente par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes enregistrées, sauf si les circonstances l'interdisent. Une information générale du public sur l'emploi de ces caméras est organisée par le ministre chargé des transports. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent.

L'enregistrement ne peut avoir lieu hors des emprises immobilières nécessaires à l'exploitation des services de transport ou des véhicules de transport public de personnes qui y sont affectés.

Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois.

Ces enregistrements sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment en ce qui concerne le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et le droit d'accès aux enregistrements.

Les modalités d'application du présent article et d'utilisation des données collectées sont précisées par un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ».

(Conformément à l'article 2 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016, ces dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 2017, pour une durée de trois ans. L'expérimentation fait l'objet d'un bilan de sa mise en œuvre dans les deux ans suivant son entrée en vigueur, afin d'évaluer l'opportunité du maintien de cette mesure. Aux termes du IV de l'article 113 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019, la durée mentionnée au II de l'article 2 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 est fixée à cinq ans, et le bilan de l'expérimentation mentionnée au III dudit article 2 est porté à quatre ans).

L’expérimentation a été mise en place par décret n°2016-1862 du 23 décembre 2016 dont l’article 10 dispose que :

« Dans un délai de deux ans suivant l'entrée en vigueur de l'expérimentation, la SNCF et la Régie autonome des transports parisiens adressent au ministre de l'intérieur et au ministre chargé des transports un bilan de l'emploi des caméras individuelles par les agents de leurs services internes de sécurité. Ce bilan comprend une évaluation de l'impact de l'emploi des caméras individuelles sur le déroulement des interventions et le nombre de procédures judiciaires, administratives et disciplinaires pour le besoin desquelles il a été procédé à la consultation et à l'extraction de données provenant des caméras individuelles ».

1.2 En fait

Les dispositions de l’article L. 2251-4-1 du code des transports sont pérennisée par l’article 28 quinquies de la loi sécurité globale :

« Les II et III de l’article 2 de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs sont abrogés ».

Cet article est issu d’un amendement du Gouvernement adopté en commission aux visas suivants :

« L’article 28 quinquies est issu d’un amendement du Gouvernement bénéficiant d’un avis favorable des rapporteurs et pérennisant l’expérimentation. Les différents éléments communiqués par le Gouvernement témoignent d’un effet favorable de ces dispositifs. La SNCF a tiré un premier bilan positif ([192]), comme la RATP ([193]).

L’article 28 quinquies supprime donc les II et III de l’article 2 de la loi précitée du 22 mars 2016, prévoyant respectivement la limitation de l’expérimentation à une durée de trois ans et la réalisation d’un bilan de sa mise en œuvre. »

Les notes en bas de page visées sont les suivantes :

([192]) Juridiquement opérationnel au 1er janvier 2017, le dispositif n’a été lancé en pratique qu’un an plus tard. Toutefois, dès le 31 décembre 2018, la SNCF indiquait que 3 367 missions avaient déjà été menées avec l’appui de ces caméras piétons. Environ 10 % de ces missions ont fait l’objet d’un déclenchement du dispositif. Les caméras permettent d’apaiser les tensions, de sécuriser les missions des agents en limitant les risques de comportement agressif et également d’apporter la preuve du bien-fondé d’une intervention. Elles contribuent à améliorer la sécurité des passagers.

([193]) « La RATP généralise les caméras piétons », Ville Rail & Transport, 19 novembre 2019 ».

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b3527_rapport-fond#_Toc256000070 Il est indiqué sur cet amendement du gouvernement « la SNCF a tiré un premier bilan positif comme la RATP » et renvoie en note de bas de page.

Les éléments numérotés 192 et 193 ne satisfont pas aux critères posés par décret n°2016-1862. Ils ne constituent pas ni un rapport ni un bilan d’expérimentation permettant d’évaluer l’expérimentation.

L’information adéquate aurait dû être la transmission aux parlementaires du bilan adressé aux ministres.

Au delà de cette irrégularité formelle, la mention de 3 lignes quant au bilan de la SNCF ne comporte pas de mentions renseignant une grande partie du bilan sur « le nombre de procédures judiciaires, administratives et disciplinaires pour le besoin desquelles il a été procédé à la consultation et à l'extraction de données provenant des caméras individuelles » comme le demandait pourtant le décret n°2016-1862.

L’article de la revue de communication de la RATP ne saurait constituer un bilan adressé aux ministre. Il n’est d’ailleurs pas accessible gratuitement.

https://www.ville-rail-transports.com/mobilite/la-ratp-generalise-les-cameras-pietons/

Il n’a pas été transmis aux parlementaires.

En ce sens, les débats parlementaires ont soulevé cette insuffisance, notamment le député Ugo Bernalicis

« Je m’inquiète de nous voir légiférer de la sorte. Je ne sais pas si cela se passait ainsi il y a quinze ans, monsieur Lagarde, mais si c’est le cas, ce n’était déjà pas bien ! Alors que la Constitution a été complétée par des dispositions soulignant l’importance de l’évaluation des politiques publiques, il serait souhaitable que, pour une fois, sur une question qui touche aux libertés individuelles, on se donne les moyens de recueillir des éléments concrets, quantifiés et vérifiés ».

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2020- 2021/troisieme-seance-du-vendredi-20-novembre-2020#P2319328

Or, en application des principes dégagés par la jurisprudence précitée 2019-794 DC du 20 décembre 2019, le Parlement ne saurait pérenniser un dispositif expérimental sans disposer de l’évaluation issue de son expérimentation.

C’est bien le cas en l’espèce : les parlementaires n’ont été destinataires d’aucune évaluation.

Pérenniser une loi expérimentale non évaluée constitue une violation directe de l’article 37 – 1 de la constitution, ainsi qu’une incohérence méthodologique regrettable.

2/ Sur la généralisation de dispositions expérimentales sans évaluation

2.1 - une généralisation…

Le texte adopté prévoit l’extension du dispositif de caméras dans deux articles : Pour les opérateurs de transport :

“Article 28 bis :

I. – A titre expérimental, les opérateurs de transport public ferroviaire de voyageurs sont autorisés à mettre en oeuvre la captation, la transmission et l’enregistrement d’images prises sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, au moyen de caméras frontales embarquées sur les matériels roulants qu’ils

exploitent. Les traitements prévus au présent article ont exclusivement pour finalité d’assurer la prévention et l’analyse des accidents ferroviaires ainsi que la formation des personnels de conduite et de leur hiérarchie.

Les enregistrements comportant des données à caractère personnel, hors les cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de trente jours.

Ces enregistrements sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ainsi qu’au règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), notamment en ce qui concerne le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le droit d’accès aux enregistrements. Le public est informé, par une signalétique spécifique, de l’équipement du moyen de transport par une caméra. Une information générale du public sur l’emploi de ces caméras est organisée par le ministre chargé des transports. Les modalités d’application et d’utilisation des données collectées sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret précise les mesures techniques mises en œuvre pour garantir la sécurité des enregistrements et assurer la traçabilité des accès aux images.

II. – L’expérimentation prévue au I s’applique pour une durée de trois ans[2024] à compter de la publication de la présente loi.

III. – L’expérimentation prévue au présent article fait l’objet d’une évaluation dans les deux ans [2023] suivant son entrée en vigueur, remis par le Gouvernement au Parlement et à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, afin d’évaluer l’opportunité du maintien des mesures qu’elle prévoit ».

Pour les gardes champêtres :

« Article 21 bis

I. – À titre expérimental, dans l’exercice de leurs missions de police des campagnes, les gardes champêtres peuvent être autorisés, par le représentant de l’État dans le département, à procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées. L’enregistrement n’est pas permanent. Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des gardes champêtres, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.

Les caméras sont fournies par le service et portées de façon apparente par les agents. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l’enregistrement fait l’objet d’une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l’interdisent. Une information générale du public sur l’emploi de ces caméras est organisée par le ministre de l’intérieur. Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent. Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont effacés au bout de six mois.

L’autorisation mentionnée au premier alinéa du présent I est subordonnée à la demande préalable du maire.

Lorsque l’agent est employé dans les conditions prévues à l’article L. 522-2 du code de la sécurité intérieure, cette demande est établie conjointement par l’ensemble des maires des communes où il est affecté. Les modalités d’application du présent I et d’utilisation des données collectées sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis publié et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

II. – L’expérimentation prévue au I s’applique pour une durée de trois ans à compter de l’entrée en vigueur du décret mentionné au dernier alinéa du même I, et au plus tard six mois après la publication de la présente loi.

L’expérimentation est éligible au fonds interministériel pour la prévention de la délinquance défini à l’article 5 de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de sa mise en oeuvre. Les observations des collectivités territoriales et établissements publics participant à l’expérimentation sont annexées au rapport. »

Il s’agit purement et simplement de l’extension expérimentale des possibilités posées par l’article L 2251-4-1 du code des transports à l’ensemble des opérateurs du transport public ferroviaire et non plus uniquement aux agents de la SNCF et de la RATP.

Or, il a été précédemment exposé que l’expérimentation SNCF RATP n’a pas fait l’objet d’un bilan conforme aux prescriptions du décret numéro 2016 – 1862 et a été pérennisé en violation des principes constitutionnels encadrant les lois expérimentales.

Il n’est pas cohérent d’étendre le champ d’application d’une législation expérimentale qui n’a pas été précédemment évaluée : le seul justificatif à la dérogation au principe d’égalité devant la loi que constitue une législation expérimentale est précisément son cadre de durée et d’objet, comme le pose la lettre de l’article 37 – 1 de la constitution.

Étendre l’objet d’une loi expérimentale non évaluée constitue une violation directe de l’article 37 – 1 de la constitution, ainsi qu’une incohérence méthodologique regrettable.

2.2 - … sans cohérence et violant le principe constitutionnel d’égalité devant la loi La durée de conservation prévue des enregistrements est, selon l’article 28 bis précité, de 30 jours et, selon l’article 21 bis précité, de six mois.

Cette différence de durée invalide, de facto, ces deux choix de période.

En effet, pour une même action - à savoir filmer le public dans les lieux publics par des agents spécialement habilités - le cadre expérimental doit être comparable.

Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Aucun motif d’intérêt général ne justifie de ne pas traiter de manière égale le public filmé

En cela, le cadre expérimental prévu par l’article 28 bis et 21 bis violes le principe de l’égalité devant la loi, principe qui s’impose également au cœur des dispositions à caractère expérimental.

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