CHAPITRE 1 : Revue de la littérature sur la générativité en psychologie sociale
1.1. Les pionniers
1.1.3 McAdams et de St. Aubin
1.1.3 MCADAMS ET DE ST. AUBIN
Dan P. McAdams est sûrement à ce jour l’un des auteurs les plus prolifiques sur la
générativité, comme en font foi les nombreuses études qu’il a menées sur le sujet
34. De ce
nombre, il s’est démarqué par l’apport d’une riche théorie sur la générativité, laquelle
fut développée avec son collègue Ed de St. Aubin (1992), autre chercheur s’illustrant
dans le domaine
35. La partie qui suit concerne le modèle développé par McAdams et de
St. Aubin (1992), avec un accent particulier mis sur les motivations liées à la
générativité.
Notamment inspiré des apports théoriques de Browning (1975), de Kotre (1984),
de McAdams (1985) et de Peterson et Stewart (1990), le modèle de la générativité de
McAdams et de St. Aubin (1992) se veut probablement le modèle conceptuel le plus
complet sur la générativité
36. Le modèle, tel qu’illustré à la page suivante (figure 1), est
constitué de sept caractéristiques psychosociales interreliées. Elles visent le bien-être
des générations futures et lient l’individu au monde social qui l’entoure. Une description
détaillée de chacune des caractéristiques suivra.
34 P. ex. : 1980; 1985; avec Ruetzel et Foley 1986; avec de St. Aubin 1992, 1998; avec Azarow 1996; avec
Logan, 2004; 2006.
35 P. ex. : avec McAdams 1992, 1995; avec McAdams et Kim 2004.
36 Voir Hofer, Bush, Chasiotis, Kärtner et Campos (2008) pour une version différente du modèle de
19
FIGURE 1: LES SEPT CARACTÉRISTIQUES DE LA GÉNÉRATIVITÉ (MCADAMS ET DE ST. AUBIN, 1992 : 1005)
1.1.3.1 LES DÉSIRS INTERNES
Les désirs internes sont perçus comme étant l’une des sources ultimes de la
motivation à afficher un comportement génératif, le but étant de sensibiliser la
conscience des individus au bien-être des générations futures (la préoccupation des
générations futures). Plus précisément, ces désirs sont constitués du besoin de se sentir
utile
37(need to be needed) et du désir d’immortalité symbolique.
Le besoin de se sentir utile, tel qu’élaboré par Stewart, Franz et Layton (1988),
s’exprime par le désir de prendre soin de l’autre de manière aimante, d’être présent
37 Les auteurs rappellent que la générativité a souvent été décrite comme étant une motivation, un besoin,
un désir. Pour eux, la générativité est un construit, notamment constituée de 2 types de désirs internes. La générativité ne peut donc se présenter sous la forme d’un seul désir de l’individu (1992, 1998).
20
pour lui en tout temps, et de lui venir en aide lorsque nécessaire. Le besoin de se sentir
utile, c’est en fait d’être d’une « utilité » quelconque pour les autres et d’avoir une
certaine importance à leurs yeux. Ce désir serait donc une manifestation de la tendance
communale de Bakan (1966) selon laquelle l’individu aspire à ne faire qu’un avec autrui,
d’où le besoin d’en prendre soin de manière aimante.
Le désir d’immortalité symbolique, autre désir d’importance évoqué par
McAdams et de St. Aubin (1992), rejoint l’idée de base de Kotre (1984) pour qui la
générativité vise à laisser une trace de soi positive au-delà de sa propre vie de mortel en
vue d’en faire bénéficier les générations futures. Ce concept touche également celui
d’héroïsme, décrit par Becker (1973) et cité par McAdams (1985), selon lequel le
« héros » offre un legs de soi, un cadeau, pouvant être offert à la société et aux
générations qui le suivront. Le désir d’être symboliquement immortel, c’est donc une
manière de vivre éternellement, de défier la mort en laissant son empreinte, tel un legs
ou extension de soi, de manière à rester dans la mémoire d’autrui dans le temps.
De plus, le désir d’immortalité symbolique reflète cette fois la tendance agentique
de Bakan (1966), laquelle pousse l’individu à s’affirmer et à se développer de façon
puissante et indépendante. Au regard des composantes agentiques et communales des
individus génératifs, McAdams (1986) avait d’ailleurs conclu que la générativité serait
un mélange des tendances communales et agentiques à la fois. Effectivement, par
l’emploi du Thematic Apperception Test, il a montré, avec ses collègues Ruetzel et Foley
(1986), que la combinaison de la recherche de rapports intimes (intimacy) et du pouvoir
était positivement corrélée à la générativité. L’intimité, ou besoin d’intimité, fait
référence au désir de se sentir près des autres de manière aimante (McAdams 1980), ce
qui correspond à la tendance communale. Le pouvoir, ou besoin de pouvoir, se traduit
21
par la nécessité de se sentir fort et d’avoir un impact dans le monde (Winter 1973), une
motivation plutôt liée à la tendance agentique. Cette étude illustre en fin de compte
qu’une personne hautement générative présenterait à la fois des motivations de type
communal et de type agentique.
1.1.3.2 LES DEMANDES CULTURELLES
À l’instar des désirs internes, les demandes culturelles se définissent également
comme source de motivation de la générativité, à la différence qu’il s’agit d’une source
de motivation externe. Contrairement à Erikson (1950), selon lequel la générativité
correspond à un stade psychosocial chez l’adulte, McAdams et de St. Aubin (1992)
argumentent que si la générativité apparaît vers l’âge adulte, c’est surtout dû au fait que
la société exige des uns et des autres de prendre des responsabilités vis-à-vis des
générations qui les suivent. La société exerce en quelque sorte des pressions sur l’adulte
en devenir quant aux rôles qu’il occupera en tant que parent, enseignant, mentor, leader,
etc. Les demandes culturelles sont donc normatives, visent en général le jeune adulte, et
sont le reflet de la société visée dans un temps et un espace donnés
38. À titre d’exemple,
et tel qu’argumenté par McAdams, Hart et Maruna (1998), le champ d’action que
couvrait la générativité de la femme des années 1950 aux États-Unis n’était pas le même
que pour la femme d’aujourd’hui : il était beaucoup plus restreint dans les années 1950
et visait essentiellement le domaine parental. La femme américaine d’aujourd’hui est
présente maintenant à tous les niveaux de la sphère sociétale, au même titre que
38 Chaque société diffère dans sa manière de concevoir à quel moment un individu doit prendre ses
responsabilités envers les générations futures et quels devraient être les rôles à privilégier (McAdams, Hart et Maruna 1998).
22
l’homme, ce qui n’est pas le cas d’autres sociétés où elle est encore aujourd’hui perçue
comme étant inférieure à l’homme; une situation qui pourrait avoir pour effet de
restreindre son apport sur le plan de la générativité.
1.1.3.3 LES PRÉOCCUPATIONS GÉNÉRATIVES, LA CROYANCE EN L’ESPÈCE ET L’ENGAGEMENT GÉNÉRATIF
Les sources de motivation de la générativité mentionnées précédemment avec les
désirs internes et les demandes culturelles permettent de déterminer dans quelle
mesure l’individu sera sensible à promouvoir les générations futures, c'est-à-dire son
degré de préoccupation à leur égard. Cette préoccupation des générations futures fait
référence à « une orientation ou une attitude globale au regard de la générativité dans la
vie de l’individu et le monde social »
39(McAdams et al. 1998 : 20). On s’attend donc à ce
que certaines personnes se sentent plus ou moins concernées par les générations qui les
suivront; d’où la construction d’une échelle mesurant les préoccupations génératives
des individus, la Loyola Generativity Scale (LGS) de McAdams et de St. Aubin (1992). Les
préoccupations génératives combinées à la croyance en l’espèce font en sorte que
l’individu est prêt à s’engager auprès des générations suivantes et à s’investir auprès
d’elles en menant des actions génératives, ce qui reflète, selon McAdams et de St. Aubin
(1992), la séquence idéale du processus lié à la générativité.
Plus précisément, croire en l’espèce humaine consiste à « placer sa foi dans
l’avancement et l’amélioration de la vie humaine dans les générations futures, même
23
devant de fortes preuves de destructions humaines, de privation et de dépravation »
40(Van de Water et McAdams 1989, cité dans McAdams et al. 1998 : 11). Cette croyance en
l’espèce permet à l’adulte d’avoir des buts génératifs et ainsi de s’engager auprès des
générations à venir. L’individu, maintenant prêt à s’engager auprès des plus jeunes
générations, mènera alors des actions génératives. À cet effet, les travaux de McAdams et
de St. Aubin (1992) ont permis de délimiter trois grands groupes de comportements
génératifs : a) la création; b) la préservation et c) l’offre.
Ainsi, pour que puissent bénéficier les générations futures de ce qui a été créé ou
produit (biens, idées, enfants, connaissances, etc.), l’individu génératif doit s’efforcer de
les préserver (en en prenant soin, en les cultivant, etc.), pour ensuite les offrir aux
générations qui suivent, tel un cadeau, un legs. Pour McAdams (1985), la création et la
production de bien et d’idées se veulent plus que de simples comportements
pro-sociaux ou de nature altruiste : il s’agit d’une création puissante de soi, un legs, une
extension de soi. La préservation d’une entité quelconque permet, quant à lui, d’assurer
sa continuité dans le temps (Browning 1975; Erikson 1982). Par la suite, offrir ce qui a
été créé et préservé représente un cadeau ou un legs que l’on donne aux générations
suivantes, libre de toute attache ou de possession (Becker 1973; McAdams 1985).
1.1.3.4 LA NARRATION
Le modèle de la générativité de McAdams et de St. Aubin (1992) se termine par la
narration ou le récit génératif. Il s’agit du lieu où se matérialise le sens que donne
l’individu à la générativité dans sa vie personnelle et dans le monde social qui l’entoure,
40 Traduction libre de l’anglais « is to place hope in the advancement and betterment of human life in
succeeding generations, even in the face of strong evidence of human destructiveness, deprivation, and depravity. »
24