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Variation intra-individuelle

2. Matériel et méthodes

La répétabilité des mesures de phototactisme a été réalisée à la fois sur des gammares naturellement infectés et sur des individus infectés expérimentalement au laboratoire. Cette répétabilité a été mesurée à court terme uniquement.

Les gammares naturellement infectés ont été récoltés en mars 2007 dans la rivière Ouche. Les infections expérimentales ont été menées en octobre 2007 suivant le protocole décrit dans la section Méthode : Procédure générale d’infestation expérimentale. Les détails de l’infection sont également décrits dans le Chapitre 2A et dans l’article correspondant à cette expérience d’infection.

Pour les individus naturellement infectés, le phototactisme a été mesuré 4 fois consécutives pour chaque individu, le lendemain de l’échantillonnage, et suivant le protocole décrit dans la section Méthode : Procédure générale d’infestation expérimentale. Après chaque mesure, le gammare a été replacé individuellement dans un récipient pendant 5 minutes, avant d’être à nouveau testé (5 minutes d’acclimatation puis 5 minutes de mesure).

Pour les individus issus des infections expérimentales, le phototactisme a été mesuré deux fois, avec également une pause de 5 minutes entre les deux mesures. De plus, la répétabilité des mesures a cette fois été évaluée à deux stades de développement du parasite, le stade

‘cystacanthe jeune’ et le stade ‘cystacanthe âgé’, 15 jours après la première mesure.

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Les scores de phototactisme ne répondant à aucun critère rendant des analyses paramétriques possibles, la décomposition de la variance par la méthode d’ANOVA (Aragaki et Meffert 1998) est impossible. Dans ce cas, on considère que la répétabilité est forte si la corrélation non paramétrique entre les deux scores obtenus par un même individu est forte.

3. Résultats

3.1. Individus naturellement infectés

Les résultats des corrélations non paramétriques entre les différentes mesures effectuées sur les individus naturellement infectés et les témoins sains sont présentés dans les tableaux 1a et 1b. Chez les individus infectés, les corrélations entre les différentes mesures sont toutes fortement significatives. Les coefficients de corrélation sont également relativement forts (compris entre 0.62 et 0.80) (Figure 1), ce qui signifie que le degré de manipulation est stable chez un individu donné, au moins sur la période de temps observée (40 minutes). Pour les individus sains, le comportement est également répétable dans l’ensemble, mais les corrélations entre les différentes mesures sont nettement moins bonnes que pour les individus infectés, et les deux mesures les plus éloignées dans le temps (la mesure 1 et la mesure 4) ne sont pas corrélées (Figure 1).

Tableau 1a : Corrélations de Spearman entre les 4 mesures de phototactisme réalisées sur chaque individu naturellement infecté. La correction de Bonferroni indique que la probabilité doit être inférieure à 0,008, donc toutes les corrélations sont significatives.

Variable 1 Variable 2 Spearman Rho P

mesure 1 mesure 2 0,7756 <0,0001

mesure 1 mesure 3 0,6436 0,0004

mesure 1 mesure 4 0,6338 0,0005

mesure 2 mesure 3 0,6251 0,0006

mesure 2 mesure 4 0,6207 0,0007

mesure 3 mesure 4 0,8088 <0,0001

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Tableau 1b : Corrélations de Spearman entre les 4 mesures de phototactisme réalisées sur chaque individu sain.

La correction de Bonferroni indique que la probabilité doit être inférieure à 0,008, donc seule la corrélation entre la mesure 1 et la mesure 4 n’est pas significative.

Variable 1 Variable 2 Spearman Rho P

Score de phototactisme 1 Score de phototactisme 2

a b

c d

Figure 1 : Relation entre deux scores de phototactisme mesurés à plusieurs minutes d’intervalle, chez les mêmes individus de G. pulex, soit non infectés (a, c), soit naturellement infectés par P. laevis (b, d). Pour chaque valeur, la taille de chaque point est proportionnelle au nombre d’individus (1 individu pour les plus petits points à 45 individus pour le plus grand, aux coordonnées 0,0, représenté en grisé). Pour chaque catégorie d’infection, seules les illustrations des corrélations les plus fortes (a, b) et les plus faible (c, d) sont représentées.

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3.2. Individus expérimentalement infectés

Les résultats des corrélations effectuées sur les individus expérimentalement infectés et les témoins sains sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2 : Corrélations de Spearman entre les deux mesures de phototactisme réalisées sur les individus expérimentalement infectés et sains, au stade ‘jeune cystacanthe’ (mesure 1) et au stade ‘cystacanthe mature’

(mesure 2).

Individus Spearman Rho Prob>|Rho

Infectés mesure 1 0,4295 0,0015 Infectés mesure 2 0,5317 <,0001

Sains mesure 1 0,3491 0,0272

Sains mesure 2 0,2752 0,2272

Comme précédemment, la répétabilité est bien meilleure pour les individus infectés que pour les individus sains. Chez les individus infectés, la corrélation entre les deux scores est meilleure au stade ‘cystacanthe âgé’ qu’au stade ‘cystacanthe jeune’ (Figure 2, Tableau 2).

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Figure 2 : Relation entre les deux scores de phototactisme, mesurés à 10 minutes d’intervalle, chez les mêmes individus G. pulex expérimentalement infectés par P. laevis, aux stades ‘jeune cystacanthe’ (a) et

‘cystacanthe mature’ (b). Pour chaque valeur, la taille de chaque point est proportionnelle au nombre d’individus (1 individu pour les plus petits points à 14 individus pour le plus grand).

En revanche, les mesures effectuées à ces deux stades de développement sur les mêmes individus (c'est-à-dire à 15 jours d’intervalle) ne sont pas significativement corrélées entre

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elles (ρ = 0,27, p = 0,23). D’autre part, la répétabilité au stade ‘cystacanthe âgé’ chez les individus expérimentalement infectés reste globalement inférieure à la répétabilité mesurée chez les individus naturellement infectés, et ce pour toutes les corrélations entre les quatre mesures différentes.

4. Discussion

Etant donné les corrélations relativement fortes trouvées entre différentes mesures de phototactisme réalisées séquentiellement, le comportement des individus infectés par P. laevis apparaît donc comme étant répétable. En revanche, la répétabilité des mesures de phototactisme chez les individus sains est globalement moins bonne. Il est intéressant de noter qu’un résultat similaire avait déjà été obtenu pour le même genre de comportement mais chez un autre modèle hôte-parasite, dans l’association isopode/acanthocéphale Asellus aquaticus/Acanthocephalus anguillae (J. Clicoteaux et N. Franceschi, résultats non publiés).

Il est donc possible que la variabilité intra-individuelle existant normalement chez les individus sains soit amoindrie par la manipulation du parasite, entraînant ainsi une plus grande constance des comportements et des choix chez les individus parasités. Il est également à noter que la gamme de variation est plus réduite chez les individus sains, l’écrasante majorité des individus montrant une très forte photophobie, ce qui peut expliquer des valeurs moindres de corrélation entre les différentes mesures.

Dans notre étude, il semble donc que, chez un individu parasité donné, la manipulation soit relativement stable à court terme. Ce phénomène semble même s’accentuer lorsque l’âge de l’infection augmente. La corrélation entre deux scores est en effet meilleure au stade

‘cystacanthe âgé’, que lorsque le stade cystacanthe vient juste d’être atteint. Les mesures de phototactisme sont donc répétables, mais il est difficile de savoir sur quelle période de temps cette répétabilité se maintient. En effet, on sait que la manipulation augmente au cours du

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temps, l’âge du parasite étant déterminant pour l’intensité de la manipulation induite chez l’hôte (Figure 2, et voir Chapitre 1B). De plus, le niveau de répétabilité enregistré au stade

‘cystacanthe jeune’ chez un individu donné ne permet pas de prédire le niveau de répétabilité 15 jours plus tard (stade ‘cystacanthe âgé’) puisqu’il n’y a aucune corrélation entre les deux.

Au stade ‘cystacanthe âgé’, la répétabilité enregistrée pour les individus expérimentalement infectés reste moins forte que celle enregistrée chez les individus naturellement infectés. Dans les infections expérimentales, la plupart des individus montrent des scores de phototactisme forts et stables entre deux mesures, mais le comportement des individus intermédiaires semble assez imprévisible (Figure 2). Les scores de ces individus intermédiaires semblent plus stables dans le temps dans le cas des infections naturelles (Figure 1). Ce phénomène est difficile à expliquer. Une hypothèse possible serait que les infections naturelles seraient plus âgées que les infections expérimentales explorées ici, et que la manipulation du comportement se soit stabilisée. Cette hypothèse est néanmoins peu probable, car la manipulation comportementale induite par P. laevis augmente le risque de prédation (Lagrue et al. 2007), et les infections naturelles ne se maintiennent donc sans doute pas longtemps, les amphipodes étant prédatés rapidement après l’apparition du stade cystacanthe et donc de la manipulation. Une autre hypothèse envisageable est que les infections expérimentales permettent à une plus forte proportion d’œufs d’entrer en contact avec les gammares, et permettent donc sans doute d’augmenter la proportion de parasites infectant leurs hôtes. Dans la nature, en effet, les œufs sont dispersés au gré des courants, et l’infection doit être beaucoup plus improbable que dans les conditions contrôlées du laboratoire. Il est donc possible que ce phénomène permette une plus grande variabilité au niveau de la répétabilité au laboratoire que dans la nature, où seule une faible fraction des œufs s’établit dans un hôte.

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La répétabilité intra-individuelle à court terme est donc plutôt bonne, et nous avons considéré dans la suite de nos expériences qu’une seule mesure de phototactisme était représentative de l’état de manipulation d’un gammare infecté par P. laevis, à un moment donné. Il est cependant difficile de savoir sur combien de temps la manipulation est répétable.

A l’échelle de plusieurs semaines, on ne peut plus parler de répétabilité entre deux mesures de phototactisme, puisque l’intensité de la manipulation augmente avec le temps, comme le suggère la Figure 2, et comme nous allons le montrer dans la section suivante.

Avec des individus naturellement infectés, il est impossible de comparer le niveau de manipulation entre différentes populations, car le stade de développement des parasites n’est pas contrôlé. C’est pour cette raison que les infections expérimentales présentent un intérêt particulier dans ce cadre, car elles permettent de contrôler l’âge des parasites et donc d’appréhender plus finement l’intensité des changements de comportement observés à un stade donné du développement des parasites.

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B - Variation en fonction de l’âge du parasite et de l’intensité de l’infection

Comme nous l’avons évoqué en introduction, le stade de développement du parasite et l’intensité de l’infection sont susceptibles d’engendrer une variation intra-individuelle dans l’intensité de la manipulation. Dans l’étude qui suit, nous avons donc étudié ces deux paramètres, en infestant expérimentalement des amphipodes naïfs avec deux populations parasites (Figure 4). Différentes doses d’exposition ont été utilisées, permettant également de déterminer la dose optimale engendrant une prévalence de gammares infectés relativement élevée sans pour autant induire une intensité parasitaire trop forte.

En ce qui concerne l’âge du parasite, nous avons mesuré le phototactisme des hôtes à trois stades différents de l’infection (mesures répétées sur les mêmes individus) : stade

‘acanthelle’, stade ‘cystacanthe jeune’ et stade ‘cystacanthe âgé’. Cette expérience a ainsi permis de confirmer que le parasite ne commence à manipuler son hôte que lorsqu’il atteint le stade cystacanthe, infectieux pour l’hôte définitif. Notons que cet aspect, discuté dans la section Introduction, plaide en faveur du caractère adaptatif de la manipulation par P. laevis. De plus, cette étude a démontré que l’intensité de la manipulation augmentait avec l’âge du cystacanthe, le parasite manipulant davantage son hôte au stade ‘cystacanthe âgé’ qu’au stade

‘cystacanthe jeune’. Il est donc clair que l’âge du parasite est une source majeure de variation dans l’intensité de la manipulation. De plus, ces résultats sont valables pour les deux populations parasites utilisées dans notre expérience, indiquant un phénomène général chez P.

laevis. Cependant, les deux populations n’induisent pas le même niveau d’altération comportementale au stade ‘cystacanthe jeune’. Il est difficile de déterminer rigoureusement la cause de cette différence, qui peut être due aussi bien à des différences génétiques qu’à des différences environnementales.

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L’intensité de l’infection, c'est à dire le nombre de parasite par hôte, représente également une source de variation, les double-infections induisant une altération plus forte que les autres intensités et ce paramètre doit donc être contrôlé dans les études concernant la manipulation. Il est intéressant de noter que l’intensité joue également sur le temps de développement des parasites, ceux-ci se développant plus lentement en multi-infections. Ce résultat indique qu’il pourrait exister une compétition entre parasites à l’intérieur du même hôte, et nous y reviendrons dans le chapitre suivant. Quoi qu’il en soit, il semble qu’un compromis pourrait exister entre le temps de développement des parasites et leur capacité à manipuler leur hôte, les parasites se développant le plus rapidement étant ensuite peu aptes à altérer le phototactisme de leur hôte.

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Figure 4 : Localisation des différentes populations utilisées dans le chapitre 1B

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