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Association Cyathocephalus truncatus / Gammarus pulex : un indice de convergence évolutive ?

GAMMARUS PULEX & POMPHORHYNCHUS LAEVIS

ENCART 1. Association Cyathocephalus truncatus / Gammarus pulex : un indice de convergence évolutive ?

Cyathocephalus truncatus est un parasite cestode très répandu en Europe, possédant un cycle hétéroxène et infectant divers salmonidés (Okaka 1984, 2000). Il utilise différents crustacés comme hôtes intermédiaires, et en particulier Gammarus pulex. L’infection chez les amphipodes semble être soumise à un patron saisonnier, la prévalence étant plus forte durant les mois les plus froids (Awachie 1966, Okaka 1984). Le procercoïde, forme immature du parasite, se développe durant environ 10 semaines dans la cavité générale de l’hôte intermédiaire avant d’atteindre le stade infectieux pour l’hôte définitif. Bien que le cestode présente alors une taille considérable par rapport à celle de son hôte, il semble que celui-ci soit capable de vivre avec ce parasite durant plusieurs mois (Wisniewski 1932, 1933, Okaka 1984). Une fois parvenu dans l’hôte final, le parasite se développe rapidement, atteignant sa maturité en 8 à 10 jours et ayant ensuite une durée de vie réduite après la production des œufs (Vik 1958, Okaka 1984). Chez l’hôte final, l’infection par C. truncatus cause de graves dommages au niveau du site d’attachement des parasites (Huitfeld-Kaas 1927, Wisniewski 1932, 1933, Vik 1954, 1958, Awachie 1966). De plus, le parasite semble engendrer une mortalité accrue de l’hôte final (Huitfeld-Kaas 1927, Wisniewski 1933, Vik 1954, 1958, Okaka 1984) ainsi qu’une réduction de sa fertilité et de la survie de ses descendants (Senk 1956).

In natura, les prévalences chez l’hôte intermédiaire sont toujours extrêmement faibles (de l’ordre de 0,5%) - ce qui explique le peu d’études en laboratoire réalisées sur ce modèle - alors qu’elles sont extrêmement élevés dans les hôtes définitifs, entre 37% et 71%, avec un maximum de 278 parasites trouvés dans un seul poisson (Knudsen et al. 2001, Amundsen et

al. 2003). Knudsen et al. (2001) ont montré que, dans la nature, les amphipodes parasités par C. truncatus étaient 8 fois plus consommés par Salvelinus alpinus (omble chevalier) l’un des

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hôtes définitifs du cestode. Les auteurs suggèrent donc que le parasite pourrait modifier le comportement ou l’apparence des hôtes intermédiaires afin d’augmenter leur susceptibilité à la prédation, ce qui pourrait expliquer la prévalence extrêmement faible enregistrée chez les hôtes intermédiaires par rapport celle retrouvée chez les hôtes définitifs (Awachie 1966, Okaka 1984). En fait, contrairement à la majorité des études portant sur des parasites manipulant potentiellement le phénotype de leurs hôtes intermédiaires pour mieux se transmettre aux hôtes définitifs, c’est cette fois l’augmentation du taux de transmission entre les deux hôtes qui a été démontrée en premier.

Les effets de C. truncatus sur ses hôtes intermédiaires demeurent mal connus et les résultats des quelques études menées à ce sujet sont parfois contradictoires. Beckman (1954) indique ainsi que les larves de C. truncatus induisent une stérilité chez les femelles amphipodes, tandis qu’Okaka (1984) a au contraire observé que les individus infectés possédaient des gonades normales et étaient impliqués dans la reproduction, les femelles étant tout à fait capables de porter des œufs. Toujours selon cet auteur, le procercoïde ne semble pas causer de dommages structurels aux organes des amphipodes, mais les individus infectés semblent plus léthargiques que les sains. Quoi qu’il en soit, aucune expérience formelle n’a jamais été menée en vue d’étudier le comportement des amphipodes infectés ou les dommages physiologiques causés par le cestode chez cet hôte.

Ce parasite est donc écologiquement très proche de P. laevis, puisqu’il possède le même hôte intermédiaire et le même type d’hôte définitif. Il est donc tout indiqué pour l’étude d’une possible convergence évolutive. En effet, puisque C. truncatus est soumis aux mêmes conditions et aux mêmes pressions de sélection que P. laevis pour atteindre son hôte définitif, on peut prédire qu’il devrait induire chez G. pulex les mêmes altérations comportementales, et ce, en dépit de leur éloignement phylogénétique.

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Nous avons donc testé l’hypothèse de la manipulation parasitaire, en mesurant le comportement des individus parasités de la même façon qu’avec P. laevis. Durant cette étude, d’autres mesures ont également été réalisées (survie, activité, géotactisme, immunocompétence, consommation d’oxygène) afin d’étudier d’éventuelles corrélations entre les modifications. En effet, dans le cas où la condition générale de l’hôte serait affectée par le parasite (ce qui est tout à fait vraisemblable vu sa taille gigantesque relativement à la taille de l’hôte), toutes les modifications observées devraient être corrélées entre elles, tandis que si le comportement est spécifiquement manipulé afin d’augmenter la transmission à l’hôte définitif, cette modification ne devrait pas être corrélée aux autres.

Les résultats de cette étude montrent que le parasite modifie effectivement le phototactisme des amphipodes, les individus infectés étant moins photophobes que les individus sains. Une autre taxie a été mesurée (géotaxie), mais n’est pas altérée par l’infection parasitaire. D’autres altérations ont également été trouvées (survie, activité, consommation d’oxygène), mais ne sont pas corrélées à la modification de phototactisme. Celle-ci semble donc bien être une altération ciblée, similaire à celle induite par un acanthocéphale ayant les mêmes types d’hôtes intermédiaires et finaux. Sachant que, chez P. laevis, cette altération augmente la susceptibilité des individus parasités à la prédation (Lagrue et al. 2007), on peut raisonnablement suggérer que la modification de phototactisme observée ici est également adaptative pour le cestode et pourrait donc être la cause du taux de prédation accru des individus parasités. Ce résultat permet également de conclure qu’il semble bien y avoir une convergence évolutive chez ces deux parasites phylogénétiquement éloignés mais évoluant dans les mêmes conditions écologiques et connaissant le même type de pressions de sélection pour terminer leur cycle et ainsi se reproduire.

L’une des caractéristiques intéressantes de C. truncatus est sa capacité à atteindre sa maturité et à se reproduire par autofécondation dans l’hôte intermédiaire (Amin 1978, Okaka

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1984, 2000). Dans ce cas, le parasite n’a plus besoin d’atteindre un hôte “final” et la manipulation de l’amphipode devient inutile, surtout si elle est coûteuse. Il pourrait donc être extrêmement intéressant d’étudier le devenir de la manipulation lorsque, en l’absence d’hôte final, le parasite devient sexuellement mature dans son hôte intermédiaire.

Voir Annexe page 201 pour l’article correspondant et les détails des expériences.

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Méthode : Procédure générale