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Manque de reconnaissance de leurs objectifs d’insertion et de production sur un marché

Ces types de reconnaissance présentés, ainsi que la possibilité de leurs variations, nous allons maintenant parler de la reconnaissance des entreprises sociales d’insertion en Suisse par les pouvoirs publics.

Pour ce faire, nous allons premièrement nous préoccuper de la reconnaissance des entreprises sociales dans leur contribution à la mise en œuvre d’une politique publique. En effet, nous nous intéressons surtout à la perspective socio-économique de ces organisations, c’est-à-dire à leur production de biens et services destinés à la collectivité, et moins à leur perspective politique. Toutefois, verrons que cette perspective socio-économique semble liée au degré de reconnaissance dont bénéficient les entreprises sociales dans la prise de décision d’une politique publique.

Deuxièmement, nous allons structurer notre présentation sur la reconnaissance des entreprises sociales en différentiant (ceci pour des fins d’analyse) leur objectif d’insertion de publics en difficulté et leur objectif de production de biens et services sur un marché (même si dans les pratiques ces objectifs sont poursuivis conjointement).

Enfin, notre argumentation s’adresse davantage aux entreprises sociales d’insertion qui ont choisi des opportunités liées à des dispositifs de l’État pour leur production de biens et services dans le domaine de l’insertion115. Elles sont par conséquent davantage en relation avec l’État et son soutien financier que celles qui ont choisi prioritairement une opportunité de marché (voir notre typologie).

R e c o n n a i s s a n c e d e l ’ o b j e c t i f d ’ i n s e r t i o n d e s e n t r e p r i s e s s o c i a l e s

Il nous semble que les entreprises sociales d’insertion en Suisse ne sont que partiellement reconnues par les pouvoirs publics dans leur production de prestations dans le domaine de la (ré)insertion ou, plus largement, de mise en œuvre de politiques actives de lutte contre le chômage et l’exclusion (assurance-invalidité, assurance-chômage, aide aux chômeurs, revenus minimums, aide sociale). C’est ce que nous allons développer à présent.

Même si les entreprises sociales sont reconnues par l’inscription de leur objectif d’insertion dans des dispositifs et mesures d’insertion publics, c’est-à-dire dans leur fonction de prestations de (ré)insertion, en échange de quoi elles peuvent recevoir des ressources financières de l’État, cette reconnaissance n’est qu’indirecte. C’est uniquement en tant que structure entrant dans le champ de l’insertion par le travail qu’elles reçoivent un financement de l’État. Autrement dit, les entreprises sociales d’insertion sont reconnues dans cette dimension sociale qu’est l’insertion au même titre que les autres organisations entrant dans ce champ et non pas en tant que structure ayant ses spécificités. Elles ne reçoivent pas de ressources financières qui leur sont spécifiques, mais liées principalement à des cadres légaux de politiques de lutte contre le chômage et l’exclusion accessibles à l’ensemble des structures embauchant des personnes affiliées à ces régimes sociaux.

Plusieurs indicateurs semblent appuyer cette argumentation.

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D’abord, les entreprises sociales d’insertion, même si elles sont répandues dans les pratiques de terrain, ne font que peu partie des discours politiques (comme d’ailleurs le concept d’économie sociale ou solidaire et celui de tiers secteur) et n’apparaissent elles-mêmes qu’implicitement dans les différentes bases légales sur lesquelles elles peuvent s’appuyer, contrairement par exemple aux ateliers d’occupation qui font eux partie des dispositions de l’assurance-invalidité (LAI) et des emplois temporaires inscrits dans celles de l’assurance-chômage (LACI) (Dunand 2004 : 3).

En outre, les ressources financières octroyées par l’État ne tiennent pas compte de la réalité spécifique des entreprises sociales dans la poursuite de leur objectif d’insertion. Elles reçoivent en général le même montant financier que toute autre structure d’insertion pour compenser les coûts de l’intégration de publics en difficulté (manque de productivité, soutien, formation, etc.)116. Or, en entreprises sociales, pour répondre notamment aux exigences du marché liées à la poursuite de leurs activités commerciales, les coûts de l’intégration des personnes en difficulté y sont particulièrement élevés – par exemple, de par un encadrement professionnel qualitativement et quantitativement important et la faible productivité de certains publics à compenser d’une façon ou d’une autre par les encadrants pour répondre aux clients.

En conclusion de ce point, les entreprises sociales en Suisse ne sont reconnues qu’indirectement par les pouvoirs publics dans leur production de prestations d’insertion, c’est-à-dire non pas en tant que structure ayant des dimensions spécifiques, mais comme toute autre organisation entrant dans ce champ.

Il est vrai que la majorité des entreprises sociales dans d’autres pays ne possède pas de cadre légal (législations et statuts juridiques) tenant compte des spécificités de cette nouvelle forme entrepreneuriale, c’est-à-dire reliant des buts économiques et sociaux (Borzaga et Defourny 2001 : 365). Or, tel n’est pas le cas dans tous les pays comme, par exemple, l’Espagne et le Québec. Pour ce dernier, en 1998, le ministre de la Solidarité sociale du Québec a adopté un cadre légal de reconnaissance du statut et du rôle des entreprises d’insertion et de leur financement (Département de l’emploi, solidarité sociale et famille 2004 : 1). Ce cadre se base sur des critères permettant de qualifier (ou de définir) un organisme d’entreprise d’insertion117.

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Nous allons maintenant aborder la question de la reconnaissance par les pouvoirs publics de l’objectif des entreprises sociales de production de biens et services sur un marché pour accomplir leur mission d’insertion118.

Bien que les entreprises sociales soient en partie reconnues dans leurs prestations dans le domaine de la (ré)insertion, et même si elles ne le sont qu’indirectement au même titre que les autres structures d’insertion par le travail, elles ne le sont généralement pas dans leur objectif de production, c’est-à-dire comme entreprise (que cet objectif de production soit ou pas à finalité sociale) (Dunand 2004 : 3). Leurs parts de marché dans la production de

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Par exemple, nous savons qu’une des entreprises sociales que nous avons analysée a dû négocier assez longuement avec les autorités de son canton afin d’obtenir un financement un peu plus élevé qu’une autre structure d’insertion pour sa fonction d’encadrement professionnel. Au départ, elle était traitée, dans ses prestations d’insertion, comme une autre structure d’insertion donnant, par exemple, un cours de formation. 117

Notons que le débat n’est de loin pas terminé dans d’autres pays sur l’opportunité de créer un cadre et un statut juridiques qui seraient spécifiques aux entreprises sociales.

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leurs activités économiques ne bénéficient pas d’une forte reconnaissance auprès des entreprises commerciales119, comme des services publics ou d’autres acteurs sociétaux120. Or, les entreprises sociales sont aussi des entreprises.

Divers éléments témoignent de cette argumentation du manque de reconnaissance de l’objectif de production sur un marché des entreprises sociales.

D’abord, si les dispositifs et mesures d’insertion publics en Suisse reconnaissent cet objectif de production, c’est uniquement en tant que moyen pour réaliser l’objectif d’insertion. Comme nous l’avons vu, les ressources publiques compensent en partie les coûts d’intégration des entreprises sociales liés à l’embauche de publics en difficulté. Toutefois, l’activité productive de ces entreprises n’est pas soutenue en tant que telle par les pouvoirs publics (par exemple, par un financement public spécifique). L’objectif de production est davantage considéré comme un moyen pour mettre au travail (parfois de façon obligée en cas de politiques de contre-prestations) des publics en difficulté en vue de leur (ré)insertion, notamment professionnelle. Autrement dit, les ressources financières de l’État ne tiennent pas compte que les coûts de production des entreprises sociales sont plus élevés qu’une entreprise privée traditionnelle en raison notamment de la poursuite de leur objectif d’insertion. Des coûts de production que les entreprises sociales n’arrivent pas à couvrir uniquement avec les ressources provenant de leur vente de biens et services sur un marché121. Ainsi, les pouvoirs publics ne différencient pas ces deux types d’entreprises, à savoir celles à but lucratif et celles sans but lucratif.

Ensuite, la dimension sociale que peut avoir l’objectif de production sur un marché de certaines entreprises sociales n’est pas prise en compte, à savoir lorsque cette production présente une dimension collective. Comme l’avance Nyssen (2005), à propos d’un autre contexte, cette possibilité des entreprises sociales d’insertion de produire des biens (quasi-)collectifs n’est que peu reconnue par des programmes publics. En effet, les entreprises sociales peuvent produire des biens publics, comme l’entretien d’espaces publics, ou des biens quasi publics, par exemple, les services de transport aux personnes à mobilité réduite, les soins ou services aux personnes âgées, les magasins de seconde main pour les nécessiteux, etc.

Enfin, une autre manière de reconnaître les entreprises sociales d’insertion dans leur objectif de production est la mise en place de dimensions sociales dans l’octroi de marchés publics (Nyssen 2005). Or, il nous semble que les acheteurs publics ne tiennent pas compte de ces dimensions des entreprises sociales (que ce soit par l’intégration de travailleurs défavorisés ou encore leur production à finalité sociale), en tout cas d’un point de vue formel, lors de leurs critères de sélection de prestataires de services. D’ailleurs, cette question se pose au niveau européen Dan le cadre du débat concernant l’évolution de la législation européenne et la possibilité d’en tenir compte dans les marchés publics (idem 2005).

En conclusion, ce modèle suisse, comme d’ailleurs celui dans d’autres pays, a tendance à ne reconnaître, en tout cas en partie, que les bénéfices collectifs liés à l’objectif d’insertion par le travail, ce qui n’est pas sans conséquence sur le développement des entreprises sociales. L’objectif de production, comme faisant partie de la dimension économique, voire sociale (en cas de production à finalité sociale) de l’identité des entreprises sociales, n’est pas soutenu en tant que tel.

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Nous pouvons penser que les activités de production sur un marché des entreprises sociales ne sont pas ou peu reconnues par les entreprises commerciales, entre autres, pour des raisons de peur de concurrence déloyale, de manque de crédibilité économique et de leur non reconnaissance par les pouvoirs publics en tant qu’entreprise à but non lucratif (voir, par exemple, Dunand 2004).

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Notons que nous avons eu connaissance d’un cas d’entreprise sociale où son objectif de production sur un marché a été un frein à l’obtention d’un don provenant d’une autre organisation sans but lucratif.

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