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LA TRANSMISSION FAMILIALE DU MÉTIER DE PISEUR

SAVOIR-FAIRE ET TECHNIQUES TRADITIONNELLES DE PISEURS ET MAÎTRES PISEURS

3. LA TRANSMISSION FAMILIALE DU MÉTIER DE PISEUR

N’allant pas à l’école et sans activités, les garçons aînés de la famille commençaient tôt à suivre leur père dans leur journée aux champs. Lors de leurs présences journalières, les enfants se voyaient confier les tâches les plus simples. Pour les parents, ceci représentait une façon d’occuper les enfants pendant la journée et eux-mêmes, dans le même temps, étaient ‘soulagés de la lourde charge’ que

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constituaient leurs travaux quotidiens. Cette structure familiale de subsistance faisait en sorte que dès leur jeune âge, les garçons commençaient à suivre les pas de leur père dans les travaux des champs, suivant ainsi les relations établies dans la communauté, ou l’accomplissement d’une occupation.

Le manque de travail dans le milieu rural poussait le père à chercher un métier pour son fils. Cette ‘recherche’ équivalait en grande partie à la définition de la profession ou du métier futurs du garçon. De la même façon, devenir piseur découlait de ce processus d’apprentissage professionnel protégé par l’influence paternelle et marqué par la reproduction sociale d’un métier de père en fils. En outre, la diversité de professions en milieux restreints était nulle, de telle sorte qu’il n’y avait pas grandes options.

Le fils accompagnait le père dans les tâches agricoles journalières, dans la garde des troupeaux, ou les petits boulots que le père acceptait de temps en temps ou qu’il maintenait en parallèle pour renforcer ses moyens de subsistance. C’est ainsi récurrent de vérifier que le maître piseur a débuté dans la construction en terre crue par la main de son père ou d’un autre membre de la famille. Toino ‘enjeitado’ - maître piseur de Porto Côvo qui a travaillé une vingtaine d’années dans le pisé – affirme avoir choisi ce métier pour suivre l’exemple de son grand-père et de son père qui étaient maîtres piseurs. De la même façon, José Pincho, lui aussi de Porto Côvo, avoue avoir repris l’occupation de son père: “Parce que c’était le métier de mon père. Il y avait toujours quelque chose que je pouvais faire. L’une d’entre elles était de charrier l’eau dans une carriole tirée par des ânes.”23

3.1. La constitution des équipes de travail

La pratique du pisé était une activité collective. Pour cette raison, elle dépendait de la disponibilité saisonnière des travailleurs, des ustensiles pour la construction et de la formation d’une équipe. Avoir trouvé un maître signifiait aussi, avoir trouvé les outils nécessaires à la construction: “Untel a des coffrages”, maître Albino Vicente explique à son tour que “Tout le monde n’en a pas!”. C’était comme ça qu’on pouvait commencer la formation de l’équipe de piseurs avec le maître en tête, en tant que connaisseur de l’art et détenteur de le étui24 qui permettrait de faire le pisé. Les commandes obtenues, il revenait au maître de former son équipe qui “n’était pas toujours la même”. L’équipe de piseurs n’était pas permanente étant donné la vulnérabilité du métier qui surgissait

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Interview à José Pincho, Porto Côvo, juillet 2005. 24

Système constructif constitué de deux longues planches, six coudes et six aiguilles, un fronton, des cordes et deux pisoirs en bois.

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normalement parallèlement aux travaux agricoles. Comme il s’agissait d’un travail incertain, on ne pouvait pas établir de compromis entre les membres de l’équipe. Etant donné que ce type de construction se destinait à des gens défavorisés, le client faisait alors partie de l’équipe, se chargeant de la préparation de la terre et de son transport jusqu’aux coffrages afin d’avoir un homme de moins à payer. Les mots de Gualdino Silva, (ancien aide-piseur) ont bien illustré cet aspect communautaire de la construction d’une maison. “Si [le propriétaire] avait des revenus, il n’aidait pas. S’il était pauvre, comme nous, alors oui, il aidait”. “Avec le maître à la tête des travaux, le propriétaire comme aide-maçon, les autres éléments de l’équipe (généralement composée de quatre hommes) n’étaient pas difficiles à trouver. Rapidement on découvrait qui se trouvait sans travail: “Il paraît que ‘machin’ se la coule douce.” Cela suffisait pour que cette personne vienne composer le groupe. Dans ce contexte on profitait aussi des entraides communautaires. Il était courant de voir des amis et des parents de qui avait commandé la construction de la maison en pisé, venir participer aux travaux. Ces entraides, tôt ou tard, seraient compensées. Ces logiques de l’entraide faisaient en sorte que la maison en pisé se construise à très faible coût. La terre étant extraite de son propre terrain, la main d’œuvre assurée par les parents et les amis, le paysan, bien souvent, construisait son humble logis gratuitement.

La précarité socio-économique et le caractère agricole du mode de subsistance des piseurs structuraient également une relation de contact intime avec le milieu naturel. Le lien étroit qu’ils maintenaient avec la nature marquait le rythme de leurs activités journalières et saisonnières. La construction communautaire de leurs maisons en pisé, à l’image d’autres activités, s’enchaînait dans cette relation symbiotique. En effet, la complicité entre les techniques traditionnelles de construction en terre crue et le milieu rural a eu comme condition la pauvreté des populations rurales du Bas Alentejo. C’est cette intéraction entre le métier de piseur, les modes de son apprentissage et l’environnement rural que la section suivante prétend mettre en évidence.