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Évolution des profils des bénéficiaires des entreprises sociales d’insertion

Par rapport à l’évolution du contexte socio-économique, les entreprises sociales d’insertion que nous avons interviewées ont été confrontées à un changement du profil moyen de leurs bénéficiaires en 200296, ceci avec la décroissance du chômage qui a eu lieu environ entre 1997 et 200197. Si l’on utilise le terme, certes controversé, d’employabilité, on peut dire que le profil des personnes accueillies a décliné ou s’est fragilisé. En effet, suite à cette embellie économique passagère, les bénéficiaires que l’on trouve dans les entreprises sociales sont davantage des jeunes sans formation et des personnes qui cumulent divers problèmes sociosanitaires (maladie psychique ou problèmes de dépendance) en plus de leur exclusion du marché du travail ou dont les problèmes existants s’intensifient. Selon nos interviews, cette évolution concerne les demandeurs d'emplois, mais également les personnes bénéficiant de l’assurance-invalidité, dans le sens où l’on trouve, dans cette catégorie d’assurés, davantage de handicapés psychiques que de handicapés physiques (c’est le cas par exemple pour l’entreprise sociale « PRO ») et de plus en plus de jeunes, sans formation et expériences de travail, ni envie de projets professionnels (par exemple chez « Trajets » ou « Caritas Jura »). Au total, avec la reprise économique, les personnes les plus faciles à placer (selon la terminologie officielle) ont été les premières à retrouver un emploi, alors que les bénéficiaires le plus en difficulté sont restés au sein des entreprises sociales (Moachon 2006).

Cette évolution du profil des bénéficiaires a posé plusieurs défis aux entreprises sociales d’insertion.

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Certes l’influence de l’environnement n’est pas immédiate sur les entreprises sociales d’insertion. En l’occurrence, si le chômage diminue, les effets ne s’en feront pas sentir immédiatement, ceci notamment en raison du passage possible du bénéficiaire à divers régimes de protection sociale, avant d’en arriver au dernier filet de protection sociale, soit à l’aide sociale.

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Certaines entreprises sociales ont également été confrontées à une baisse du nombre de leurs bénéficiaires engendrant des restructurations (fermeture de programmes, etc.).

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D’abord, cette évolution a engendré une moindre productivité de la part des bénéficiaires et, par là même, rendu les entreprises sociales économiquement moins performantes. D’où un risque d’un moindre degré d’autofinancement et d’une dépendance plus élevée à des subventionnements provenant des pouvoirs publics.

Ensuite, cette transformation a aussi des conséquences sur le type d’activités économiques produites par les entreprises sociales. En effet, il y a un risque – qui s’est réellement concrétisé dans certaines entreprises sociales - d’abandon de certaines activités qui sont à haute valeur ajoutée98, demandant souvent des compétences physiques (par exemple, dans le domaine de la construction) ou une formation (par exemple, dans les secteurs de la menuiserie, de la serrurerie et de l’électricité), au profit de niches d'activités qui sont à moindre valeur ajoutée, ne nécessitant que peu de compétences physiques et de formation (comme ceci est le cas pour certaines activités tertiaires). Ces dernières activités ont une rentabilité généralement faible, ce qui limite également le taux d’autofinancement des entreprises sociales et donc leur indépendance des subventions (Dunand 2004 : 19).

En outre, une autre conséquence non négligeable, qui ressort de nos interviews par rapport à l’évolution des profils des publics, est le risque que les entreprises sociales possédant une logique de (ré)insertion passerelle glissent vers une logique d’intégration durable, qui se mesure par un prolongement ou un renouvellement de la durée des contrats de séjour des bénéficiaires. Il y aurait ainsi une convergence entre ces deux modes. En effet, étant donné que les bénéficiaires sont moins productifs, ils sont en conséquence de plus en plus difficilement employables sur le marché du travail ordinaire. D'où une tendance à des contrats de séjour de plus en plus longs au sein des entreprises sociales et l’accueil de personnes bénéficiant de mesures davantage conçues en fonction d’une (ré)insertion sociale que d’une (ré)insertion professionnelle99, ce qui fait que les entreprises sociales s’approchent d’une finalité d’emplois protégés. Le risque de ce glissement est que les activités de (ré)insertion des entreprises sociales deviennent le fondement d’un marché du travail parallèle qui n’arrive plus à jouer un rôle effectif de transition notamment entre le chômage et l’emploi. Si les bénéficiaires n’arrivent plus à sortir de ce marché secondaire, on se trouve alors confronté au risque d'institutionnalisation de l'exclusion.

Cette évolution des profils pose également des problèmes d’intégration entre les divers bénéficiaires actifs au sein des entreprises sociales. En effet, en ce qui concerne en particulier les jeunes au bénéfice de l’assurance-invalidité, certaines entreprises sociales concernées ont relevé les problèmes que ces bénéficiaires pouvaient poser au sein d’un groupe, en termes de comportements et de leur manque d’expérience de travail.

Enfin, nous pouvons mentionner les défis que pose cette évolution des profils en termes d’accompagnement social et d’encadrement professionnel à mettre à disposition des bénéficiaires. Les entreprises sociales devront en effet consacrer plus d’efforts (tant en intensité qu’en nombre d’interventions) à ces aspects, voire mettre en place un accompagnement en termes de formation élémentaire ou de préformation (comme c’est par exemple le cas pour « Réalise »).

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De toute façon, compte tenu des compétences professionnelles assez limitées des personnes qui ont recours aux entreprises sociales, ainsi que du taux de rotation élevé, il est difficile de développer une production de biens et services à haute valeur ajoutée (Dunand 2004 : 20). 99

Par exemple, la « Thune » avait accueilli en 2000 une personne en contrat d’insertion sociale (CIS) et cinq en allocation d’initiation au travail (AITS) de la loi sur l’aide sociale du Valais, alors qu’elle accueille en 2001 cinq CIS et un AITS. Cette évolution des AITS vers les CIS est un signe de la dégradation de la situation des personnes. Dans un marché de l’emploi revigoré, il y a ainsi une augmentation des besoins liés à une insertion sociale plus que professionnelle. Voir REY, Jean-Charles (2001). Entreprise sociale La Thune. Etat au 15 juillet 2001. Sion : La Thune. Rapport interne.

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