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CHAPITRE 3. LA DOTATION INITIALE DE PEN : UTILISATION

2. U TILISATION STRATEGIQUE DE LA DOTATION PAR L ’ ENTREPRISE

2.4. Accès au capital

2.4.1. Impact de l’augmentation de la valeur patrimoniale de l’entreprise sur

Les entreprises qui reçoivent une dotation initiale importante ont un avantage comparatif, toutes choses égales par ailleurs (c'est-à-dire si on ne prend pas en compte notamment les différentiels de coût de dépollution et de production) par rapport aux autres entreprises recevant une dotation plus faible, car leur valeur patrimoniale augmente. Le financement des investissements est alors favorisé : en effet, « les conditions auxquelles une

entreprise peut se financer dépendent de sa richesse, de ses fonds propres, de l’état de ses garanties. Tout choc affectant leur valeur est immédiatement répercuté sur les conditions de financement de l’entreprise et donc sur ses choix. On observe alors un effet de fuite vers la qualité : les banques se tournent vers les meilleurs emprunteurs » (Crépon et Rosenwald, 2001). Ici apparaît nettement l’effet que peut avoir la dotation initiale, lorsqu’on prend correctement en compte la situation de référence, c'est-à-dire celle où la politique environnementale est déjà instaurée et le marché de permis décidé : la dotation initiale pouvant être considérée comme un actif supplémentaire, les entreprises qui reçoivent une dotation initiale importante sont favorisées dans la recherche d’un financement90, d’une part car elle permet de financer une partie de l’investissement, et d’autre part car elle constitue une garantie pour les investisseurs ; le financement supplémentaire nécessaire peut se faire par un

89 Cette distinction recoupe les deux interprétations de la distorsion de concurrence proposées par Van der Laan

et Nentjes (2001), qu’ils dénommaient « inefficacité » et « inéquité ». La première interprétation renvoie à l’idée d’une distorsion de concurrence directe, sur le marché des produits, et la deuxième à une distorsion de concurrence indirecte, qui affecte la finance d’entreprise, et qui a des conséquences sur le marché financier. Comme le souligne Boucquey (2000), « cette interprétation des distorsions de concurrence permet de recouvrir davantage de situations que celle de l’inefficience, dans la mesure où la position financière d’une firme ne se répercute pas nécessairement sur les prix qu’elle pratique effectivement ».

90 On ne parle pas ici de l’accès à l’emprunt éventuellement nécessaire lors de l’achat de permis, car on suppose

toujours un marché des permis parfait, ce qui implique notamment qu’aucune entreprise n’ait des problèmes de trésorerie pour acheter les permis nécessaires. L’accès au capital ici concerne les demandes de financements pour de gros investissements.

recours à la dette (emprunt auprès de la banque) ou à l’augmentation de capital via l’émission d’actions (recours aux actionnaires).

Détaillons ce raisonnement, à l’aune de trois axes importants de la théorie financière91 : la théorie de l’agence, la théorie du portefeuille, avec son théorème de référence qu’est celui de Modigliani-Miller. La théorie financière étant particulièrement complexe (cf. Vernimmen, 1998), il est hors de propos ici de faire une analyse minutieuse de l’influence de la dotation initiale sur l’accès au capital. Nous proposons simplement une explicitation de certains raisonnements.

Le financement d’un projet peut se faire en interne (autofinancement), ou en faisant appel à une augmentation de la dette (auprès des banques), et/ou par une augmentation de capital via l’émission d’actions. Le théorème de Modigliani-Miller (1958), énonce que, sous des conditions très restrictives comme la perfection du marché des capitaux, les voies de financement de l’entreprise lui sont totalement indifférentes. Mais dans les cas réels, les deux types de financement externe sont en partie liés, et font l’objet de décisions stratégiques. Il existe en effet des liens entre le recours à la dette et l’émission d’actions en vue d’augmenter le capital, le plus évident étant que la dette évite la dilution de l’actionnariat, ce qui constitue un avantage intéressant en terme de gestion de l’entreprise. Mais ceux-ci sont, nous le verrons, difficiles à préciser, au moins dans un contexte très général. Outre l’aspect lié à la gestion de l’entreprise, la fiscalité influe également sur la structure de financement ; ces éléments constituent l’aspect central de la théorie financière moderne. « Les entreprises ont

intérêt à s'endetter pour profiter de l'effet de levier92, et de l'avantage fiscal lié à la dette (les intérêts sont déductibles de l'impôt sur les sociétés). Mais la croissance de l'endettement entraîne un risque de défaillance accru (pour la banque). L'entreprise doit arbitrer entre les

avantages liés à l'endettement, et le coût du risque de défaillance. » (Sénat, 2002).

91 On restreint ici la présentation à la théorie financière qui s’inspire des théories contractualistes en économie,

fondées sur la notion de contrat et l’existence d’asymétrie d’information, et non des théories cognitivistes, développées plutôt en sciences de gestion et fondées sur le problème de la connaissance et de l’organisation de la production. Pour un développement de la théorie financière à partir d’une approche cognitiviste, cf. Charreaux (2002).

92 Important dans l’analyse comptable car il permet de connaître l’origine d’une bonne rentabilité des capitaux

propres, l’effet de levier correspond à la différence entre la rentabilité des capitaux propres et la rentabilité économique de l’entreprise : à rentabilité économique fixe, l’entreprise peut améliorer sa rentabilité des capitaux propres en augmentant la part des actifs financés par l’emprunt (pour plus de détails, cf. Vernimmen, 1998, chap. 17).

Depuis ces fondements de la théorie financière, la littérature s’est développée dans le sens d’une meilleure prise en compte des acteurs (dirigeants, banquiers, actionnaires) dotés d’informations privées ou de compétences spécifiques et poursuivant leurs intérêts propres (Saulpic et Tanguy, 2001). Tandis que le banquier va être plutôt intéressé par la solvabilité de l’entreprise, l’actionnaire considérera la rentabilité de l’entreprise : les risques que ces deux types d’agents assument sont différents. Deux voies ont été notamment développées : la théorie des signaux, et la théorie de l’agence. La première repose sur l’asymétrie d’information entre le banquier et l’actionnaire, en supposant que le banquier dispose de l’information que l’actionnaire n’a pas : le niveau de la dette peut alors être un moyen pour l’entreprise de signaler une information privée aux actionnaires93. La théorie de l’agence, quant à elle, postule que « le niveau optimal de la dette résulte de l’équilibre entre ses

conséquences positives et négatives sur les coûts d’agence (ce sont tous les coûts liés au contrat principal-agent, donc ici actionnaires-dirigeants) provenant des divergences d’intérêts

entre actionnaires et dirigeants d’une part et entre actionnaires et banquiers d’autre part »

(Saulpic et Tanguy, 2001, p.14). Les auteurs listent alors un ensemble d’avantages et d’inconvénients liés à l’augmentation de la dette, impactant à chaque fois différemment les trois types d’acteurs. Aucun résultat univoque n’émerge clairement : il n’existe pas de structure financière optimale.

Même si ces deux formes de financements (recours à la dette ou augmentation de capital via l’émission d’actions) sont donc liées, il est utile, pour la compréhension, de clarifier indépendamment les impacts possibles de la dotation initiale sur le recours à l’emprunt et sur l’émission d’actions, donc sur la solvabilité et sur la rentabilité de l’entreprise.

- (1) la dotation initiale peut influer sur la capacité d’emprunt des entreprises auprès des banques, car la solvabilité de l’entreprise est améliorée : si l’on retient comme critère très approximatif de solvabilité le ratio Dette/Capitaux Propres94, alors les entreprises ayant reçu

93 Un endettement important, donc accepté par le banquier, serait interprété par l’actionnaire comme une preuve

de bonne santé de l’entreprise. On retrouve cette idée dans la distinction habituelle entre marché informé (banque, capital-risqueurs), et marché non informé (petits actionnaires). Sur ce thème d’asymétrie de l’information, cf. le survey de Harris et Raviv (1991).

94 Le ratio Dette/Capitaux Propres est un critère simpliste, utilisé, parmi d’autres, par les financiers. Il est

cependant sûr que d’autres considérations interviennent dans les décisions de prêt-emprunt : par exemple, il est dit que le montant de la marge brute d’auto-financement (MBA), doit permettre, pratiquement, de rembourser la dette en trois ans et demi.

une forte dotation initiale, ceteris paribus, voient leur valeur d’actifs augmenter, et peuvent emprunter à un taux plus faible, puisque ce ratio diminue, ainsi que le risque qu’encourt le prêteur : les actifs servent en effet de garantie. La prime de financement externe diminuera. Mais cette diminution dépend du secteur d’activité de l’entreprise, de la politique monétaire en place, et de la taille de l’entreprise. Par exemple, les petites entreprises connaissent une prime plus volatile dans le temps que les entreprises de plus grande taille, d’après l’étude de Crépon et Rosenwald (2001).

- (2) la dotation initiale peut influer sur le comportement des investisseurs misant sur les bons résultats de l’entreprise : par exemple, Tirole (2001), dans le cadre d’un modèle simple (dirigeant-actionnaire) relatif à la théorie de l’agence, développe l’idée que l’aléa moral se trouve diminué en cas d’autofinancement important. Tirole procède en deux étapes : (1) le dirigeant engage des fonds de l’entreprise pour financer un projet et complète le financement par l’intervention des actionnaires ; (2) ensuite le dirigeant choisit la probabilité de succès du projet, lequel ici est supposé implicitement dépendre de l’effort du dirigeant dans la bonne réalisation du projet. L’auteur met en évidence l’idée que l’actionnaire devra rétribuer le dirigeant de façon suffisante et incitative en cas de réussite du projet : en effet, il est possible que le dirigeant éprouve un certain gain à ne pas faire en sorte que le projet réussisse. Ainsi, l’actionnaire doit aussi prendre en compte, dans sa décision d’investissement, la rétribution que le dirigeant doit obtenir en cas de succès du projet, ce qui augmente les coûts de financement (ce coût supplémentaire est appelé « coût d’agence »95), donc diminue l’attractivité du projet : un projet présentant une valeur actualisée nette peut ne pas intéresser l’actionnaire. Et le fait que le dirigeant finance le projet en partie en interne ne change rien à ce raisonnement, car la valeur actualisée nette (VAN) du projet ne dépend pas du montant de l’autofinancement. En revanche, plus le dirigeant apporte lui-même des fonds, moins l’actionnaire a à en apporter, et plus il est incité à investir (toutes choses égales par ailleurs). Tirole précise : “ while the project’s net present value is independent of the level of the initial

equity, the financing condition is not. The entrepreneur is more likely to be financed when the entrepreneur has more equity. The intuition goes as follows : a wealthier entrepreneur needs to borrow less and therefore must reimburse less. Her compensation in case of success increases, which alleviates the moral hazard problem and facilitates financing “. Ainsi, en augmentant la capacité d’autofinancement de l’entreprise, la dotation initiale de permis

95 Les actionnaires cherchent alors à diminuer ces coûts d’agence, en mettant en œuvre différentes modalités de

favorise l’engagement des actionnaires dans le projet à financer ; la VAN n’est donc pas le seul critère.

- (3) de même, il est fort possible que la dotation initiale ait une influence sur le marché boursier : celui-ci devrait avoir davantage confiance en une entreprise qui a reçu une forte dotation initiale en PEN, ceteris paribus96. En effet, le modèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF), couramment utilisé en finance, permet de déterminer le taux de rentabilité exigé par un investisseur 97: ce taux dépend du coefficient de volatilité de la valeur du titre par rapport à la fluctuation des titres du marché. Or ce coefficient, appelé β, qui représente en partie le risque lié à l’entreprise, décroît selon l’endettement98 : cela laisse penser que le taux de rendement requis par les investisseurs pour un titre sera inférieur en cas de dotation généreuse, car le risque diminue. Dans ce cas, la valeur de l’action devrait augmenter99, et l’éventuelle émission d’action pour augmenter le capital et investir dans de nouveaux projets, si elle est décidée, devrait se faire dans de meilleures conditions.

Ainsi, une dotation initiale importante peut permettre à la fois un meilleur accès à l’emprunt, et une meilleure valorisation sur le marché financier. Cette possibilité peut être utilisée de façon stratégique, ce qui relève plutôt de la gestion propre de l’entreprise : elle va dépendre notamment, en plus du secteur d’activité et de la taille de l’entreprise (cf. Crépon et Rosenwald, 2001), de la structure financière actuelle de l’entreprise et de sa faillite possible, du projet envisagé (montant nécessaire et risque encouru), et de la volonté de non-dilution de l’actionnariat. Outre ces considérations générales, il est difficile de préciser davantage

96 Les actionnaires qui sont sensibles à l’analyse économique seront amenés, au vu du chapitre 2, à considérer la

dotation initiale de PEN comme une subvention. Cependant, il est possible que l’effet de la dotation soit mal analysé : comprenant mal le fonctionnement des PEN, et habitués à des limites réglementaires comme la norme, certains actionnaires verront dans une dotation généreuse un signal négatif, traduisant le fait que l’entreprise a de forts besoins en permis, c'est-à-dire des émissions importantes de dioxyde de carbone, et en cela sera fortement affectée, voire ébranlée, par l’instauration de la politique environnementale. Ils pourraient alors considérer que ce placement est risqué.

97 Taux de rendement requis = taux sans risque + β * prime unitaire de risque du marché. Cette prime est

indépendante du titre considéré. (cf. Vernimmen, 1998, chap. 27 et 30).

98 β = β

ne * (1 + (1-t) * (dettes/fonds propres)) , avec β ne le risque systématique pour le secteur s’il n’avait pas

été endetté, et t le taux d’imposition de l’entreprise. La structure financière de l’entreprise a une influence sur le niveau et la volatilité de ses bénéfices, et donc sur son β à travers le mécanisme de l’effet de levier .

99 La valeur d’un titre financier est égale, théoriquement, à l’actualisation à l’infini des flux de trésorerie futurs

l’influence de la dotation initiale sur l’accès au capital100. Par ailleurs, un autre acteur intervient en réalité : il se développe en effet depuis plusieurs années un système d’évaluation des entreprises, réalisé par des agences de notation (ex. : l’agence Moody’s, la Banque Rotschild, ARESE), qui sert de référence pour les décisions d’investissement des banques et des actionnaires. Ces agences ont pour rôle de réduire l’asymétrie d’informations entre les investisseurs et l’entreprise, mais leur méthodologie, et surtout ici la façon dont ils pourraient tenir compte de la dotation initiale, ne sont pas accessibles facilement. Ne cherchant pas l’exactitude sur ce point précis mais simplement le raisonnement général, nous retiendrons simplement pour la suite de la thèse que la dotation initiale augmente la valeur patrimoniale de l’entreprise, et par là favorise son accès aux sources de financements.

2.4.2. Amplification de la question du fait de la particularité de la politique