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2.2.1 Sa physique.

Les études sismiques ont permis, au cours du siècle dernier, de mettre en évidence la frontière noyau-manteau (Oldham, 1906; Geiger & Gutenberg, 1912). Le manteau s’étend donc depuis la base de la croûte terrestre, à quelques dizaines de kilomètres de profondeur, jusqu’au noyau liquide situé à 2900 km de profondeur. Bien qu’il soit constitué principalement de roches solides, l’observation de sa surface suggère qu’il est le siège de mouvements de convection ayant des vitesses typiques de l’ordre du cen-timètre par an. Le manteau, bien que solide, se comporte comme un fluide à l’échelle des temps géologiques1. Il est possible d’estimer sa viscosité dynamique à 1021Pa.s (Peltier & Jarvis, 1982). Le contraste de température entre la base et le haut du man-teau est de l’ordre de 3500 K, dont 1000 K correspondent au gradient adiabatique. Les propriétés physiques du manteau peuvent être évaluées grâce aux échantillons qui nous

1. Un peu comme les glaciers

parviennent lors des éruptions volcaniques. D’après Poirier (1991), les ordres de gran-deur sontρ ∼4000 kg.m3, α∼3×105K1 etκ∼106m2.s1. L’ordre de grandeur de la vitesse des mouvements convectif U est de quelques centimètres par an.

Ces différentes valeurs numériques nous permettent d’estimer les nombres sans di-mension caractérisant la convection dans le manteau :

Ra∼ 7.4×107, (2.1)

Pr ∼2.5×1023, (2.2)

Ro∼ 1.5×1012, (2.3)

Re∼4×1024. (2.4)

Re << 1 donc l’inertie est complètement négligeable : sa dynamique est contrôlée par l’équilibre entre les forces visqueuses et la poussée d’Archimède. De plus, la force de Coriolis est négligeable puisque Ro<<1 : tout se passe comme si l’écoulement dans le manteau ne voyait pas la rotation de la Terre. La convection mantellique correspond à celle de Rayleigh-Bénard dans le cas très visqueux. Comme Ra>>Rac, la convection prend la forme de panaches thermiques associés à ces circulations de grandes échelles.

Bien que l’analogie entre la convection mantellique et la convection de Rayleigh-Bénard soit tentante, il s’avère en réalité difficile d’appliquer les lois théoriques simples de la convection de Rayleigh-Bénard à un système terrestre aussi complexe. En pre-mier lieu, les conditions à la limite supérieure du manteau sont différentes suivant que l’on se trouve sous un continent ou sous un océan (Guillou-Frottier et al., 1995). De plus, les mouvements des plaques tectoniques induisent la formation de singularités à la limite supérieure du manteau. Par ailleurs, les propriétés physiques du manteau, notam-ment la viscosité, changent en fonction de la température et de la profondeur (Karato

& Wu, 1993). Enfin, le manteau est découpé en deux zones : le manteau supérieur et le manteau inférieur. A l’interface entre ces deux parties, située à 660 km de profondeur, les minéraux des roches se réorganisent (Ito, 1989) pour engendrer une nouvelle phase solide.

De plus, l’activité volcanique sur notre planète n’est pas uniquement concentrée au niveau des plaques. Il existe en effet des volcans dits de "points chauds" (Wilson et al., 1963) qui surgissent très généralement à l’intérieur des plaques et non à leurs frontières.

Ces points chauds sont interprétés comme la trace en surface de panaches convectifs provenant des profondeurs du manteau (Morgan, 1972). Ceux-ci sont restés longtemps indétectables par la tomographie mais des recherches récentes (Montelli et al., 2004) ont proposé les premières images de panaches sous plusieurs points chauds. Ces panaches proviennent sans doute en partie de la base du manteau, d’une couche en contact avec le noyau nommée D”. Elle impose un certain nombre de paramètres thermiques influant sur la dynamique du manteau. Nous avons aujourd’hui une meilleure image de cette zone frontière, qui apparaît être très hétérogène. En effet, à certains endroits, les ondes

Figure2.2 – Représentation schématique de l’intérieur du manteau terrestre, avec les différents structures le composant (image : page web Labrosse (2010)).

sismiques rencontrent deux discontinuités successives, tandis qu’à d’autres, aucune dis-continuité n’est observée. Ces zones continues seraient la signature de panaches chauds de roches mantelliques provenant des profondeurs. En arrivant à la surface, ils percent les plaques qui se déplacent au-dessus, créant ainsi des chapelets de volcans dont seul le plus récent est actif : l’exemple typique est l’alignement d’îles volcaniques se terminant, actuellement, à Hawaï.

Par ailleurs, certaines zones situées à 2850 km de profondeur exhibent des variations de vitesse qui, sans être aussi brusques que des discontinuités, n’en sont pas moins riches d’informations. Ainsi, deux zones de vitesses lentes, situées sous l’océan pacifique et sous le continent africain, ont été détectées. Elles sont entourées de zones de vitesses rapides. Comme les vitesses sismiques augmentent lorsque la température diminue, ces mesures semblent indiquer deux zones chaudes entourées de zones froides. L’arrivée de plaques froides en subduction en provenance du pourtour du Pacifique explique-rait l’existence de ces zones froides. Les zones centrales de vitesses lentes s’avèrent être un peu plus complexes : elles seraient effectivement plus chaudes, mais aussi plus denses d’environ 3 % que les alentours. Pourtant, la dilatation thermique provoquée par la hausse de la température devrait diminuer la densité. On explique cette singularité par un changement de composition chimique : à l’intérieur de ces zones, les roches mantel-liques contiendraient soit plus de fer, soit des proportions différentes d’autres minéraux.

Stacey (1991) a proposé pour ces zones plus chaudes et plus denses le nom de crypto-continents. L’épaisseur de ces structures peut atteindre 1500 km. Les panaches chauds naissent à la marge de ces crypto-continents, qui, du fait de leur température élevée et de leur stabilité gravitationnelle, sont des régions d’ancrage privilégiées (figure 2.2).

Les sismologues ont également détecté d’autres structures à la base du manteau,

caractérisées par des vitesses sismiques très faibles (et donc appelées Ultra low Velocity Zone, ou ULVZ), entre 10 et 30 % inférieures à la moyenne. Ces structures ont une épaisseur comprise entre 5 et 10 km et une extension horizontale d’environ 100 km.

Même si elles sont ralenties, les ondes de cisaillement, qui ne peuvent pas pénétrer dans les liquides, se propagent dans les ULVZ : ces zones sont donc principalement solides.

Toutefois, elles ne le sont pas entièrement : ces zones seraient constituées d’une matrice solide percées de pores remplis de magma (dont la proportion atteindrait 10 %), comme une éponge gorgée d’eau. Ces zones semblent majoritairement localisées sur les bords des crypto-continents (figure 2.2). Elles auraient également une densité environ 10 % supérieure à la densité moyenne du manteau à la même profondeur.

D’autre part, les crypto-continents sont le siège de mouvements de convection de type Rayleigh-Bénard. Les rouleaux de convection entraineraient, par frottements vis-queux, les réservoirs ULVZ en panaches ascendants qui alimenteraient les volcans de type points chauds.

La morphologie, la position et les caractéristiques physiques de ces réservoirs de-meurent encore aujourd’hui largement méconnues. Leur origine est également sujette à polémique. Plusieurs hypothèses existent, leur formation pourrait être due :

– à la présence en profondeur d’un changement de phase (Yeganeh-Haeri et al., 1989; Nataf & Houard, 1993),

– à la remontée de matériel lourd provenant du noyau (Hansen & Yuen, 1988; Knit-tle & Jeanloz, 1991), puisqu’il n’est pas encore en équilibre avec le manteau (Ste-venson, 1981),

– au stockage et au recyclage au-dessus de la limite noyau-manteau des matériaux océaniques subductés (Gurnis & Davies, 1986; Christensen & Hofmann, 1994;

Albarède, 1998; Coltice & Ricard, 1999),

– à l’accumulation à la base du manteau de fer et d’éléments sidérophiles lors de la différenciation de la Terre (Solomatov & Stevenson, 1993; Sidorin & Gurnis, 1998),

– à l’extraction de la croûte continentale uniquement à partir d’une couche supé-rieure du manteau (DePaolo & Wasserburg, 1976; Allègre et al., 1979),

– à la combinaison de plusieurs de ces facteurs.

Cette description du volcanisme de points chauds est très controversée parmi les géologues et géophysiciens. En particulier, ces réservoirs denses et peu visqueux per-sistent sans être mélangés depuis la création du manteau. L’objet de notre étude, déve-loppée dans la troisième partie de ce document, est d’expliquer la forme et la longévité de ces réservoirs en combinant des expériences modèles de laboratoire et des simula-tions numériques simplifiées.