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SAVOIR-FAIRE ET TECHNIQUES TRADITIONNELLES DE PISEURS ET MAÎTRES PISEURS

2. LA TERRE, LES PISEURS ET LES TECHNIQUES DU PISÉ

2.1. La maison ‘cueillie’ de la terre

Gualdino et sa famille vécurent dans cette maison du Vale de Bezerras pendant une quinzaine d’années. Au début des années 70 ils décident de partir dans la ville la plus proche, Sines. Partir à Sines était une forme de garantir la continuité des études des enfants. En outre, ce qui a aussi pesé dans la décision du déménagement c’est que Gualdino avait commencé à travailler comme aide-maçon à Sines. Le changement était également pour éviter de parcourir une quarantaine de kilomètres par jour, aller et retour Vale de Bezerras-Sines, à moto. À cette époque-là, d’importantes modifications surgissaient dans la région. La ville de Sines avait été choisie par le gouvernement pour accueillir un moderne et ambitieux complexe industriel, dans le cadre d’un programme politique de développement national et régional. L’exigence de création de structures pour accueillir un éventuel flux de main d’œuvre et de population migrante venait d’offrir de nouvelles opportunités d’embauche pour la population locale. À l’image de Gualdino, de nombreux paysans abandonnèrent leurs maisons rurales et s’installèrent en ville, tentant ainsi d’adoucir la précarité de la subsistance agricole en se lançant dans d’autres types de travail. Fatigués de la vulnérabilité de la vie rurale, Gualdino et sa famille migrèrent vers un complexe plus urbain. De précaire salarié agricole et d’agriculteur de subsistance, Gualdino Silva devint aide-maçon, travailla selon des techniques plus modernes de construction en brique et ciment, ce qui lui permit de gagner un salaire régulier.

C’est dans le travail d’aide-maçon à Sines que l’on peut trouver un des liens qui rattachent le mode de vie rurale et paysanne à la nouvelle expérience urbaine. En effet, les conditions qui ont permis que Gualdino devienne ouvrier du bâtiment (exclusivement centralisé sur l’utilisation de matériaux tels que le ciment et la brique) proviennent de son expérience du temps de Vale das Bezerras, en tant qu’aide-piseur et participant actif des logiques communautaires de troc et d’entraide dans la construction de maisons en terre. Quoique cet ouvrier n’ait pas été un maître dans l’art du pisé, il a été, malgré tout, à l’image de tant d’autres hommes de sa condition, un pratiquant du pisé. Son apprentissage de la technique du pisé date de l’époque où il a fait partie des équipes de paysans qui construisaient ces habitations en terre. Il a appris à faire le pisé en ‘l’appliquant’ dans la construction des maisons de la campagne

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- la sienne et celles des autres, bénéficiant aussi de la traditionnelle transmissions de connaissances entre piseurs.

Tandis que, nous traversions une pinède pour arriver aux maisons des deux frères, qu’il avait aidé à construire, il m’a expliqué ce qu’était un taipal (coffrage). Son explication s’est montrée d’une grande simplicité, utilisant, pour ce faire, une métaphore extraite de son quotidien: “Le coffrage est pareil à l’intérieur et à l’extérieur, c’est comme une veste, après l’avoir portée à l’endroit, quand elle est usée, on la retourne pour la porter à l’envers”11. En effet, dans les couches sociales les plus démunies, il était d’usage de profiter des deux côtés du tissu, lorsque l’endroit était élimé on le retournait, et, on donnait ainsi une deuxième vie au vêtement. Tout comme on utilisait le deuxième côté de la veste, quand l’ouvrier démontait le coffrage pour y construire un nouveau bloc, le côté intérieur du coffrage était renversé et mis à sécher. Et ainsi de suite, chaque fois que l’on faisait un nouveau bloc de pisé.

C’est aussi par l’intermédiaire de métaphores liées au quotidien paysan que Gualdino a défini ce qu’était une maison en terre. “C’est une maison saine, qui est extraite de l’endroit–même. C’est un fruit que l’on cueille de l’arbre”.12 Cette image nous donne de la maison une description riche en significations écologiques inscrites dans la vie paysanne, dans l’exploitation agricole, dans le lien à la terre. La maison en pisé est mise en analogie avec les objets naturels du milieu rural environnant. Elle communique en syntonie avec l’endroit, formant une écologie sans violences; elle est faite de la même terre qui donne les produits agricoles, elle s’unit à l’environnement naturel du lieu. La maison provient donc de la terre, tout comme le fruit provient de l’arbre. Et, tout comme les hommes retirent le fruit de l’arbre, les hommes cueillent la maison de la terre. Ainsi, que ce soit pour la construction en pisé, que ce soit pour la construction en adobe, le matériau-terre à utiliser était celui que le milieu environnant offrait et sa préparation pour la construction s’effectuait sur place. Les adobes pour les murs, rappela Gualdino, “ont été faits ici”, à côté de la maison, “près de l’eau”.13

Comme il a déjà été mentionné, Gualdino occupait une place subordonnée dans l’organisation du travail des équipes de piseurs. Il était aide-piseur. Dans les maisons qu’il a aidées à bâtir, c’était lui qui était chargé du transport des seaux. En ce qui concernait le pisé, ceux qui ‘connaissaient’ le pisé et qui ‘dirigeaient’ la construction, c’étaient les maîtres piseurs. A ma demande, et conscient des limitations de ses connaissances sur la technique du pisé, M. Gualdino Silva, m’a présentée deux

11

Interview à Gualdino Silva, Vale de Bezerras, Sines, 26/12 /2001. 12

Idem. 13

Idem. “Le type de terre utilisée était la terre existante sur place (…). A l’endroit où l’on allait construire, c’était de là que l’on retirait la terre.” (Maître Luis Milho, cit. in LOBO, 2001: 32)

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maîtres piseurs du côté de Vale de Bezerras. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de António Maria Loja (maître Lojinha) et de maître Chico Luz, auprès desquels j’ai recueilli de nouvelles informations sur la construction en terre dans l’Alentejo.