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1) Essais mis en place

a) Expérimentation 1 : vins blancs

L’expérimentation a été menée à partir d’un vin blanc de Bordeaux du millésime 2007, issu du cépage Sauvignon blanc et provenant de sols argilo-calcaires. Le moût obtenu après le pressurage (63 hL) est débourbé à 200 NTU et ensemencé à l’aide de la levure Zymaflore X5 de la société Laffort à 10 g/hL. Le taux d’azote assimilable est amené à 200 mg/L par ajout de sulfate d’ammonium. Le début de la fermentation alcoolique est effectué dans une cuve en béton. Après une baisse de densité de 0.02, le moût est aéré et distribué dans 4 types de contenants différents (série 1) :

- Modalité 1 : cuve en inox de 4 hL

- Modalité 2 : 1 cuve tronconique neuve en bois de chêne sessile de 50hL - Modalité 3 : 2 barriques usagées (1 an) de 2.25 hL en bois de chêne sessile - Modalité 4 : 2 barriques neuves de 2.25 hL en bois de chêne sessile

A l’issue de la fermentation alcoolique, les vins sont conservés sur lies totales et le prélèvement des échantillons a eu lieu après cinq mois d’élevage. Pour les modalités dupliquées (barriques), l’échantillon est prélevé en utilisant les deux barriques de chaque lot à part égale.

b) Expérimentation 2 : vins rouges

L’expérimentation a été menée à partir d’un vin rouge de Crozes-Hermitage du millésime 2008, issu du cépage Syrah et provenant de sols argileux et caillouteux. La vinification s’est déroulée en cuve inox, et à l’issue de la fermentation malo-lactique, le vin a été distribué dans 4 types de contenants (série 2) :

- Modalité 1 : 1 cuve tronconique usagée (1 an) en bois de chêne sessile de 85 hL - Modalité 2 : 2 barriques usagées (2 ans) de 2.25 hL en bois de chêne sessile

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- Modalité 3 : 2 barriques usagées (1 an) de 2.25 hL en bois de chêne sessile - Modalité 4 : 2 barriques neuves de 2.25 hL en bois de chêne sessile

Le prélèvement des échantillons est réalisé après 12 mois d’élevage. Pour les modalités dupliquées (barriques), l’échantillon est prélevé en utilisant les deux barriques de chaque lot à part égale.

2) Analyse sensorielle

a) Test de classement par rangs - Test de Friedman

Le test sensoriel utilisé pour ces essais est le test de classement par rangs, dont le principe a été décrit au chapitre 1. En revanche, le traitement statistique appliqué diffère. Le but de cette expérimentation est d’étudier l’influence de la nature du contenant sur la perception de la sucrosité, il n’existe donc pas clairement de hiérarchie supposée entre les modalités. L’AFNOR préconise l’utilisation du test de Friedman pour l’analyse des résultats.

A l’instar du test de Page, il s’agit d’un test non paramétrique largement utilisé en analyse sensorielle. Les p modalités sont classées par ordre croissant par les n sujets et les sommes de rangs

R

1,

R

2

R

p, sont déterminées. On calcule la valeur

F

:

,  12 ∑ .i²

 

. .   13. .   1

On compare alors

F

à la valeur Λ lue dans la table du χ² à (p – 1) degrés de liberté.

- Si

F

> Λ, les produits sont considérés comme étant significativement différents. - Si

F

≤ Λ, les produits sont considérés comme n’étant pas différenciables.

Si le test est globalement significatif, il est alors possible d’effectuer une comparaison multiple des sommes de rangs afin de déterminer la différence éventuelle des échantillons deux à deux. On compare en effet la valeur absolue de la différence entre les sommes de rangs de deux produits à la valeur δ calculée comme suit :

0  1.96. .   1 6⁄

- Si │

Ri – Rj

│ >

δ

, les modalités i et j sont considérées comme différentes au risque de 5 %.

41 b) Conditions et panels utilisés

Dans le cadre de l’expérimentation 1 (vins blancs), le panel utilisé est constitué de 32 dégustateurs du Diplôme Universitaire d’Aptitude à la Dégustation (DUAD).

Pour l’expérimentation 2 (vins rouges), le panel est constitué de 28 dégustateurs travaillant dans les laboratoires de l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV).

Les vins sont présentés dans des verres noirs de type AFNOR, à 12°C pour les vins blancs et à 16°C pour les vins rouges. Les dégustations ont lieu dans la salle de dégustation de la Faculté d’œnologie, climatisée à 20°C.

Tableau 9 - Panels et modalités utilisés pour l’analyse sensorielle de l’influence du contenant sur la sucrosité.

Vin Panel Modalité 1 Modalité 2 Modalité 3 Modalité 4

Bordeaux blanc 2007 (série 1) 32 dégustateurs DUAD Cuve inox 4 hL Cuve bois 50hL Barriques 1 an Barriques neuves Crozes-Hermitage rouge 2008 (série 2) 28 dégustateurs ISVV Cuve bois 85 hL Barriques 2 ans Barriques 1 an Barriques neuves

B) Résultats

1) Dans les vins blancs (expérimentation 1)

L’homogénéisation du moût au cours du remplissage des différents contenants permet d’obtenir une turbidité similaire pour les quatre modalités. Par conséquent, les cinétiques de fermentation observées sont très proches pour les différents lots. Les données analytiques de base sont similaires pour chacun des échantillons (12.3 % d’éthanol, 5.9 g/L de glycérol, environ 170 mg/L de glucose+fructose).

En outre, l’utilisation d’une cuve inox de petit volume permet de conserver les vins sur lies totales pendant l’élevage sans noter l’apparition des notes de réduction rencontrées généralement pour les grandes cuves en inox.

La seule différence entre les modalités porte donc sur la nature du contenant d’élaboration. Les résultats de la dégustation sont présentés au tableau 10 ci-dessous :

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Tableau 10 - Résultats du test de classement par rangs pour les expérimentations 1 et 2.

Vin

R

1

R

2

R

3

R

4

F Λ

à 5 %

Λ

à 1 % Résultat

Bordeaux blanc

2007 52 73 90 105 30.63 7.81 11.34 Significatif à 1 % Crozes-Hermitage

rouge 2008 52 71 74 83 10.93 7.81 11.34 Significatif à 5 %

Les résultats obtenus montrent que le test est significatif au seuil de 1 % : les dégustateurs ont été capables de distinguer les différentes modalités et de les classer selon l’intensité de leur sucrosité. La somme des rangs la plus importante a été attribuée à la modalité « barriques neuves ».

En outre, on calcule

δ

= 20.24. On en déduit que :

- la modalité 1 est distinguée de toutes les autres modalités

- la modalité 2 est également distinguée de la modalité 4, mais pas de la 3 - la modalité 3 n’est pas distinguée de la modalité 4

2) Dans les vins rouges (expérimentation 2)

Les différentes modalités ont été créées à l’issue des processus fermentaires. Par conséquent, les données analytiques de base sont également très proches (13.1 % d’éthanol, 6.9 g/L de glycérol, environ 220 mg/L de glucose+fructose).

Par ailleurs, les vins ont été soutirés une fois au cours de leur élevage, et remis dans leur contenant initial.

Les échantillons ne diffèrent donc que par la nature de leur contenant d’élevage.

Cette expérimentation ne comporte pas de modalité élevée uniquement en inox car cette cuvée est traditionnellement élaborée sous bois.

Le test de Friedman appliqué aux résultats présentés dans le tableau 10 permet de montrer que les échantillons ont été différenciés au seuil de 5 % par les dégustateurs. Le test est donc statistiquement significatif : un classement de la sucrosité perçue s’établit entre les modalités. L’échantillon possédant la somme des rangs la plus élevée correspond aux barriques neuves.

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On en déduit que seule la modalité 1 (cuve bois) est différenciée nettement des trois autres (barriques).

C) Discussion

Pour les deux expériences, les échantillons ont été distingués et classés de façon statistiquement significative par les dégustateurs. Les résultats obtenus mettent en évidence une influence de la nature du contenant d’élaboration sur la perception de la sucrosité des vins blancs comme des vins rouges.

Le seuil de significativité est de 1 % dans le cas des vins blancs et de 5 % dans le cas des vins rouges. Cette différence peut être liée à un effet matrice : l’équilibre gustatif des vins rouges fait intervenir de nombreux composés amers et astringents. Il est en ce sens plus complexe que celui des vins blancs. En outre, 2008 est considéré comme un millésime de qualité passable dans l’appellation Crozes-Hermitage, et les vins dégustés présentaient tous une certaine astringence en bouche qui a pu gêner les dégustateurs. Par ailleurs, le panel de l’expérimentation 1, plus habitué à la dégustation, est plus fiable.

Toutefois, l’intérêt de ces essais réside essentiellement dans la comparaison des échantillons au sein d’une même expérimentation. Il apparaît qu’à l’instar des lies de levures, la nature du contenant d’élaboration influence notablement la sucrosité des vins.

Dans l’expérimentation 1, le vin élaboré en cuve inox est perçu comme significativement moins sucré que tous les autres. Les deux modalités « barriques » sont au contraire décrites comme étant les plus intenses. La modalité « cuve en chêne de 50hL » n’est pas différenciée de la modalité « barriques usagées », bien qu’étant moins sucrée que les modalités « barriques neuves » selon les dégustateurs. Il faut noter toutefois que le test de classement par rangs n’a pas pour finalité première la différenciation des échantillons deux à deux, car le nombre des modalités tend à compliquer la dégustation et ainsi à diminuer le contraste entre ces dernières. Le test triangulaire aurait été mieux adapté si l’objectif de l’étude avait été d’évaluer la différence éventuelle entre deux échantillons.

De la même façon, pour l’expérimentation 2, la différence entre les vins élevés en barrique n’atteint pas le seuil de significativité, bien que la somme des rangs diminue lorsque l’âge des barriques augmente. La modalité « cuve bois » présente une sucrosité moindre selon les dégustateurs.

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De façon générale, ces résultats montrent que la sucrosité des vins augmente au contact du bois ; elle est plus intense en barrique qu’en cuve et tend à décroître avec l’âge du contenant.

Ces conclusions suggèrent ainsi l’existence de composés provenant du bois de chêne et participant à la saveur sucrée des vins secs. Ces molécules sont vraisemblablement extraites par le vin au cours de l’élevage. Leur nature et leur structure moléculaire n’ont jamais été établies.

Or, l’élaboration des vins sous bois conduit à la libération de molécules volatiles telles que la vanilline ou la whisky-lactone, dont les descripteurs aromatiques sont généralement associés à des goûts sucrés dans l’alimentation. Ces composés pourraient alors contribuer non au goût, au strict sens physiologique du terme, mais à la « représentation sucrée » construite dans le cerveau du dégustateur. L’étude d’éventuelles interactions entre ces arômes et le goût du vin permettra d’appréhender la nature volatile ou non-volatile des déterminants moléculaires de l’édulcoration conférée par le bois de chêne.

III) Incidence des composés volatils libérés par le bois de chêne sur

la sucrosité

L’étude de l’effet des composés volatils associés à l’élevage en barrique sur la sucrosité est justifiée par les nombreux cas d’interactions odeur/goût rapportés dans la littérature. La stratégie mise en place pour cette étude est double. Elle repose d’une part sur l’addition de ces composés dans un vin non boisé. Parallèlement, leur dosage dans les vins issus de contenants différents est réalisé, puis ils sont ajoutés aux différentes modalités de façon à obtenir des concentrations identiques d’un échantillon à l’autre.