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C. Approche sociologique du partage des tâches

3. DE QUELLE MANIERE EVOLUE LA REPARTITION DES TACHES DOMESTIQUES?

Les sociologues qui ont disserté sur la question ont eu recours à diverses classifications pour mettre en évidence les subtilités de l'évolution dans ce domaine. En effet, comme on peut le constater, l'évolution dans la répar-tition des tâches ne s'effectue pas par le biais d'une substitution de l'homme dans le rôle traditionnellement assumé par la femme, ou par un partage par moitié de l'ensemble des tâches actuellement généralement as-sumées par les femmes. On constate au contraire un partage qui est plus ou moins important selon le type de tâches ou selon le lien plus ou moins étroit qui existe entre cette tâche et le sexe du conjoint.

ZARCA voit une évolution qui est différente selon le type de tâches ména-gères dont il est question. Il distingue trois catégories: les tâches typi-,quement féminines, les tâches typiquement masculines et les tâches

négo-102 JOBIN (voir ci-dessus note 6), 188-189.

ciableslO'. Les premières sont à la charge exclusive des femmes dans 90 % des cas. Il s'agit de laver le linge à la main, laver le gros linge à la machine, laver le petit linge à la machine, repasser, recoudre un bouton, faire les sanitaires. Les secondes sont prises en charge par plus de 70 % des hommes. Il s'agit de porter le bois, Le charbon, d'amener le mazout et de laver la voiture. Elles sont effectuées à égalité dans moins de 3 % des cas. Les tâches négociables sont des tâches de nature plutôt féminine, mais dont la marque s'affaiblit. Il s'agit de faire la cuisine, faire les vitres, passer l'aspirateur ou le balai, faire la vaisselle à la main ou mettre le cou-vert. Dans 8 % des cas, les hommes en ont la charge. Dans plus de 35 % des cas, voire même dans 80 % des cas quelquefois, ils y participent. Dans

10.6 % des cas, elles sont effectuées à part égales entre les conjoints.

'D'une manière générale, ZARCA constate que la répartition du travail évolue peu. Cependant, si l'on compare les trois catégories les unes avec les autres, il apparaît que c'est dans la catégorie des tâches négociables que l'on peut observer l'évolution la plus importante, en ce sens que les hommes participent plus qU'auparavant'''.

GLAUDE et DE SINGLY examinent et hiérarchisent les tâches domestiques en fonction de leur importance en terme de "pouvoir". A cet égard, ils distinguent deux catégories: le pouvoir d'orchestration, qui relève du domaine des grandes décisions, celles qui concernent les objectifs du couple, et toutes les activités qui mettent en pratique cette politique con-jugale (appartement, vacances, amis, enfants, lectures, aménagement,

électroménager, etc.), et le pouvoir d'exécution, c'est-à-dire le domaine des activités de gestion de la vie quotidienne (domaine ménager, de l'en-tretien, de l'approvisionnement et de l'administration).

Ils constatent un net accroissement de la participation des hommes dans le pOllvoir d'orchestration mais par contre une participation masculine qui s'accroît plus lentement dans le domaine du pouvoir d'exécution 10'.

103

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105

Bernard ZARCA, "La division du travail domestique: poids du passé et tensions au sein du couple". in Economie et Statistique, no 228, janvier 1991, 29 55 (30-31).

ZARCA (voir ci-dessus note 103). 31.

GLAUOElOE SINGLY (voir ci-dessus note 87). 11-13 et 27.

Le pouvoir d'orchestration est en outre plus sensible à des influences culturelles, telles les idées d'égalité entre homme et femme, que le pouvoir d'exécution'''. Ainsi, les objectifs du couple seront plus facilement fixés conjointement par les époux, lorsque le contexte dans lequel ils vivent est fortement imprégné de l'idée d'égalité. Le pouvoir d'exécution est par contre plutôt soumis aux conséquences des négociations qui interviennent entre les conjoints 107. JI sera plus facilement dépendant des rapports de force entre ceux-ci et de leurs ressources respectives (profession et statut).

Le pouvoir d'exécution est lui plus influencé par l'âge des conjoints '08.

Lorsque le mari prend de l'âge, la spécialisation s'accroit dans l'organisa-tion domestique.

Selon KAUFMANN, la spécialisation ne diminue pas, mais les conjoints s'attribuent ce qu'il appelle des territoires personnels, c'est-à-dire des sphères d'influence (l'un intervient par exemple dans la cuisine, et l'autre dans le ménage). Une telle solution pennet, à son avis, d'éviter le coût relationnel lié au choc des normes différentes de l'homme et de la femme dans l'exécution de ces activités''''.

4. CONCLUSION INTERMEDIAIRE

On a pu le constater: plusieurs facteurs contribuent au maintien d'un mo-dèle traditionnel de partage des tâches. Contrairement à ce que l'on pou-vait s'imaginer, l'entrée en force des femmes sur le marché du travail n'a pas fait grandement évoluer la pratique du modèle traditionnel. JI est donc intéressant de s'interroger sur la voie à suivre pour favoriser une organi-sation égalitaire des tâches entre hommes et femmes ou en tout cas pour

'06

'07

'08

'09

GLAUDEIDE SINGLY (voir ci-dessus noie 87), 27.

GLAUDEIDE SINGLY (voir ci-dessus note 87), 27.

On trouve une idée semblable chez RYFFEL-GERlcKE qui voit cette tendance sous J'angle de la vie en commun. Une longue durée de mariage va consolider le modèle traditionnel et faire diminuer une participation du mari qui existait éventuellement au début de la relation conjugale (RYFFEl-GERICKE [voir ci-dessus note 22], 1 13).

KAUFMANN (voir ci-dessus note 96), 92-96.

permettre aux couples d'effectuer librement, c'est-à-dire sans contrainte extérieure de nature pécuniaire, familiale ou sociale, un choix quant à la répartition des tâches dans la famille.

Selon la sociologue Martine SEGALEN, trois facteurs pourraient pennettre un renversement de la tendance actuelle:

_ une réinsertion des femmes des classes moyennes dans le monde du tra-vail;

• un retour du mari dans le foyer;

& 'd d al' é 110

• une translonnaUon rapl e es ment It s .

La réinsertion des femmes sur le marché du travail ne conduit pas auto-matiquement à faire disparaître le modèle traditionnel 1 Il • On assiste au contraire à la naissance de ce que l'on peut appeler le nouveau modèle traditionnel dans le cadre duquel la femme travaille et assume en plus les activités au foyer. On peut imaginer que tant que le travail domestique causera des désavantages professionnels et sociaux importants et tant que les hommes réaliseront des salaires plus importants que les femmes, il sera très difficile d'inciter les couples à partager les tâches domestiques ou même à spécialiser le mari dans un rôle traditionnel. En effet, l'analyse économique des comportements familiaux nous montre que les décisions relatives au partage des tâches sont influencées par les bénéfices qui peu-vent être retirés de ce mode de partage. Elle nous montre également qu'il est plus avantageux de spécialiser au foyer le conjoint qui a les revenus les moins élevés 112. Les désavantages professionnels et sociaux sont alors moins conséquents que dans les cas où c'est le conjoint gagnant le salaire le plus élevé qui assume le rôle traditionnel. Une politique sociale et juri-dique apportant une revalorisation réelle de ce rôle ainsi qu'une réalisation de l'égalité des salaires entre homme et femme pourraient permettre de renverser la tendance.

110 SEGALEN, Sociologie de la famille (voir ci-dessous note 85), 235 ss.

III

Voir ci-dessus page 34.

Il' Voir ci-dessous titre ID pages 56 55, spécialement titre B, pages 67 55.

Un retour des hommes dans le foyer doit passer, comme le souligne à juste titre RYFFEL-GERICIŒ"', par une réduction de leurs ambitions pro-fessionnelles. Cela pennettrait d'obtenir une structure familiale moderne où homme et femme auraient la possibilité de réaliser tant des buts pro-fessionnels que familiaux. Une telle évolution doit cependant nécessaire-ment s'accompagner d'une revalorisation du travail domestique, d'une suppression des conséquences professionnelles encourues lorsque l'on as-sume un travail domestique ainsi que d'une évolution des mentalités.

Avec RYFFEL-GERICIŒ''', on doit admettre qu'actuellement une évolution du modèle traditionnel se heurte à des obstacles sociaux non négligeables.

Les attentes de la société à l'égard de l'homme sont souvent incompatibles avec un partage égalitaire des tâches domestiques. Pour un homme, la re-connaissance sociale s'acquiert au travers de son activité professionnelle, c'est-à-dire en particulier de son salaire et de la position professionnelle qu'il occupe. Sur le marché du travail, l'homme est souvent en compétition avec d'autres hoinmes qui, comme lui, s'investissent entièrement dans leur activité professionnelle. Sa réussite passe nécessairement par le sacrifice d'un investissement dans le ménage.

De plus, la socialisation de la femme dans le rôle de mère et de soutien dans le développement professionnel de son mari n'encourage pas la femme à s'engager dans le monde professionnel lorsqu'elle devient mère

!lt la pousse à subordonner sa carrière à celle de son mari. Nombreuses ./sont les mères qui développent des sentiments de culpabilité lorsqu'elles

, assument une activité professionnelle en plus de leur rôle de mère.

Le marché du travail peu flexible constitue également un obstacle diffici-lement sunnontable pour la femme ou l'homme qui souhaite concilier fa-mille et travail. Des crèches sur le lieu de travail ou dans les environs font cruellement défaut. Le petit nombre de postes de travail à temps partiel représente également un handicap pour les parents qui veulent assumer leur rôle consciencieusement.

Il est difficile de définir les moyens et les méthodes pennettant une évo-lution des mentalités et des structures sociales dans le sens souhaité. Nous

"'

RYFFEL-GERlCKE(voir ci·dessus note 22), 269.

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RYFFEL·GERICKE (voir ci·dessus note 22), 272·273.

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pensons toutefois que, parallèlement aux efforts tendant à faire modifier les structures du marché du travail de façon à ce qu'il soit possible pour les deux sexes de combiner travail et famille, il est déterminant d'être très attentif aux stéréotypes sur les rôles propres à chaque sexe, qui sont véhi-culés dans notre société au travers de la publicité, des films, de la littéra-ture et de l'enseignement notamment. Chaque individu est à la recherche d'un modèle. Tant que les femmes et les hommes n'auront pas comme modèles des femmes et des hommes assumant un autre rôle que le rôle traditionnel, il sera difficile de faire évoluer les pratiques.

D. La valorisation macro-économique du travail