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3.2 – Facteurs à l’origine de la dynamique du paysage

Planche 3 Marques des activités agricoles sur le paysage

3a : Deux nouveaux champ ouverts dans la Forêt Classée de Yamba Berté (Cliché Sougnabé 2006). Dès la première année de culture les grands arbres sont

systématiquement éliminés par l’utilisation des feux

3 b) Champ de coton (cliché Prasac 2002).

Le coton, première culture de rente occupe encore une place importante dans les systèmes de production Mousseye

3c) Champ d’arachide (cliché Prasac 2002).

La culture d’arachides devenues désormais une culture de rente, tend à concurrencer le coton dans certaines zones

3d : Un champ de riz pluvial (cliché Sougnabé 2007). Ces espaces ne sont

accessibles aux animaux qu’en saison sèche après la récolte du riz

3e : Champ de sorgho de décrue (cliché Prodalka 2005). Même après la saison des

pluies, certains bas-fonds sont encore occupés par les cultures de contre saison

Une étude réalisée par Réounodji dans cette région (2003) a montré qu’entre 1974 et 1999, l’espace agricole a augmenté de 16,5 % tandis que la savane qui servait de lieu de pâturage a diminué de 14,2 %. Ces dynamiques réduisent les espaces de pâture et les pasteurs, soit soumis à la disparition de pâturages, soit confrontés à un mitage de leur espace, limitent leurs déplacements (Figure 21).

0 10 20 30 40 50 60 Cultures Jachères Bas-fonds Brousse (savane) T y p e d 'o c c u p a ti o n d u s o l 1999 1974

Figure 21 : Evolution de l’occupation de l’espace entre (1974-1999) à Ngoko

Introduite au Tchad en 1957 par les colons pour l’intensification de la culture du coton, la traction animale est le pivot de la dynamique agraire. Elle a plutôt permis aux agriculteurs d’emblaver une grande superficie qu’il aurait été impossible de labourer par le passé à la houe, et de mettre en valeur des terres lourdes de bas-fonds qui constituaient les lieux de pâturage et qui étaient jusque là épargnées par les agriculteurs.

Parmi les différentes cultures, le coton représente en superficie, la culture la plus importante des agriculteurs Mousseye. Dès son introduction les années 30, les populations Mousseye et Zimé se sont mises résolument à la culture du coton (Cabot, 1965). En dépit des incertitudes liées à l’organisation et à l’achat du coton par la société cotonnière et des risques de famine, la culture du coton est toujours au cœur du système

de production dans cette région, alors que d’autres régions délaissent cette culture au profit de l’arachide et du maïs. Réounodji (2001) dans ses enquêtes à Ngoko, a relevé que le coton occupait 46% de la superficie cultivée (Figure. 22).

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Surfaces (ha) C o to n S o rg h o /a ra c h id e s S o rg h o A ra c h id e s P é n ic illa ire S é s a m e A u tr e s Types de culture

Figure 22: Comparaison des superficies cultivées à Ngoko

Cette importance accordée à la culture du coton a tout son sens : c’est la seule culture de rente qui permet à ces populations de s’équiper en matériels agricoles (charrues, charrettes, sarcleuses, etc.) et d’épargner le surplus du revenu dans l’achat des animaux. De plus, la culture du coton permettait aux paysans de bénéficier des intrants offerts par la société cotonnière en crédit.

En effet, le coton a fait entrer les paysans dans l’économie de marché. La pression démographie aidant, l’agriculture vivrière est passée du simple stade de subsistance à un niveau spéculatif, et l’usage des engrais est devenu général, abusif et anarchique (Passinring, 2005). Les conséquences sur l’évolution des paysages sont sensibles tant au niveau de l’état du sol et du métabolisme végétal qu’à celui de la morphologie générale (Bourguignon, 2002). Les sols dénudés, sous pression de l’exploitation effrénée de l’agriculture, s’exposent régulièrement et pendant plusieurs mois de l’année à des hauts

risques d’érosion. Aux paysages naturels (savane boisée), semblent se substituer progressivement des paysages anthropisés qui, dans cette région à vocation agricole, sont les signes d’une dynamique régressive (savane herbeuse) propice par contre pour l’élevage.

3.2.2 - Les feux de brousse ; un couteau à double tranchant

Chez les Mousseye comme dans la plupart des sociétés habitant la zone de savane du Tchad, les feux de brousse sont des pratiques et usages ancestraux qui font partie de leur mode de vie et de leurs représentations socioculturelles. La très grande ancienneté des pratiques de feux de la part des populations se traduit par l’inscription de ces pratiques dans des rituels hautement élaborés, éminemment variables d’une société à l’autre : initiation, chasse, pratique magico-religieuse, etc. Les feux de brousse constituent en effet un phénomène particulièrement complexe (Photo 3). Ils sont souvent considérés par les naturalistes comme un facteur naturel dans les milieux de savanes parce qu’ils ont un rôle écologique (Fournier, 1991). Néanmoins, les anthropologues, les sociologues, les agro-pastoralistes et les géographes les considèrent comme un facteur anthropique parce qu’ils sont déclenchés par les populations (Bruzon, 1994 ; Dugast, 1999).

Photo 3 : Feux de brousse, puissants facteurs écologiques qui structurent le paysage

Les feux de brousse sont souvent considérés comme un des facteurs aggravants de la dégradation des ressources végétales dans ce milieu de savane. Certains soutiennent

que les feux de brousse ne sont pas toujours néfastes pour la nature, car ils les considèrent comme le facteur anthropique qui maintient l’écosystème savanicole (Monnier, 1990 ; Bruzon, 1990 ; César, 1992). Pour ces auteurs, les effets des feux de brousse sur la strate ligneuse dépendent de la date de la mise en feu : les feux tardifs qui interviennent en pleine saison sèche limitent le développement des ligneux et sont plus agressifs que les feux précoces qui surviennent en octobre-novembre. Ces derniers sont généralement suivis d’une abondante repousse des graminées vivaces, et à ce titre ce sont des feux pastoraux par excellence. Mais lorsque ces feux sont pratiqués pendant plusieurs années, ils favorisent l’embuissonnement et à la longue la reforestation (Daget et al. 1993). Les feux tardifs favorisent les graminées au détriment des ligneux, dont ils détruisent les jeunes pousses et les jeunes feuilles, entraînant une deuxième foliation qui les épuise. Ces feux ne sont utiles que pour la gestion des parcours pastoraux. L’organisation spatiale et temporelle des feux de brousse dépend du groupe ethnique qui brûle en fonction de sa propre activité et, souvent, sans aucune contradiction l’un à l’autre (Bruzon, 1994). Dans ce sens, un feu en janvier est catastrophique pour un pasteur parce qu’il n’a pas ou peu de repousses après. Par contre, l’agriculteur considère presque toujours le feu précoce de novembre comme dangereux, parce qu’il peut être la cause de destruction des récoltes.

Les causes des feux de brousse qui parcourent régulièrement la zone de notre étude sont nombreuses et rarement avouées. Elles peuvent être accidentelles ou volontaires, mais toutefois c’est l’homme qui en est le principal responsable. Ces feux de brousse non seulement ont des origines diverses mais surtout répondent à des besoins spécifiques des populations. Pour les pasteurs et agro-pasteurs, cette technique leur permet de se procurer des repousses d’herbes fraîches pour leur bétail. Ainsi ils ne sont plus obligés de se déplacer à la recherche de fourrage. La pratique des feux de brousse va aussi permettre de détruire dans la brousse les tiques qui s’y multiplient et s’attaquent au bétail. Les agriculteurs eux les pratiquent comme outil de défrichement (Photo 4).

Photo 4 : Les feux sont utilisés dans la pratique agricole comme outils de défrichement

Malheureusement les feux de défrichement ne sont pas toujours bien contrôlés et bien souvent pour un petit champ défriché ce sont des milliers d'hectares qui partent en fumée. Chasseurs de talent, les Mousseye allument aussi les feux de brousse pour débusquer les gibiers. La chasse collective dans le pays Mousseye est un événement de taille qui mobilise chaque année plusieurs villages environnants.

Cependant, en raison des risques d’amende ou d’emprisonnement encourus par les auteurs s’ils sont surpris ou désignés, toutes ces pratiques deviennent clandestines, si bien que les origines de ces feux sont difficiles à connaître. Pour les agriculteurs « ce sont les pasteurs et agro-pasteurs peuls qui allument les feux de brousse, car habitués à brûler la brousse pour favoriser la repousse des herbes pour leurs animaux ». Pour les pasteurs peuls « ce sont les Mousseye qui mettent le feu pour la chasse des rats ».

Dans la réalité, on sait plus ou moins qui est l’auteur du feu, car il est connu que les feux allumés par les Peul sont précoces, et ceux pratiqués par les Mousseye sont tardifs et souvent après les récoltes. Néanmoins, quelle qu’en soit leur origine, les feux de brousse participent activement à la transformation du paysage. Des expériences menées par César (1992) dans les savanes de l’Afrique de l’Ouest, une protection intégrale contre les feux conduit à des formations forestières denses qui, dans le cadre du pastoralisme, constituent une forme de dégradation du pâturage.

3.2.3 – Les activités pastorales

La réduction des espaces pastoraux et le confinement des animaux dans certains endroits tels que la Forêt Classée de Yamba Berté aura probablement un impact sur l’équilibre existant entre l’élevage et son environnement naturel. L’accroissement de pression que cela peut engendrer sur ces espaces risque à terme de porter un coup dur sur l’environnement et surtout sur la Forêt Classée de Yamba Berté si son exploitation n’est pas contrôlée. Loin de vouloir défendre ou incriminer les pasteurs peuls dans leurs pratiques pastorales, l’impact de l’élevage dans la dégradation de la flore, de la végétation et du sol dans la région reste à évaluer. D’une manière classique, pour évaluer les effets du pastoralisme sur l’espace, on a recours à la capacité de charge qui est un moyen d’estimer le nombre de bovins qu’un pâturage peut accueillir sans subir de dégradations. En Afrique, la charge s’évalue en « Unités de Bovins Tropicaux » (UBT)31. La capacité de charge est donc le nombre d’UBT que le pâturage peut supporter par hectare. Dans un système aussi extensif comme le cas autour de la Forêt Classée de Yamba Berté, ou d’abord il est non seulement difficile d’évaluer les effectifs du cheptel en place sans compter ceux de pasteurs transhumants qui sont en transit, mais surtout d’appréhender les effectifs qui restent sur place et ceux qui partent en transhumance (car les mobilités des troupeaux modulent les effectifs en fonction de saison), le recours au concept de capacité de charge devient inefficace et inopérant. En plus, les capacités de charge des pâturages ne sont pas les mêmes selon qu’on a affaire à un pâturage déjà dégradé ou non.

Toutefois, en guise d’information pour les pâturages de savane comme le cas de cette région, Douffissa et al. (1995) conseille des capacités de charge de 0,6 UBT/ha à 1,5 UBT/ha selon que les pâturages sont ou non dégradés. Dulieu et Rippstein (1980) recommandaient quant à eux respectivement 1,2 UBT/ha à 1,6 UBT/ha dans les mêmes conditions. Nous n’avons pas entrepris cette étude en agrostologie pour arriver à une conclusion, néanmoins, quelques travaux en Afrique de l’ouest ont été consacrés à la dynamique de la végétation sous pâturage : dans la zone sud-soudanienne du Burkina Faso (Diallo, 1997) ; au nord de la Côte d’Ivoire (César, 1992) et, au nord-est de la Côte d’Ivoire (Hoffman, 1985). Dans aucune de ces études, une expérimentation avec des charges animales connues n’a pu être conduite (Botoni, 2003).

31

Une unité correspond à un animal de 250 kg (Labonne et al. 2002). Cela représente le poids d’un zébu moyen

D’ailleurs, dans le cadre des pratiques pastorales, le concept de dégradation est chargé d’ambiguïté et oppose les écologues (Daget et al. 1995). Beaucoup d’écologistes estiment que l’envahissement du pâturage par des ligneux n’est pas une dégradation, mais une progression vers la forêt qu’il faut plutôt encourager. Pour les pastoralistes la dégradation des pâturages se manifeste essentiellement par un déséquilibre arbustes-herbacés qui se traduit par un embroussaillement des parcours. La composition floristique d’un pâturage permet justement de s’informer sur le passé agricole ou pastoral d’une savane. Les herbacées rendent mieux compte des variations temporaires dues principalement à l’action de l’homme. La présence de certaines espèces permet de reconnaître qu’une savane est exploitée par le bétail, et l’abondance de celles-ci dénote une dégradation.

Dans le cas qui nous concerne présentement, si les usages pastoraux de la forêt classée en saison des pluies ne sont pas très dommageables, certaines pratiques en saison sèche tel que l’élagage, l’ébranchage et l’effeuillage pour la complémentation des animaux ou l’alimentation des petits ruminants en période de soudure peuvent être préjudiciables pour les espèces en question si elles sont abusivement exploitées.

CONCLUSION

L’occupation de l’espace aux échelles locales et régionales rend compte des mutations récentes et de leurs conséquences sur la gestion locale des ressources naturelles. L’organisation spatiale fonctionne en respectant la durabilité des écosystèmes si seulement l’espace est organisé et régi par des règles implicites ou tacites, formelles ou informelles. Lorsque tel n’est plus le cas et que les droits et les règles qui doivent favoriser les respects de la nature et les droits de chacun ne sont pas bien clairs : ce sont les rapports de forces qui s’imposent. C’est le cas autour de la Forêt Classée de Yamba Berté où les modes d'occupation et d’utilisation d’espace sont de grande ampleur et interagissent avec les changements climatiques (Réounodji, 2005). Des facteurs d’ordre anthropique (pressions agricoles et pastorales, feux de brousse…), ou naturel (sécheresse) sont à l’origine de ces dynamiques, qui s’inscrivent dans un contexte global de changement affectant les savanes du Tchad depuis au moins deux décennies (Magrin, 2000).

Dans cette dynamique, on note aussi que la vocation traditionnelle de la zone soudanienne comme espace de production cotonnière et céréalière a beaucoup évolué et

s’oriente désormais vers des perspectives agro-pastorales. La présence de la Forêt Classée de Yamba Berté dans cet espace a suscité une attraction des migrants à la recherche de terres fertiles. Chacun a un intérêt indéniable à s’y installer et à y revendiquer des droits. Suite à l’accroissement des populations autochtones, les taux élevés de migration auxquels s’ajoutent les besoins en numéraires ont engendré une forte demande en terre cultivable et de bois pour l’énergie domestique. Cela s’est traduit par l’extension de surface cultivable par le système de défriche, d’une forte consommation de bois de chauffe ou de charbon de bois pour les besoins familiaux autant qu’à des fins commerciales. La grande préoccupation dans cette dynamique est que pendant que le pastoralisme se développe en zone de savane, la pression démographique conduit les agriculteurs à la recherche de nouvelles terres pour satisfaire les besoins croissants de la famille, ce qui les amène à grignoter sur les espaces pastoraux (même s’ils ne sont pas connus en tant que tel par les populations locales).

Le principe doit être admis que les aires protégées, notamment les espaces forestiers sont des territoires au moins aussi légitimes que les autres espaces de production (agricole ou pastorale) de la région. Selon la spécificité territoriale de l’aire protégée et les fonctions qu’elle induit, on peut se demander comment l’ensemble « sanctuaire-périphérie-région » s’intègre dans l’organisation des autres espaces de production ? Par rapport à la particularité du statut des aires protégées, comment sont-ils perçus par les acteurs locaux ? Nous aborderons dans le chapitre suivant la problématique des aires protégées, dans le monde, en Afrique et au Tchad et notamment la Forêt Classée de Yamba Berté qui constitue un enjeu spécifique dans l’espace concerné par notre étude.

CHAPITRE II