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CHAPITRE 3. LA DOTATION INITIALE DE PEN : UTILISATION

2. U TILISATION STRATEGIQUE DE LA DOTATION PAR L ’ ENTREPRISE

2.4. Accès au capital

2.4.2. Amplification de la question du fait de la particularité de la politique

Dans le cas de l’allocation initiale de PEN instaurés afin de lutter contre l’accentuation de l’effet de serre, un autre effet se superpose : la quantité de permis déterminée par l’Etat étant fixe avec un système de PEN absolus, qui est la nature de permis retenue par la directive européenne, une dotation importante à une entreprise implique que les dotations faites aux autres doivent être relativement faibles ; le raisonnement est particulièrement intéressant et probant lorsqu’il est poussé à l’extrême, c’est-à-dire lorsqu’on considère une entreprise recevant la quasi-totalité des permis existants, et les autres n’en recevant que très peu. Ainsi, non seulement une entreprise qui a reçu une dotation initiale supérieure à sa pollution optimale (notée qf) voit sa valeur globale augmenter, et sa trésorerie s’améliorer via la vente

du surplus de permis, mais encore, ce faisant, ses concurrentes, qui ont reçu une dotation relativement faible, voient au contraire leurs situations financières s’aggraver, puisqu’elles doivent acheter les permis nécessaires. Leur liquidité diminue, leur valeur globale est plus faible (relativement à la première entreprise considérée) et il devient plus difficile pour elles d’emprunter. Une dotation initiale généreuse favorise donc l’entreprise bénéficiaire de façon directe (via la valeur globale et la trésorerie), et indirecte (via la difficulté qu’ont ses concurrentes à accéder au marché financier) ; ces deux effets se superposent. L’impact de la dotation initiale sur l’accès au capital des entreprises se révèle être une question d’autant plus importante.

100 Les évènements récents, notamment l’affaire Enron, ont montré à quel point il était difficile pour

2.4.3. Problèmes d’équité soulevés

Au terme de cette analyse, il apparaît qu’en cas d’allocation gratuite, il existe un risque de distorsion de concurrence, tant sur le marché des produits, via la prédation et le maintien en activité d’entreprise non rentable, que sur le marché financier, ce qui peut avoir des conséquences importantes à long terme sur les possibilités de développement futur respectif des entreprises. C’est sur ce dernier point que se ressent finalement tout l’impact de l’allocation initiale de PEN.

Le risque d’émergence d’une distorsion de concurrence est à relativiser, du fait de l’intervention de nombreux autres éléments dans les décisions de comportements stratégiques des firmes : la dotation correspond à une subvention indirecte, dont l’ampleur est à évaluer en fonction de la valeur patrimoniale de l’entreprise, mais le comportement stratégique passé est déterminant, tout autant que les caractéristiques du marché par exemple. Dans un univers où l’information n’est pas parfaite, il est impossible d’estimer l’impact des dotations de PEN sur les entreprises, même au cas par cas ; cela relève d’ailleurs de la stratégie propre de chaque entreprise.

Sachant cela néanmoins, comment définir l’allocation initiale équitable ? Faut-il observer les distorsions de concurrence actuelles, et tenter d’utiliser l’allocation initiale comme moyen de diminuer ces distorsions, ou essayer de donner ainsi la possibilité aux entreprises victimes d’une distorsion de concurrence de la diminuer ? L’allocation initiale doit-elle être telle qu’elle assure par exemple une égalité de développement futur à toutes les entreprises ? Dans ce cas, comment chaque dotation initiale doit-elle alors tenir compte de la situation financière existante de chaque entreprise ? Mais est-ce bien légitime que la dotation initiale, par son seul fait, améliore nettement l’accès au capital ? Cette dernière question est plus large encore : faut-il profiter de cette opportunité d’avoir une politique affectant toutes les entreprises et de façon globale, car financière, pour donner, ou redonner, une certaine égalité entre entreprises, en termes de capacités d’investissement ? Voilà les problèmes d’équité et les enjeux liés à la dotation initiale des PEN.

3. Conclusion

L’analyse économique montre que la répartition initiale de PEN peut constituer un enjeu stratégique important, à la fois pour le législateur (national ou européen) et l’entreprise. En théorie, le législateur peut en effet définir stratégiquement la quantité totale de permis à allouer, et tenter d’attirer sur son territoire les NE via des dotations généreuses. Ces effets sont à éviter, ou tout au moins à exposer et justifier de façon explicite, dans des pays démocratiques. L’entreprise peut, quant à elle, utiliser la ressource financière que représente la dotation initiale pour tenter une prédation ou plus généralement, et à plus long terme, lancer de nouveaux projets, via un accès au capital facilité : la dotation initiale influe en effet les possibilités de développements futurs de l’entreprise. L’allocation initiale des PEN peut donc favoriser l’émergence de situations où la concurrence est distordue. Faire des procès d’intention ex-ante aux entreprises en décidant d’une allocation en fonction d’un critère strict évitant ces distorsions serait cependant trop catégorique et décisif : il est plus sage de continuer à contrôler ex post les conditions de bonne concurrence sur le marché des produits, via notamment le Conseil de la concurrence, même si ce contrôle est long et difficile en pratique.

La dotation initiale augmente la valeur patrimoniale de l’entreprise, ce qui constitue un avantage pour cette dernière, mais dont l’exacte ampleur est difficile à appréhender, car elle est à relier à d’autres facteurs concomitants, propres à l’entreprise et à son contexte. Dans tous les cas, l’analyse montre à quel point l’enjeu de la dotation se situe non au niveau environnemental mais au niveau financier, pour des PEN définis en termes absolus : il est fondamental que législateur et entreprises considèrent cet aspect essentiel, et que la dotation soit réellement appréhendée comme une subvention de type forfaitaire. Cela sera repris dans le chapitre 4, et dans le chapitre 6, à travers l’introduction nécessaire d’un raisonnement en termes de justice irisée, à l’interface entre une justice locale relative au problème environnemental, et une justice globale relative à la redistribution complète des richesses entre entreprises. Puisque allouer des PEN revient à répartir une richesse, il convient d’analyser précisément les justifications, relatives à la justice, de ces dotations-subventions individuelles. Elles peuvent concerner deux niveaux, dont le premier se découple :

• un souci d’équité entre entreprises, fondé sur la bonne prise en compte des caractéristiques pertinentes des entreprises : c’est cette modalité que nous cherchons à définir

• une considération d’acceptabilité de la part des entreprises : il est vrai que les entreprises doivent se soumettre aux législations nationales et ici européennes, de façon univoque, mais il est évident que dans la pratique la négociation joue un rôle fort, et que l’acceptabilité de la mesure est importante. Cependant, l’examen des théories de la justice, réalisé dans le chapitre 4, mettra en évidence la différence entre l’équité et l’acceptabilité : seule la théorie du marchandage retient cette version très restreinte de l’équité ; nous ne retenons pas ce sens dans la thèse.

• Au niveau national, donc supra-entreprise, le législateur doit se soucier également des citoyens-consommateurs-salariés-etc., et il est fondé que pour des raisons de politiques industrielle (préservation de certains secteurs), sociale (préservation de l’emploi), ou d’aménagement du territoire, le législateur accorde des dotations importantes permettant de favoriser volontairement, et aux yeux de tous, certaines entreprises. Un souci d’équité entre entreprises pourrait néanmoins être présent, via par exemple un principe d’égalité de traitement entre des entreprises identiques (même secteur, ou même nombre d’employés, ou même zone géographique, etc.), si tant est qu’un tel principe, évident lorsqu’il s’agit d’individus, s’applique aussi à l’entreprise considérée comme une entité (cf. la seconde partie).

CHAPITRE 4. LES CONCEPTIONS DE L’EQUITE ET DE