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LA MATIÈRE ORGANIQUE DES SOLS ET SA RÉACTIVITÉ 1.1 Classication de la matière organique des sols

Préambule : notion de réactivité

CHAPITRE 1. LA MATIÈRE ORGANIQUE DES SOLS ET SA RÉACTIVITÉ 1.1 Classication de la matière organique des sols

Fort de ces considérations sur la dénition de la réactivité, nous proposons de passer en revue les diérents constituants réactifs du sol. Nous attacherons donc de l'importance à présenter diérents modèles structuraux des constituants de la MO, en notant les sites réactifs qu'ils présentent.

Les sols sont constitués d'une phase minérale et d'une phase organique. La matière organique (MO) provient des organismes vivants (biomasse) contenus dans les sols et de la décomposition de la matière organique morte (nécromasse), notamment d'origine végétale. En milieu agricole ou urbain, il faut y ajouter les sources anthropiques de MO (engrais, hydrocarbures, xénobiotiques...). La MO constitue un réservoir biogéochimique en carbone (C). Ce C peut être remis en circulation dans l'atmosphère sous forme de dioxyde de carbone (CO2) ou associé à d'autres éléments (oxygène (O), hydrogène (H), phosphore (P), azote (N), soufre (S)) pour former des substrats nécessaires aux végétaux supérieurs. Au cours du processus, une partie du C est assimilée dans les tissus microbiens (i.e. à la biomasse microbienne du sol), l'autre est converti en humus stable. Une portion de l'humus stable connait une minéralisation (décomposition en ions, CO2 et H2O), et par conséquent le bilan de masse en carbone organique total (COT) est maintenu à un état stationnaire, caractéristique du sol étudié et de son système de gestion (Stevenson, 1994). En fonction du type de sol, le rapport entre les fractions organiques et minérales peut varier (cf. tableau 1.1). Même si la fraction organique n'est pas majoritaire, elle constitue un pool hautement réactif. Les minéraux connaissent également quelques familles réactives (calcaires, argiles et oxydes métalliques), mais ne seront par décrits ici.

Table 1.1 Teneur massique en matière organique (MO) pour diérents types de sols (secs), sur une pro-fondeur de 15 cm. D'aprèsStevenson(1994),Badin(2009) et Matynia et al. (2009)

On classe généralement la matière organique des sols en cinq familles ou pools, qui dièrent par leur susceptibilité à être décomposé par les microbes du sol. Chaque pool possède un temps de décomposition propre, ou turnover caractéristique : τ [en années]. Le turnover peut être interprété comme le temps moyen nécessaire à un atome de carbone pour changer de réservoir de stockage, i.e. passer d'un pool à un autre.Stevenson(1994) diérencie ainsi :

1. La litière (τ ≈1 an)

2. La fraction légère (τ ≈1 an)

3. La biomasse microbienne (τ ≈25 ans -en zone tempérée-) 4. L'humus (ou matière organique stable) (τ ≈100 à 1500 ans)

5. Les matières organiques dissoutes (ou DOM pour dissolved organic matter)

Notons que les végétaux supérieurs (arbres, plantes) ne sont pas inclus dans la MO du sol.

D'un point de vue agronomique, la MO est souvent divisée en deux pools : active (ou labile) et stable1. Par la suite, nous utiliserons peu cette distinction active/passive, qui a un intérêt marqué dans un cadre agronomique, mais limité hors de ce cadre. .

1. Le premier groupe (labile) contient la litière, la fraction légère (détaillées ci-après), la biomasse et les substances non-humiques non liées à des constituants minéraux. La phase labile contient ainsi des molécules utilisables directement

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1.1.1 La litière

La litière est dénie comme la matière macroorganique déposée sur le sol (e.g. feuilles mortes, brindilles, végétaux ou animaux morts...). Elle est particulièrement importante dans le cycle des nutriments (N, P, S, et des éléments traces métalliques -ETM-) dans les sols forestiers, les prairies naturelles ainsi que dans les sols issus de l'assainissement urbain colonisés par les plantes (bassins de rétention végétalisés)Stevenson (1994); Saulais et al. (2008). Sur les sols cultivés, les quantités de litières sont très faibles. Les résidus organiques sont généralement enfouis par les travaux de préparation des sols et la litière se trouve incorporée dans la fraction légère. Avec des pratiques de labour moins intensives -ou sans intervention humaine-, de plus grandes quantités de débris végétaux peuvent rester à même le sol plus longtemps pour nalement être incorporées à la surface du sol par décomposition partielle ou via l'activité de la macrofaune. La quantité de litière s'évalue générale-ment en collectant la matière macroorganique sur une surface d'échantillonnage représentative de l'écosystème étudié. Le dépôt de litière s'exprime le plus souvent en [g.m−2.an−1].

1.1.2 La fraction légère

La fraction légère est principalement formée de résidus de plantes à diérents stades de décom-position, mixés dans le sol proprement dit (et non déposés à sa surface). Cette décomposition peut être attribuée en partie à la macrofaune (excréments, digestion par les vers). La fraction légère a été utilisée comme un indicateur des changements dans la matière organique labile, étant aectée par les labours, la rotation des cultures, et les facteurs environnementaux aectant l'activité microbienne (Janzen et al., 1992). Il est très important de souligner que la fraction légère a un turnover rapide (turnover de l'ordre de l'année, contre plusieurs siècles pour l'humus stable ! -Stevenson (1994)) comparé au reste de la MO du sol. Cela est du au fait que la fraction légère est rapidement utilisée par les plantes pour leur développement, car elle est facilement assimilable.Janzen et al.(1992) ont montré que le pourcentage de la fraction légère pouvait varié de 2 à 17.5% sur des sols agricoles. Comme on peut s'y attendre, la quantité de fraction légère va uctuer au cours des saisons, est sera plus importante après l'incorporation de résidus de cultures dans les sillons de labour. Les facteurs inuençant la fraction légère incluent la quantité de litière produite et son taux de décomposition, lui même aecté par les variables physico-chimiques du sol (pH, température, texture et humidité). Chimiquement, l'analyse en 13C-RMN de la fraction légère est très proche de celle de la litière (Skjemstad et al.,1986) ce qui montre que les processus avancés de décomposition et transformation n'ont pas encore eu lieu. Ces processus de décomposition vont être permis grâce à l'activité de la biomasse microbienne du sol, comme nous le verrons à la section suivante.

La description des fractions organiques de subsurface, litière et fraction légère, est nécessaire à la compréhension du fonctionnement de la biomasse microbienne et à la genèse des substances humiques. Pourtant, ces deux phases, litière et fraction légère, ne constituent pas un pool réactif majeur dans les sols. En eet, la litière n'est pas considérée comme un possible réservoir de stockage des ETM dans le sol à proprement parler, du fait de sa localisation en surface, et de la possibilité de son déplacement (transport éolien ou anthropique) ; quant à la fraction légère, c'est son temps de résidence très court dans le sol qui conditionne sa non-disponibilité pour une éventuelle rétention de métaux. La fraction légère sera rapidement dégradée par la microfaune du sol, utilisée comme substrat lors de la biosynthèse (cf. section 1.2.3) ou réarrangée en substances humiques -SH- (cf. section 1.2.4).

comme source de nutriments (N, P, et S) pour les plantes. La fraction stable (i.e. humus passif) quant à elle est un réservoir "indirect" de nutriments pour les plantes, non utilisable sans une décomposition préalable en molécules assimilables.

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1.1.3 La biomasse microbienne

Une grande diversité de microorganismes colonise les sols. Les microbes du sol sont représentés par les bactéries (les actinomycètes étant les plus nombreuses : typiquement 1-9*108 bact./g), les champignons (10-20*106 champ./g), les algues (moins nombreuses et plus sensibles au taux d'humi-dication, de 10000 à 3*106 algue/g), et les protozoaires (jusqu'à 106 protoz./g) (Islam and Wright,

2006;Stevenson,1994). Islam and Wright(2006) estiment que le total de la biomasse d'un mollisol fertile est de 180 à 2500 g/m2. En terme de diversité, 1 g de sol contient plusieurs milliers de diérents génomes bactériens autour de 4000 (Torsvik et al.,1990). L'activité microbienne est particulièrement forte au sein de la rhizosphère (interface racines des plantes/sols), car les microorganismes peuvent bénécier des excrétions racinaires comme substrats (sève sucrée) et en contre partie produisent des nutriments pour les plantes. La majorité des microorganismes du sol sont capables de se développer en conditions anaérobies, mais se développent préférentiellement en aérobie dans les 5 à 15 premiers cm du sol. Enn, l'activité microbienne est complétée par celle de la macrofaune du sol (vers) : nématodes (jusqu'à 50/g) et lombrics (de l'ordre de 200 vers/m2).

La biomasse microbienne joue un double rôle dans le sol :

(i) Elle agit comme un agent de décomposition des résidus de plantes, et parallèlement, relargue des nutriments

(ii) Elle constitue elle-même un pool labile de nutriments.

L'apport de C de la biomasse microbienne représente, pour la plupart des sols, de 1 à 3% du carbone organique total (COT) (Stevenson, 1994) ce qui équivaut pour Islam and Wright (2006) à 40 à 500 g de biomasse/m2 de sol. Bien que cette valeur puisse paraître faible, il faut garder à l'esprit que la microfaune joue le rôle d'une véritable usine biologique, et que sans son activité de décomposition, les autres phases organiques du sol ne pourraient pas évoluer. Ainsi, une fois la nécromasse incorporée dans le sol, elle va être consommée par diérents organismes décomposeurs du sol (bactéries, champignons, arthropodes) qui permettent sa fragmentation, sa digestion et son incorporation dans la MO du sol. Cette décomposition se fait selon trois processus :

1. La minéralisation, qui aboutit à la décomposition de la MO morte en ions, CO2 et H20. 2. La biosynthèse, conduisant à la production des macromolécules du biolm.

3. L'humication, permettant la synthèse des substances humiques (SH).

La gure 1.3 détaille le bilan de matière de C sur la biomasse microbienne. Le ux entrant de C organique (cf. èches verte gure 1.3) provient de la fraction légère (dégradation de la litière en petites molécules, via l'activité enzymatique du milieu). Les ux sortants de C organique sont générés par la respiration/minéralisation, et la production d'humus stable par la biosynthèse et l'humication (cf. èches rouges gure 1.3). La respiration/minéralisation produit des ions (réutilisés comme nutriments par les plantes), du CO2, de l'eau et de l'énergie (e.g. ATP). Cette énergie va être utilisée lors de la biosynthèse de molécules organiques. Parallèlement à la biosynthèse, l'activité microbienne permet la synthèse des substances humiques. Enn, une partie de C organique libéré par la lyse cellulaire va être réassimilé par les microbes (cf. èches noires gure 1.3).

Le terme humus stable désigne l'ensemble des molécules synthétisées par les microbes ayant un lent turnover, c'est à dire les substances humiques (SH) et certains produits persistants de la bio-synthèse (en particulier certains EPS, en moindre mesure certaines protéines). Les acides nucléiques et les lipides issus de la lyse cellulaire sont connus pour être rapidement réassimilés par les microbes comme source de C organique.Humus = SH + EPS (et autres biomolécules stables) .

Nous détaillerons au chapitre 2 les molécules organiques issus de la biosynthèse et formant le biolm.

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Figure 1.3 L'activité microbienne, au cœur de la production de la matière organique réactive des sols. La litière et la fraction légère apporte le C organique nécessaire aux microbes pour la minéralisation d'une part, et la biosynthèse et l'humication d'autre part, constituant l'humus. Les diérents pools de la MO du sol sont représentés en italique

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1.1.4 Les substances humiques

L'humus stable (ou substances humiques -SH-) est composé de macromolécules organiques prin-cipalement constitués de C, H, O et accessoirement de N, P et S. Opérationnellement, sur la base de leur solubilité en fonction du pH, on dénit trois classes de SH dont les méthodes d'extraction des sols a été normalisée par l'International Humic Substance SocietySwift(1996) :

1. Les acides fulviques (FA), solubles quelque soit le pH, de couleur jaune et d'un poids moléculaire (PM) de 500 à 5000 Da.

2. Les acides humiques (HA), solubles pour un pH > 2, de couleur proche du noir et d'un PM≈ 10 000 à 100 000 Da.

3. L'humine, insoluble quelque soit le pH, de couleur brun foncé d'un PM≈100 000 à 106 Da. Une fois synthétisés, les SH vont se stocker dans les horizons supérieurs du sol, et s'accumuler par sédimentation. Associés aux molécules persistances issues de la biosynthèse (principalement EPS), ils vont constituer l'humus stable (les molécules biosynthétisées non persistantes issues de la lyse cellulaire étant recyclées par les microbes ne sont donc pas constitutives de l'humus). Ce sont les substances humiques qui confèrent à la terre sa couleur brune typique. Cette pigmentation est notamment due à la richesse de groupements aromatiques dans les structures moléculaires des SH.

Chimiquement, les SH sont des macromolécules polyfonctionnelles contenant 10 à 50% de com-posés phénoliques ou benzoïque, et de 30 à 50% de chaînes peptidiques et de polysaccharides. Cela s'explique par leur mécanisme de formation : ce sont les produits de condensation des débris de lignine (riches en phénols et acides benzoïques) et des résidus de biomolécules comme les protéines ou les sucres. Par conséquent, les SH présentent de nombreux groupements fonctionnels oxygénés : acides carboxyliques (≡COOH) (où le symbole ≡ représente l'attachement à la macromolécule -ou surface réactive-) et hydroxydes (≡OH) ; et dans une moindre mesure, des groupements amines (≡NH2), thiols (≡SH) et acides sulfoniques (≡SO3H).

Les gures 1.4 et 1.5 présentent des exemples de modèles structuraux de SH. On observe bien la richesse en noyaux aromatiques phénoliques et benzoïque de ces structures, liés entre eux par des chaînes aliphatiques. Les principaux groupes fonctionnels réactifs sont les acides carboxyliques (≡COOH) et les alcools phénoliques (≡φOH). Malgré la grande diversité des structures existante entre les SH (cf. gures 1.4 et 1.5), les SH présentent des propriétés acidobasiques caractéristiques assez similaires. En eet, les SH sont capables d'échanger des protons en solution, grâce à leur sites ≡COOH et ≡φOH. Ainsi, les courbes de titrages acide-base des substances humiques présentent typiquement deux points d'équivalence : le premier correspondant au titrage des groupements car-boxyliques ayant un pKa≈4, le second correspondant au titrage des groupements phénoliques ayant un pKa≈9 (cf. gure 1.6).

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Figure 1.5 Modèle structural d'acide humique d'aprèsSchulten and Schnitzer (1993)

Figure 1.6 Courbes de titrage des acides humiques (HA) extraits des tourbes Carex peat (CP) Sphagum Peat (SP). Les symboles et les lignes pleines réfèrent respectivement aux données expérimentales et à la modélisation par modèle non-électrostatique. On observe bien les deux sauts de pH lors du titrage, correspondant aux dosages des sites carboxyliques (de pKa≈4) et phénolique (de pKa≈9). D'après Matynia et al. (2009)

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1.1.5 Les matières organiques dissoutes -DOM- et les colloïdes

En milieu aqueux, une partie de la MO passe en solution. Cette matière organique dissoute (DOM) est connue pour son rôle dans la mobilité et la biodisponibilité des ETM (Citeau,2004). Il est donc important d'évaluer et de caractériser les concentrations en DOM lors de l'évaluation du transport en milieu poreux.

Il existe diérents critères permettant de diérencier la DOM et les colloïdes. On peut distinguer la fraction colloïdale de la fraction dissoute en fonctions de leurs propriétés de sédimentation. On dénit alors les colloïdes comme étant les particules pouvant sédimenter, en dénissant une limite de temps de centrifugation à une puissance donnée. Certains auteurs considèrent que la fraction col-loïdale contient toutes les particules pour lesquelles un eet électrostatique doit être pris en compte dans leurs propriétés en solution, la DOM étant donc l'ensemble des particules décrites par un comportement non-électrostatique en solution. Enn, la taille est le troisième critère permettant de dénir DOM et colloïdes. La gure 1.7 présente la classication des particules, colloïdes et solutés en fonction de leur taille (d'aprèsLead and Wilkinson(2006)). Le critère utilisé ici est une limite de taille, séparant le dissout (soluté) du colloïdal à 1nm. Ainsi, les macromolécules de taille supérieure à 10 Å sont considérées comme colloïdales, les autres sont dissoutes.

Figure 1.7 Distribution de la taille des particules, colloïdes et solutés organiques et inorganiques en milieu aqueux, d'aprèsLead and Wilkinson(2006)

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