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Dimensions et rôle au niveau politique

Au-delà de leur valeur ajoutée sociale (lutte contre l’exclusion, lien social, rapports de solidarité, cohésion sociale, capital social, production à finalité sociale) et de leur dimension économique de production sur un marché, les entreprises sociales d’insertion se caractérisent également par des dimensions politiques.

Premièrement, comme l’avance Laville (1994), une dimension politique des entreprises sociales, de par leur ancrage dans des rapports sociaux, se traduit par l’ouverture de leurs activités à des espaces publics de proximité - ou des espaces publics autonomes selon les termes de Habermas. Dans ces espaces publics autonomes, qui sont de véritables espaces démocratiques, se rencontrent effectivement différentes parties prenantes participant à la construction conjointe de l’offre et de la demande des entreprises sociales. Contrairement aux relations anonymes du marché et de l’État, ces divers publics peuvent prendre la parole, débattre, décider, élaborer et mettre en œuvre des projets adaptés à leurs besoins diversifiés. Plusieurs avantages en découlent. D’abord, grâce à leur implication dans des réseaux locaux (ancrage territorial, proximité géographique et socioculturelle) avec lesquels ils entretiennent des relations, ces divers publics apportent leur expérience du terrain aux entreprises sociales. De plus, ils sont souvent des révélateurs de besoins non satisfaits et, de ce fait, les mieux à même de vérifier la pertinence économique et l'utilité sociale de l’offre de l'entreprise sociale par rapport à la demande. D’ailleurs, il semble que les entreprises sociales d’insertion, comme l’ensemble des organisations du tiers secteur, démontrent une capacité d’initiative et d’invention pour répondre à des besoins sociaux insatisfaits (par le marché et les collectivités publiques notamment) dans des domaines variés et nouveaux127. Enfin, la possibilité de participation de divers publics aux décisions au sein de ces organisations en fait des écoles de démocratie participative où les diverses personnes peuvent développer des compétences politiques et des vertus civiques (Enjolras 2005 : 9). Au total, la pluralité de parties prenantes permet de mieux appréhender la réalité multidimensionnelle de l’objectif d’insertion des entreprises sociales et de répondre à des niches de marché pour leur objectif de production.

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Les entreprises sociales peuvent créer de nouveaux services, mais elles peuvent aussi utiliser de nouvelles méthodes pour produire des services traditionnels, comme par exemple l’implication des différentes parties prenantes (Borzaga et Defourny 2001 : 358).

CH A P I T R E 10: DI M E N S I O N S E T R Ô L E D E S E N T R E P R I S E S S O C I A L E S D’I N S E R T I O N A U N I V E A U S O C I É T A L

Deuxièmement, ces espaces où se rencontrent divers publics peuvent devenir des relais afin que les demandes des citoyens entrent ensuite sur l’agenda politique et contribuent à l’approfondissement de la démocratie. Cette structure intermédiaire va assurer le lien avec l’État. Ainsi, ces espaces de vie démocratique donnent aux parties prenantes la capacité et la possibilité de se faire entendre et d’agir en vue des changements qui les mobilisent. Cette perspective soutient l’idée selon laquelle la lutte contre l’exclusion implique de donner aux groupes exclus ou désavantagés des opportunités politiques de participer à la redéfinition des valeurs et des procédés qui contribuent à leur oppression. En effet, la politique sociale ne peut pas résoudre, à elle seule, tous les problèmes d’exclusion du marché du travail. Afin d'y faire face, il faut également prendre en considération la citoyenneté politique (Cattacin, Gianni, Mänz et Tattini 2002 : 154). Comme le dit Young (1990 : 184)128, « un espace public démocratique devrait trouver des méthodes permettant de reconnaître et de représenter de façon effective les différentes voix et optiques des groupes oppressés et désavantagés qui en font partie ». En d’autres termes, pour promouvoir l’intégration sociale, il faut concevoir une politique publique non pas pour les désavantagés, mais avec les désavantagés. C’est de cette manière que les conditions de l’exclusion seront politiquement reconnues. Dans ce sens, les entreprises sociales d’insertion, en intégrant les différentes parties prenantes, sont des relais prometteurs.

Toutefois, qu’en est-il en dans les faits de cette volonté des entreprises sociales d’intégrer différentes parties prenantes, dont notamment des personnes défavorisées, au sein de leurs organes décisionnels ? Quelques études ont montré que les entreprises sociales dans divers pays favorisent cette participation à la vie de l’entreprise, que ce soit par le biais de bénévoles, de salariés, d'usagers ou de représentants d’organismes publics et privés129 (OCDE 1999 : 10 ; Nyssen 2005). Toutefois, par exemple, la recherche européenne « PERSE » sur la performance socio- économique des entreprises sociales a montré la faible représentation des travailleurs en insertion, ce qui interpelle dans la mesure où l’insertion est au cœur de la mission des entreprises sociales (Lemaître et al. 2005). Tel semble être également le cas pour notre pays, comme nous l’avons vu. Si la participation des bénéficiaires au fonctionnement quotidien de l’entreprise sociale est généralement importante, celle-ci ne peut toutefois être considérée comme une participation citoyenne à la vie de l’organisation. Plusieurs facteurs peuvent certainement freiner cette volonté de participation des publics et notamment des bénéficiaires des entreprises sociales. Par exemple, pour l’école des relations humaines, à quelque niveau qu’elle se produise, toute participation est jugée en elle-même comme étant bonne pour l’individu et pour l’organisation (Bernoux 1999 : 101). Étant plus satisfait, l’individu servira mieux l’organisation dans laquelle il est. Or, il est à noter que non seulement il n’y a pas nécessairement de rapport entre satisfaction et productivité, mais, qu'en plus, participer c’est s’engager, et tout le monde ne souhaite pas le faire (idem 1999 : 113). L’individu ou le groupe peut définir ses propres stratégies en fonction de sa relation à l’organisation130. En outre, tout individu n’a pas nécessairement les capacités à s’engager.

En conclusion, cette argumentation démontre l’insertion des entreprises sociales dans la sphère politique de par la participation (en tout cas souhaitée) de diverses parties prenantes en leur sein, dont leurs demandes peuvent influencer les préoccupations de l’agenda politique. Enfin, il ne faut pas oublier que les entreprises sociales proviennent d’un secteur traditionnellement impliqué dans des actions sociopolitiques (Nyssen 2005), notamment contre un ordre marchand inégal, comme l’ont montré les approches du tiers secteur. Ainsi, leur critère de la primauté du social sur l’économique (ou du lien sur le bien) est aussi un projet ou courant politique.

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YOUNG, Iris M. (1990). Justice and the Politics of Difference. Princeton: Princeton University Press. 129

Certaines entreprises sociales intègrent donc en leur sein des représentants économiques et étatiques ; ces divers acteurs pouvant devenir, entre autres, des pourvoyeurs de contrats.

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CH A P I T R E 10 : DI M E N S I O N S E T R Ô L E D E S E N T R E P R I S E S S O C I A L E S D’I N S E R T I O N A U N I V E A U S O C I É T A L

Synthèse

De par leur articulation de diverses dimensions économique, sociale et politique qui les constituent, les entreprises sociales entrent dans un secteur intermédiaire : le tiers secteur. Pour les différencier des autres organisations de ce tiers secteur, il est à mentionner que les entreprises sociales d’insertion ont une combinaison spécifique de ces trois dimensions. En effet, elles relient des buts économiques, notamment par la production et la commercialisation de biens et services sur un marché, ainsi que des buts sociaux en engageant en leur sein des personnes en difficulté en vue de leur (ré)insertion, qui peuvent être parfois parties prenantes à leur prise de décision organisationnelle.

Cette combinaison en fait des acteurs qui ont un rôle complémentaire à l’État et au marché dans la prise en charge des problèmes sociaux. En allant dans le sens de Evers (1990, 2001), cette place particulière occupée par les entreprises sociales leur permet de fonctionner en tant que trait d’union entre diverses logiques de fonctionnement, et par conséquent, entre des sensibilités différentes. Ainsi, les entreprises sociales d’insertion devraient être reconnues comme partenaire égal au marché et à l’État, tant au niveau de leur participation à des prestations dans le domaine de l’insertion, qu’au niveau de leur intégration à la prise de décision concernant les politiques publiques les concernant131.