• Aucun résultat trouvé

L’objectif de croissance : la petite taille

L'ENTREPRISE FAMILIALE : SPECIFICITES ET PRISE DE DECISION

1 LES SPECIFICITES DE L'ENTREPRISE FAMILIALE

1.2.3 L’objectif de croissance : la petite taille

Souvent présenté comme une fin en soi, la croissance est non seulement perçue comme désirable mais comme obligatoire. De ce fait, les théoriciens du développement organisationnel ont cherché à expliquer la croissance de l'entreprise par différents modèles de stades (Thain, 1969 ; Vargas, 1984 ; Perry, 1987 ; Churchill et Lewis, 1993). Ils prévoient généralement l'évolution de la petite entreprise vers la grande et y associent une caractérisation du management et du développement de l'organisation.

Selon cette approche, il y a un rythme de croissance particulier à chaque entreprise et l’une des habilités premières du dirigeant c'est de bien l'identifier et de se sentir toujours en contrôle de la situation malgré les turbulences inévitables qui se présenteront. Cependant, lorsqu'on aborde le monde des entreprises familiales, une autre contrainte s'ajoute au processus. L'aspect critique de la croissance pour l'entreprise familiale est la dilution du capital. Ce type d'entreprise veut garder la propriété et le management dans les mains de la famille le plus longtemps possible (Donckels, 1996).

En revanche, au fur et à mesure que l'entreprise croit, les ressources familiales en capitaux humains et financiers sont généralement insuffisantes pour permettre à l'entreprise d'atteindre le seuil de la taille efficiente (Williamson, 1981). Pour des problèmes de taille, la famille devient incapable d'internaliser toutes les activités afférentes à l'organisation. Pour remédier à ces insuffisances, les dirigeants sont obligés de recourir aux apports de partenaires externes au sein de l'entreprise familiale ce qui modifie les expériences et les perspectives de certains membres familiaux (Hirigoyen, 2002). Cette évolution atténue l'intensité des liens sociaux qui les réunissent au sein d'un système familiale hermétique.

Pour cette raison, la croissance n’est pas un objectif prioritaire de l'entreprise familiale car le dirigeant sait que gérer une grande entreprise nécessite des procédures bureaucratiques qui réduisent son pouvoir interne et nécessitent une autre configuration du pouvoir. Ainsi, les entreprises familiales sont parfois amenées à refuser les opportunités de croissance car elles sont réticentes à la dilution du capital ce qui explique le fait que ce type d'entreprise représente 70 à 90% des PME des pays d'Asie, d'Amérique et d'Europe. Pour le cas de la Tunisie, l'étude de Mzid (2003), confirme que plus de 95% des entreprises familiales étudiées sont des petites entreprises. Cette même étude a montré que la majorité des dirigeants des entreprises familiales n'ont pas comme motivation personnel pour le développement de faire croître leur entreprise par crainte de perte de contrôle. L’entreprise familiale souhaite donc rester en deçà d’une certaine taille pour préserver le contrôle familial.

Les principes qui inspirent ce type d'entreprise, sa structure et sa façon d'être gérée peuvent lui ouvrir la porte à de nouvelles formules pour la croissance et utiliser différentes solutions pour les moments difficiles (Neubauer et lank 1998). Les modèles des théoriciens de l'organisation paraissent les plus proches de la réalité des entreprises familiales. Ils penchent en faveur de la croissance cellulaire à fin de préserver la propriété (Stevenson et Jarillo-Mossi, 1986). Mais, bien que ce soit le seul type d'approche qui envisage la multiplication d'entreprises comme un développement possible, voire privilégié de la petite entreprise, il ne nous éclaire pas sur les logiques sous-jacentes et les objectifs de cette forme de croissance (Debray, 1997).

En fait, parmi les facteurs déterminants de la croissance d'une entreprise, le dirigeant est sans aucun doute le plus important. C'est souvent une question de choix personnel. Certains dirigeants croient que le caractère familial de leur entreprise est lui même une partie de leur stratégie concurrentielle. Ainsi, émerge une contradiction potentielle entre "la famille" et "la croissance" comme sources d'avantage concurrentiel (Barrett, 1998). Au cours du développement de l'entreprise familiale, le dirigeant se demande donc s'il va continuer à faire croître son entreprise. Si oui, est ce que la famille perdrait le contrôle? Le dirigeant a besoin de gérer la croissance et maintenir la nature familiale de l'entreprise en préservant son indépendance. L'indépendance qui se caractérise essentiellement par une structure de propriété concentrée, permet au dirigeant d'avoir une grande liberté dans l'élaboration des stratégies et des objectifs à long terme en échappant aux contraintes de formalisation et de communication des comportements. Les comportements autocratiques

que l'on retrouve chez certains fondateurs prédisposent ces derniers à privilégier l'indépendance et à refuser la planification (Pichard-Stamford, 2002).

Ces impératifs propres à l'entreprise familiale l'amènent à adopter des formes d'organisation adaptées à sa taille et à ses particularités, mais, aussi et surtout, qui répondent aux besoins et aux capacités de son dirigeant (Gasse et d'Amboise, 1998).

1.3 LE COMPORTEMENT STRATEGIQUE DE L'ENTREPRISE FAMILIALE

De manière générale, de rares études ont porté sur la stratégie de l’entreprise familiale en ce qui concerne les questions récurrentes de la succession et de la transmission de l’affaire. Le management stratégique de l’entreprise familiale reste, en conséquence, un domaine peu exploré (Basly, 2006). Les chercheurs reconnaissent, et souvent sans justification solide, que le processus de planification stratégique, s’il existe, ainsi que les stratégies en résultantes, pour l’entreprise familiale, seraient différentes de ceux de l’entreprise non familiale (Daily et Thompson, 1994; Gudmundson et al, 2001).

Cependant, Sharma et al (1997) observent que les processus stratégiques basiques sont similaires entre entreprise familiale et non familiale. Les différences principales entre les deux catégories d'entreprises résident dans l’ensemble des objectifs poursuivis, la manière de leur mise en oeuvre et la qualité des participants au processus.

Pour ceux qui dissocient la propriété et le contrôle tel que Mintzberg (1979), il est possible de différencier entre deux modèles organisationnels en fonction de la propriété et le contrôle du management. Cet auteur qualifie de "simple" les PME familiales alors que les grandes entreprises (publiques) sont des entreprises "complexes". Ce que Goffee (1996) reproche à cette analyse, c'est que Mintzberg oublie le fait que la majorité des entreprises familiales, relativement de petite taille, incarne des interrelations hautement complexes entre deux systèmes analytiquement séparés mais très liés socialement : la famille et l'entreprise.

En fait, d'un point de vue structurel, voire même organisationnel, l'entreprise se perçoit comme familiale suite à la manifestation d'un certains nombre d'échanges formels et informels entre l'entité "entreprise" d'une part et "famille" d'autre part, avec une forte implication de cette dernière dans l'appropriation du patrimoine de l'entreprise. Appropriation très souvent visible et manifeste par l'identification de l'entreprise au nom de la famille. Il en découle les considérations suivantes :

L'importance de l'harmonie familiale (Trostel et Nichols 1982) : l'affaire reste avant tout une histoire de famille et la croissance ne doit pas conduire à dilapider ce patrimoine familial.

Le maintien du contrôle de la famille sur l'entreprise (Ward 1988) : les entreprises familiales adoptent des stratégies de défense dans le but de maintenir le contrôle de la famille sur l'entreprise.

L'orientation vers l'environnement familial (Donckels et Fröhlich 1991) : en comparant les comportements stratégiques des entreprises familiales à ceux des entreprises non familiales, Donckels et Fröhlich (1991) ont pu conclure que les entreprises familiales sont orientées vers l'environnement familial. Leur comportement stratégique est plutôt conservateur et leur équipe dirigeante comprend le plus souvent des généralistes.

La concentration sur les marchés locaux (Gallo et Sveen 1991) : les entreprises familiales poursuivent souvent des stratégies de concentration sur les besoins des marchés locaux. Ces stratégies sont difficilement modifiables compte tenu de l'interaction entre les systèmes famille et entreprise. Les entreprises familiales sont peu présentes sur les marchés internationaux.

L'influence de la vision du dirigeant (Marchesnay 1994) : les décisions stratégiques touchent à la mission de l'entreprise, ses objectifs et ses perspectives. Elles font souvent référence au plan stratégique, donc à la vision du dirigeant.

La structure du capital (Daily et Thompson 1994) : la majorité du capital est détenue par une famille et au moins un des membres de cette famille est impliqué dans la direction de l'entreprise. Cette caractéristique n’est pas sans conséquences organisationnelles puisque, malgré la séparation juridique entre le patrimoine de l'entreprise et le propre patrimoine des dirigeants, l'amalgame existe souvent.

La vision à long terme moins tournée vers la croissance (Cadieux 1999, Mouline 2000) : la vision d'une entreprise familiale est avant tout la pérennité du pouvoir et de la direction. C'est à dire que la vision d'une entreprise familiale est qu'elle puisse continuer à être la propriété de la famille et à être dirigée par les membres de cette famille. Cette vision donne un horizon de long terme aux décisions stratégiques de l'entreprise.

Les recherches en stratégie de l’entreprise familiale convergent, d’une manière générale, sur certains points. On s’accorde à dire, en effet, que l’entreprise familiale a une orientation de repli sur soi qui affecte les perceptions que se font ses membres quant à l’environnement (Basly, 2006). Pour Donckels (1991), l’entreprise familiale se caractérise par une orientation "intérieure" ("Inward Orientation") c'est-à-dire vers l’efficience des opérations plutôt que par une orientation "extérieure" ("Outward Orientation") vers de nouveaux marchés. Par ailleurs, le système familial permettrait, entre autres manifestations, de créer et de maintenir une certaine cohésion sous-jacente, et donc conservatrice, des croyances et des convictions fondamentales que se fait l’entreprise quant à son environnement. L’entreprise familiale ne désire pas prendre de risque, ne veut pas s’associer et partager le pouvoir pour une quelconque activité et ne veut surtout pas créer des problèmes parmi les membres de la famille (Basly, 2005). L’entreprise familiale est donc plus résistante au changement et plus réticente à la croissance que l’entreprise non familiale. Sa préférence irait davantage vers l’expansion dans la même activité ou dans une activité sensiblement proche.

Ces caractéristiques n'ont pas nécessairement un effet positif ou négatif sur les résultats de ce genre d'entreprise, mais elles ont le potentiel d'influencer significativement le processus de la prise de décision dans l'entreprise familiale. Il semble, par ailleurs, que le fait que l’entreprise soit de petite taille soit associé avec son orientation stratégique de concentration sur une niche de produits et de clients. Dans ce cas, la croissance risque t’elle d’être évitée vu la rigidité du dirigeant et sa résistance au changement mais aussi vu les conflits entre les successeurs et la divergence entre les objectifs, les valeurs et les besoins de la famille (Ward, 1997). Mais, selon la conclusion de Harris, Martinez et Ward (1994), l'identification des caractéristiques de l'entreprise familiale et de l'effet qu'elles ont sur la stratégie reste plutôt des questions que des réponses.

Ainsi, dans cette section, partant de l'étude des caractéristiques évoquées ci-dessus, nous analyserons les implications stratégiques des relations famille / entreprise dans les entreprises familiales. La structure organisationnelle de l'entreprise familiale apparaît comme une symbiose des acteurs et des fonctions qu'ils opèrent au sein de l'entreprise (à travers leurs attributions, leurs relations les uns vis à vis des autres) et avec la hiérarchie. Cette dernière, qui se limite parfois à la personne seule du dirigeant propriétaire, assure la coordination de l'activité, la diffusion des informations et les prises de décision (Fotso Yumgue, 2004).