• Aucun résultat trouvé

Le maintien du contrôle de la propriété et du management

L'ENTREPRISE FAMILIALE : SPECIFICITES ET PRISE DE DECISION

1 LES SPECIFICITES DE L'ENTREPRISE FAMILIALE

1.2.1 Le maintien du contrôle de la propriété et du management

La séparation entre la propriété et le contrôle managérial est une caractéristique fondamentale des entreprises capitalistes. Cette séparation est une source de conflit qui se traduit par des problèmes d'agence dépendant du degré de divergences entre les objectifs des dirigeants et ceux des actionnaires.

En ce qui concerne l'entreprise familiale, la préférence de la famille de maintenir un contrôle personnel s’explique par un système de contrôle peu formalisé où la propriété et le contrôle sont réunis plutôt que de se compter sur des procédures impersonnelles formalisées pour contrôler les comportements des employées, les processus de l’entreprise et ses opérations (Daily et Dollinger, 1992). Néanmoins, même si l'objectif de préserver le contrôle de la propriété ou du management est au cœur de la notion d'entreprise familiale, le développement de celle-ci tout en préservant la nature familiale de l'entreprise demeure problématique.

Ainsi, Scase et Goffee (1982) ont lié le développement interne du système de contrôle organisationnel au degré externe de l'orientation marché. Ils ont pu établir une typologie (tableau 2) qui peut être utilisée pour décrire les différents modèles de développement des entreprises familiales.

Tableau 2 : Le développement du système de contrôle

Développement du système de contrôle

Orientation marché Très développé Sous-développé

Elevé Managérial(1) Entrepreneur(2)

Faible Paternaliste(3) Conservateur(4)

Le propriétaire managérial est très attiré par les opportunités de marché. Il donne la priorité à la maximisation du profit. Il est fier de l'efficience et souvent d'une structure organisationnelle assez complexe. Il est l'héritier typique de l'entreprise familiale mais il ne cherche pas la légitimité dans ce sens. Pour lui, le développement de son entreprise et son succès prouvent suffisamment ses compétences personnelles. Ses relations avec les employés sont du type méritoire plutôt que paternaliste : un bon salaire pour un bon travail. Le propriétaire entrepreneur est très orienté marché mais son entreprise a sous développé les systèmes de contrôle. Généralement, il est le fondateur propriétaire qui a rapidement

développé son entreprise. Souvent il externalise certaines fonctions à fin d'éviter les problèmes associés à des structures complexes de management. Les relations avec les employés sont définies en termes de liens salariaux et les décisions sont légitimées par référence au marché. Ceux qui ne sont pas satisfaits peuvent quitter l'entreprise ou créer leur propre affaire.

Le propriétaire paternel voudrait que son entreprise soit héritée par un grand nombre de générations et il lui éprouve une croissance stable. L'orientation "marché" est faible mais les systèmes de contrôles sont développés ce qui accentue les obligations sociales et morales de l'emploi. Ce type de propriétaire ne cherche pas simplement à réaliser des profits, il croit à ses responsabilités sociales envers les employés, les clients et la société au sens le plus large.

Le propriétaire conservateur est l'héritier d'une entreprise familiale qui a connu une faible croissance et parfois une stagnation durant ses dernières années. Qu'il s'agisse de choix ou de manque de compétences, son entreprise a une faible orientation marché et des structures organisationnelles peu développées. Ces ambitions pour la croissance et le changement sont réduites. Les pratiques traditionnelles persistent, le propriétaire est peu impliqué dans la gestion, il ne dirige pas lui même son entreprise mais il cherche plutôt le loisir. En absence de plus d'engagement des héritiers de l'entreprise, celle-ci disparaîtra.

Selon Scase et Goffee (1982), plusieurs propriétaires débutent comme entrepreneurs, exploitent les opportunités de marché mais n'arrivent pas à développer les systèmes de contrôles compatibles avec le rythme de croissance. D'autres échouent par manque de moyens et seulement une minorité qui arrive à développer les mécanismes organisationnels nécessaires pour une transition au propriétaire managérial.

La structure organisationnelle devient un outil permettant de résoudre les problèmes spécifiques au maintient de la nature familiale de l'entreprise puisque cette structure précise le cadre explicite des relations entre acteurs et la répartition des rôles de prise de décisions, d'orientation stratégique et de contrôle. Cependant, si l'entreprise familiale introduit un formalisme excessif, ceci peut conduire à diluer le contrôle et dans ce cas cette structure ne résout pas toutes les difficultés (Barrédy, 2002).

Certaines structures organisationnelles facilitent la rétention de la propriété et du contrôle de l'entreprise familiale. Elles sont caractérisées par un haut niveau d'informel et peu de décentralisation (Goffee, 1996). De telles structures permettent aux dirigeants de se doter

d'une autonomie considérable dans la prise de décision. L'absence de processus de décision formellement défini, par exemple, donne aux dirigeants de plus grandes possibilités d'exécuter des décisions arbitraires. Ceci reflète le besoin d'investigations plus détaillées de la façon dont les stratégies sont poursuivies par les dirigeants des entreprises familiales (Goffee, 1996).

1.2.2 La pérennité

La pérennité de l’entreprise suppose continuer à être la propriété de la famille et à être dirigée par les membres de la famille (Mignon, 2000). Le principal problème qui se pose au dirigeant est de décider comment assurer la pérennité de l’entreprise par sa transmission à la génération suivante. Du fait qu’elle engage la pérennité de l’entreprise, la transmission de la direction au sein de l’entreprise familiale apparaît comme l’ultime défi à relever par le dirigeant ayant la volonté d’assurer la pérennité de son entreprise (Youaleu & Filion, 1996).

En effet, Gaultier (1990) explique que très souvent, des entreprises familiales sont menacées de disparaître ou d’éclater sous la pression des héritiers qui poursuivent des buts différents. Certains fondateurs recherchent un héritier unique qui pourra maintenir la concentration du pouvoir entre les mains du dirigeant propriétaire de l’entreprise. Un plus grand nombre d’entre eux, toutefois, conçoivent l’entreprise comme un patrimoine collectif qu’ils partagent entre les membres de la famille dans un esprit de partenariat (Ward, 2005). Cependant, pour le fondateur, renoncer à l'exercice du pouvoir serait selon Brunner (1975) la contrainte absolue, qui mettrait un obstacle définitif aux projets de développement dans lesquels l'exercice du pouvoir serait aliéné. De ce fait, la transmission d'une entreprise est un aspect fondamental en gestion. Les décisions qui seront prises pour la mettre en place seront difficilement réversibles, et viendront peser sur toutes les autres décisions qu'initiera l'entreprise. Etape majeure dans la survie de l'entreprise, la transmission de cette dernière reste un objectif de premier ordre car toutes les entreprises ne réussissent pas leur transmission (Chua et al, 1999).

Cette transmission, peut être définie comme "un processus dynamique durant lequel les rôles et les fonctions des deux principaux groupes d’acteurs, soit le prédécesseur et le successeur, évoluent de manière dépendante et imbriquée, cela dans le but ultime de transférer à un membre de la prochaine génération, d’une part, la direction de l’entreprise et, d’autre part, la propriété (Cadieux et Lorrain, 2002).

En effet, Marshall et al (2006) expliquent qu’eu regard à la transmission, il existe un gap entre les désires des propriétaires et leurs actions : l’objectif de 81% des dirigeants propriétaires des entreprises familiales est de maintenir le contrôle de leurs entreprises par les membres de la famille et de préserver la propriété familiale afin d’atteindre l’objectif de la pérennité. Cependant, 70% de ces dirigeants résistent à la préparation de la transmission et seulement 28% des entreprises familiales enquêtées ont établi des plans pour cette transmission.

Sharma (1997) définit le plan de la transmission comme un processus délibéré et formel qui facilite le transfert du contrôle managérial d’un membre de la famille à un autre. Sharma et al (2003) proposent aussi que le processus de la transmission comporte plusieurs composantes telles que la sélection et la formation du successeur mais aussi le développement d’un plan de transmission. De ce fait, les actions que porte la transmission ne sont pas neutres dans le développement futur de l'entreprise. Celles qui seront menées parmi l'ensemble des choix possibles sont des éléments moteurs qui doivent concourir à terme à assurer la pérennité de l'entreprise. En fonction de la nature de la transmission qui aura été mise en place dans l'entreprise, des changements stratégiques et de nouvelles orientations stratégiques spécifiques à cette transmission prendront place (Haddadj et Andria, 2001).

Considérées sensibles aux transferts de générations, depuis plusieurs années, les statistiques véhiculant sur le taux de survie des entreprises familiales sont stables : dans l’ensemble, on estime que 30 % de celles-ci réussissent le passage à la seconde génération, que 10 % à 15 % passent à la troisième et que seules entre 3 % et 5 % survivent jusqu’à la quatrième génération (Aronoff, 2001). Sachant que pour Haddadj et Andria (2001), il faut environ dix ans pour préparer la transmission dans de bonne conditions, Bayad et Barbot (2002) soulignent que la succession n'est pas un évènement mais un processus lent et graduel durant lequel les individus effectuent les préparations nécessaires pour assurer une harmonie familiale et une continuité de l'entreprise à travers les générations. Par conséquent, la succession au sein de l'entreprise familiale apparaît alors comme étant l'ultime défi à relever par le dirigeant ayant la volonté d'assurer la pérennité de son entreprise (Youaleu et Filion, 1996).

Considéré indispensable par certains (Brown et Coverley, 1999; Davis et Harveston, 1998; Lansberg et Astrachan, 1994; Malone, 1989; Morris et al, 1996; Morris et al, 1997; Seymour, 1993; Sharma et al, 2000; Ward, 1988), dans quelle mesure la mise en place

d’activités de planification formelles correspond-elle aux réelles préoccupations des propriétaires dirigeants d’entreprises familiales aux prises avec la problématique de la continuité de leurs entreprises?

Ce que nous voulons apporter par l'étude de la pérennité et par conséquent la transmission en tant que but organisationnel de l'entreprise familiale, c'est de déterminer le poids de cette variable dans le processus de développement de ce genre d'entreprise. Plus particulièrement, ce but stratégique montre qu'un engagement de très long terme est nécessaire. Il ouvre donc des portes à l’élaboration de nouveaux modes d’intervention de nature plus contingente et mieux adaptés à la réalité de l’entreprise familiale.