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CHAPITRE 3. LA DOTATION INITIALE DE PEN : UTILISATION

2. U TILISATION STRATEGIQUE DE LA DOTATION PAR L ’ ENTREPRISE

2.2. Maintien d’une activité non rentable

Selon la modalité retenue pour les PEN (autorisation de revente en cas de fermeture de l’entreprise ou non), l’allocation gratuite peut permettre de maintenir en vie des activités devenues non rentables. D’un point de vue économique, cette possibilité peut se révéler souhaitable dans certains cas. Si tel est le but, il serait néanmoins préférable d’adopter, non une modalité générale relative aux permis telle que l’interdiction de leur revente en cas de fermeture, mais une autre politique, claire et transparente, instaurant des subventions ciblées. Revenons sur certains éléments du raisonnement.

2.2.1. Conditions

Il est possible qu’une entreprise ayant reçu une dotation généreuse soit incitée à rester sur le marché alors que son activité productrice, considérée en tant que telle, n’est plus rentable pour elle. Cette situation peut notamment se produire si l’entreprise n’est pas autorisée à vendre ses permis reçus gratuitement en cas d’arrêt de l’activité (cf. chapitre 2, section 2.1). Dans ce cas, le montant de la dotation initiale intervient directement dans le calcul de la valeur qu’on a appelée stratégique, qui s’écrit alors :

p y – CP (y)- n qf –B + n qi + CF

avec y et qf la production et la pollution finale de l’entreprise, n le prix du permis, B le coût de

dépollution pure (qui dépend de n), CP le coût de production, p le prix du produit supposé fixe, CF le coût de fermeture.

Si cette valeur est positive, alors l’entreprise ne ferme pas. Certaines entreprises sont ainsi incitées à garder ouverte leur usine, et maintenir une certaine activité, même très réduite, afin d’avoir la possibilité de vendre leurs permis, et ainsi maximiser leur valeur stratégique.

Cette situation peut également se présenter dans le cadre de permis alloués de façon spécifique. En effet, l’entreprise décide de rester sur le marché si :

p y – CP (y) – n . (e(y) - α y – d(y)) - B + CF > 0 avec d(y) la relation liant la dotation et la production.

La dotation initiale, c'est-à-dire plus exactement la relation d liant la production y avec le montant des permis obtenus gratuitement, influe donc sur la décision stratégique de l’entreprise. Cette dotation d(y) peut inciter les entreprises à rester sur le marché, et à continuer à produire alors qu’elles auraient été amenées à fermer dans un système de PEN absolus. Les entreprises peuvent donc avoir intérêt à ne pas fermer tout en produisant une très

faible quantité (ex. une unité), dans le but unique d’obtenir puis pouvoir vendre les permis, si

d(1) est très grand, supérieur à : -p + CP (1) + n ( e(1) - α ) + β α

2 – CF

n . Un tel cas serait extrême et ne devrait pas arriver.

En revanche, une telle situation ne devrait pas se produire s’il n’y a pas de restriction sur la vente des permis (cf. Hagem, 2001). La valeur stratégique ne dépend alors pas de la dotation initiale, et l’entreprise a plutôt intérêt à fermer son usine et redéployer son capital, comprenant le montant de la vente des permis, dans une autre activité si la première est devenue non rentable suite à l’instauration de la politique environnementale. Un tel raisonnement n’est cependant pas valable dans le cas d’un marché régulé (type monopole public), où la seule contrainte financière est d’atteindre l’équilibre budgétaire : grâce à sa dotation initiale, l’entreprise régulée peut l’utiliser comme une subvention à son activité, afin de compenser des pertes au niveau de son profit d’exploitation ; le prix du produit sur le marché est alors égal au coût moyen, et non au coût marginal (cf. Burtraw et ali., 2001 ; Bouttes et Trochet, 2003). Néanmoins, il n’existe pas, en France, qui est notre territoire d’étude, d’entreprise régulée qui soit soumise à la directive.

Ainsi, suite à la mise en œuvre de la directive européenne, aucune entreprise ne devrait, à partir d'un raisonnement économique, choisir de poursuivre son activité alors que celle-ci n’est plus rentable, si les permis peuvent être vendus en cas d’arrêt. Néanmoins, il serait réaliste de penser que la dotation sera considérée comme une aide par certaines entreprises tout du moins, et que celles-ci chercheront à poursuivre « coûte que coûte » leur activité, même devenue non rentable ; nous ne tiendrons pas compte de cette possibilité dans la suite de la thèse. Par ailleurs, comme pour le traitement des nouveaux entrants, se pose le problème de la durée pendant laquelle il est économiquement justifié de continuer à allouer des permis gratuits à une entreprise qui a fermé. Dans le cas du marché du SO2 américain,

cette solution autorisant la vente de permis a été retenue : les entreprises bénéficient d’une garantie de dotation pendant toute la durée du programme, soit 30 ans, même si elle ferment toutes ou partie de leurs installations dont l’activité a pourtant été prise en compte dans la détermination des dotations individuelles ; les nouveaux entrants, à l’inverse, ne bénéficient d’aucune allocation gratuite de permis. Pour une étude complète sur le système du SO2

2.2.2. Problèmes d’équité soulevés

Que penser, du point de vue de l’équité entre entreprise, d’un système qui laisse « en vie » une entreprise qui devrait, sans cette mesure, fermer ses portes ou se reconvertir ? Un argumentaire reposant sur des considérations d’équité défend-il en l’occurrence la position inverse à la logique économique de l’efficacité ? Dans le contexte d’un raisonnement sur la justice appliquée à l’individu, on jugerait sans doute qu’une mesure permettant de laisser « en vie » un individu est absolument bénéfique, et mérite d’être mise en place. Mais la survie d’une entreprise ne représente pas le même enjeu ; ce thème sera développé dans la seconde partie de la thèse.

Que peut-on dire néanmoins à ce stade, c’est-à-dire en mettant en avant des considérations essentiellement économiques ? D’abord, il faut rappeler que le maintien en vie d’une entreprise non rentable constitue une anomalie économique par rapport aux conditions standard de la concurrence. Cependant, des aides visant à ce maintien en vie existent au niveau européen, mais sous forme de prêts, et sont très encadrées (cf. l’encadré « Aides d’Etat au sauvetage d’entreprise en difficulté ») : qu’en penser alors ? La survie d’une entreprise qui n’est pourtant plus rentable sans des aides extérieures (dotation initiale généreuse ou aides directes), et qui devrait donc disparaître d’après le raisonnement économique, peut être dommageable dans certains cas pour ses concurrentes, d’un point de vue économique : celles- ci perdent en effet des parts de marché, correspondant à la part de marché que capte l’entreprise en survie ; cependant, si le marché est inélastique, elles perdent la possibilité d’agir comme monopole ou au moins comme oligopole, ce qui est souhaitable dans certains cas (cf. la sous-section suivante sur la prédation). Ainsi, lorsque les autorités, ou d’autres entités comme la société civile par exemple, statueront sur la nécessité de sauvegarder telle ou telle entreprise en difficulté, si tant est qu’une telle chose soit légitime et puisse se réaliser (cf. la seconde partie), il faudra également qu’entrent en considération, outre l’entreprise en question, la nature des marchés sur lesquels elle opère et la nature de ses concurrentes. Si, par exemple, une entreprise dont la survie est jugée comme devant être préservée opère sur un marché très concurrentiel, avec de nombreuses entreprises concurrentes, il est fort à parier que la disparition de l’entreprise considérée n’aurait pas procuré d’avantages significatifs à l’ensemble des autres. En revanche, si cette même entreprise opère sur un marché très peu concurrentiel, où, pour forcer le trait, il n’existe qu’une seule autre entreprise concurrente, la disparition de la première entraînerait un avantage certain pour la seconde, qui pourrait alors se comporter comme un monopole. Le second cas de figure paraît beaucoup plus

problématique que le premier : un raisonnement économique, sur l’inefficacité sociale du monopole du point de vue collectif, conduirait sans doute à préférer la co-existence des deux entreprises, plutôt que d’une seule, afin de maximiser, ou plutôt d’augmenter, le surplus social79. La définition des entreprises ou secteurs à préserver sera donc à mener avec prudence et lucidité. D’un point de vue économique, l’argumentation amène donc à justifier l’interventionnisme étatique visant à maintenir certaines entreprises devenues non rentables, dans des cas bien définis, et conduit, en pratique, à prôner l’existence d’une agence de réglementation procédant par des analyses fines et au cas par cas pour décider de l’attribution d’une aide financière.

Aides d’Etat et sauvetage d’entreprises en difficulté

Les lignes directrices communautaire pour les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (JOCE 1999/C 288/02) précisent que des aides d’Etat visant au sauvetage d’entreprises en difficulté peuvent être justifiées, sous certaines conditions. La Commission précise : « ce peut être le cas, par exemple, pour des raisons de politique sociale

ou régionale, ou bien parce qu’il y a lieu de prendre en considération le rôle bénéfique que joue le secteur des PME pour l’économie, ou encore exceptionnellement parce qu’il est souhaitable de maintenir une structure de marché concurrentielle lorsque la disparition d’entreprises pourrait aboutir à une situation de monopole ou d’oligopole étroit ».

Une entreprise en difficulté est définie comme « une entreprise incapable, avec leurs propres

ressources et en l'absence d'une intervention extérieure des pouvoirs publics, d'échapper à une mort économique quasi certaine à court ou moyen terme ». Il est à noter qu’une telle entreprise ne doit pas être nouvellement créée, et qu’elle ne doit pas faire partie d’un groupe (« sauf s’il est démontré que ses difficultés lui sont spécifiques et ne résultent pas d’une allocation arbitraire des coûts au sein du groupe, et que ces difficultés sont trop sévères pour être résolues par le groupe lui-même »).

Outre ces définition restrictives de l’entreprise éligible, la Commission précise qu’une aide au sauvetage est une « mesure exceptionnelle, couvrant une période d’un maximum de 6 mois, (période) destinée à élaborer un plan de restructuration ou de liquidation». De plus, il s’agit d’aides qui doivent être :

« remboursées dans les douze mois qui suivent le dernier versement ;

être justifiées et ne pas avoir d'effets graves sur le marché des autres États membres ;

être accompagnées, lors de la notification, d'un plan de restructuration / de liquidation ou d'une autre preuve que le prêt a été intégralement remboursé ;

être limitées à ce qui est nécessaire à l'entreprise pour la période autorisée »

79 Ceci dépend là encore de la possibilité ou non de réguler le monopole. Mais, en France, aucun secteur soumis

Indépendamment des réflexions économiques et juridiques précédentes se pose une question importante pour notre recherche : cette aide doit-elle prendre la forme de la dotation initiale de permis ? Est-il légitime d’utiliser la dotation initiale, ou plus généralement de profiter de la mise en place d’une politique environnementale, comme un instrument de politique industrielle, sociale ou d’aménagement du territoire, afin de maintenir en activité telle ou telle entreprise ? Cela pourrait entraîner des effets pervers, notamment si l’on adopte un point de vue environnemental au niveau global : des unités de production peu efficaces, en mauvais état, souvent assez polluantes et émettrices, certes de gaz à effet de serre mais aussi d’autres substances, seront maintenues en exploitation dans le but de pouvoir disposer des permis non utilisés, et, en l’occurrence les revendre. Or, il serait sans doute meilleur d’un point de vue environnemental, au niveau global c'est-à-dire en tenant compte des divers polluants, que ces unités ferment, et que le site soit réaménagé.

Plus encore, il n’est pas sûr qu’une politique de portée générale, mais introduite dans un but clairement environnemental, telle que l’allocation de permis avec restriction sur la vente, soit la meilleure manière de répondre à la préoccupation de sauvegarder certaines entreprises. Le but, affiché à tout le moins, de la directive européenne n’est pas de proposer une redistribution générale de la richesse entre entreprises et/ou de sauvegarder certaines entreprises : il serait plus adéquat et sage de séparer les buts, en autorisant la vente de permis sans restriction, et en aidant, via une autre mesure politique, seulement les entreprises en difficulté dont la survie est jugée comme étant à préserver. La politique à mettre en place serait à débattre, mais serait à tout le moins transparente80. Si l'on voulait utiliser la politique environnementale à cette fin, il faudrait, non allouer beaucoup de permis, mais interdire la vente en cas de fermeture. Or, la restriction à la vente ne peut favoriser spécifiquement les entreprises à sauvegarder et non les autres que si cet objectif est pris en compte dès le choix de l’allocation initiale : l’allocation initiale déterminerait dans une certaine mesure l’allocation finale, ce qui va à l’encontre, d’une part, de l’idée même du permis négociable, et, d’autre part, de l’atteinte de l’efficacité-coût. Hagem (2001) souligne aussi l’incohérence de cette idée liée au caractère négociable des permis : “ if any quotas are allocated free of

charge to some firms in order to moderate or to postpone restructuring or closures, these

80 Le financement de cette politique reste en suspens, mais une façon de faire serait d’allouer les permis aux

enchères, et de recycler ce revenu envers les entreprises à préserver. Rien ne garantit bien sûr que le montant nécessaire à cette politique industrielle corresponde bien au montant récolté via les enchères de permis ; un financement annexe serait à prévoir, ou au contraire, le surplus des enchères serait à reverser dans le budget général de l’Etat.

quotas should be allocated as non-tradable quotas”. S’il s’agit là du souci principal des pouvoirs publics, il n’y a pas lieu pour eux d’instaurer un système de permis négociables. De plus, si les permis alloués disparaissent purement et simplement avec l’entreprise, cela pourrait en effet poser un problème pour l’efficacité économique et la performance environnementale de la politique81 : le niveau global de pollution optimale ne serait plus atteint, la pollution émise correspondant aux PEN valides étant inférieure à la pollution optimale ; il y aurait également une rareté accrue des permis, ce qui provoquerait une augmentation du prix de marché des permis, donc aussi du coût de conformité des autres entreprises.