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mai 2006. Georgino,

Dans le document Pure, Anonyme (Page 106-114)

dix heures précises !

Le psychiatre de la Chartreuse m'a recommandé une maison de repos en proche banlieue parisienne. L'Agora. Elle est dirigée par un de ses amis. J'ai épluché le site. C'est encore mieux que dans mon imagination ! Même moi j'aimerais y habiter ! Un jardin paysagé, des fontaines, des fleurs partout. Un animateur permanent organise des après-midi karaoké, des goûters pour les anniversaires. Sur le trombinoscope, les infirmières sont toutes jolies ! Les médecins sourient. Il y en a une tripotée. Un neuropsychiatre, trois psychiatres et une ribambelle de psychologues. Ils ont également un ostéopathe deux jours par semaine, un coiffeur et une masseuse. J'en ai parlé à Karl. Je n'ai pas tourné autour du pot. Je lui ai annoncé d'entrée les tarifs. L'agence ne voit aucun inconvénient à payer plus de deux SMIC par mois pour dorloter le père d'une gamine inconnue. J'imagine qu'ils sont sûrs de leur retour sur investissement.

Quant à moi, mannequin ou glandeuse, beauté du siècle ou éternel ténia, regard de martyre ou de poisson mort, je pars en vacances. Gratuitement. C'est encore mieux que le Secours populaire puisque j'emporte avec moi mon papa ! Je vais vivre à l'ouest de Paris, rue de Longchamp dans le seizième arrondissement. À seulement six kilomètres de la maison de repos ! En courant, j'y suis en trente-cinq minutes maxi ! Karl a précisé que le Bois de Boulogne était à deux pas de l'appartement. La journée, c'est agréable pour se promener. Crispy adore y déposer sa royale petite crotte.

Je vais habiter un trois pièces. Je le partage avec une italienne, Lorena. Je vais lui demander de m'apprendre l'italien ! À la rentrée, quand l'agence de mannequin m'aura virée, je prendrai option italien. Ça me fera des points pour le bac ! Ensuite, je m'inscrirai à la fac en LEA. L'université accueille tout le monde, même les pauvres. Je deviendrai professeur d'italien. Je serai fonctionnaire. Avec Papa on se serrera un peu la ceinture mais j'aurai un job à vie ! Si je dois partir vivre en Italie pour me perfectionner, je chercherai des cousins du côté de ma grand-mère. Avec Facebook et toutes ces conneries de réseaux sociaux, je n'aurai aucun mal ! Les italiens sont très famille.

Le 28 mai 2006. Mon Georges,

L'avocat de l'agence B&E m'a appelée. Maître Carpentier m'a expliqué dans le détail les modalités du contrat. Je suis mineure, la signature de Papa est obligatoire. L'agence a pris la liberté de m'inscrire à des cours par correspondance pour la fin du programme de seconde. Si je le souhaite, l'agence fera appel à un professeur agréé en complément du contrôle à distance. L'avocat a attiré mon attention sur une condition suspensive. L'engagement ne vaudra pas si je refuse l'intervention chirurgicale ou si la cicatrisation ne me permet pas, selon les standards du métier, de poursuivre une carrière dans le mannequinat. L'avocat m'a rassurée. Il s'agit d'une clause type. Il n'y a pas de risque zéro en médecine esthétique. La réaction de la peau varie d'une femme à l'autre. Cette clause ne m'a pas parue abusive comparé à tous les avantages concédés par l'agence. L'appartement, la maison médicalisée, le financement des transports, de la nourriture, les cours par correspondance. Karl himself viendra rencontrer Papa et répondre à toutes ses questions.

J'échange des textos avec Karl. Une relation de confiance s'installe. Il m'a envoyé des photos de son chien.

Crispy chez le toiletteur.

Crispy nage au Bois de Boulogne. Crispy grignote un os.

Crispy regarde la télé.

Crispy roupille les quatre fers en l'air. Crispy attend sa gamelle.

Crispy boude.

Karl m'a tout l'air d'être un chouette garçon. Un vrai sensible. Un mec drôle, intelligent, cultivé. Un paumé rassuré par l'incessant brouhaha urbain.

Le 30 mai 2006.

Passage sur le billard, deuxième !

L'opération est programmée pour mardi prochain. Le chirurgien a utilisé une métaphore rassurante.

Pour moi, enlever un bout de peau et remonter légèrement des seins de jeune fille, c'est comme faire une boulette de pain pour un boulanger !

Intéressant. Je parie qu'il sort ça à toutes ses patientes. Vas-y mon con, prépare toi à mouler ta miche ! Je lui ai parlé de la clause sur les cicatrices. Il a balayé le sujet d'un revers de blouse. La première cicatrice sera cachée sous la toison pubienne (adieu carrière dans le X !), la seconde, sous le plis des seins. Je porterai un soutien gorge spécial les premiers jours pour éviter une inflammation. Contrairement à la rhinoplastie, opération la plus pratiquée sur les apprentis mannequins, je serai présentable quelques jours après l'intervention. Ça ne retardera pas mon départ pour Paris.

Avant de partir, j'irai voir mes deux amis. Kenza et Flo. J'essaierai aussi de traîner dans la cité pour trouver Kader.

Ravi. Je veux voir Ravi avant de partir. Le 3 juin 2006.

Mon Georges,

Papa a signé le contrat. Karl est resté derrière la porte. Assis dans le couloir. Il a préféré. Le psychiatre a parlé à Papa de la maison de repos. L'environnement, les arbres, les chambres. Il m'a fait lire le courrier destiné à son confrère à la tête de l'établissement. Il a également édité le dossier médical de Papa dans son intégralité. Le rapport d'hospitalisation, le traitement actuel, les comptes rendus des psychologues, l'épisode de l'automutilation, les pistes explorées, les IRM, les scanners, tout ce que le service a noté depuis son arrivée. Il a également demandé à ce que Papa signe une décharge. C'est la loi. Pour protéger le service public.

J'ai demandé à Papa s'il avait envie de changer d'air. Je l'ai prévenu que l'on ne quittait pas Dijon pour la vie, seulement pour les vacances.

 J'ai trouvé un stage à Paris. Tu te souviens de la couverture de la gazette dijonnaise ?  Oui. Tu es belle dessus. Avec les chinois.

 Je vais essayer de gagner un peu d'argent en posant pour d'autres gazettes, des plus

grosses. Pour ça, il faut aller passer les vacances à Paris. Il y a une Chartreuse là-bas mais en mieux.

 Ah ?

 Comme le docteur t'a expliqué, tu auras la nature, des fleurs, un parc, des activités.  Je vais pouvoir rafistoler des meubles et les vendre ?

 Oui bien sûr ! Je te les apporterai moi-même. Tu n'auras pas à te lever aux aurores pour les

dénicher.

 J'ai besoin de ma trousse à outils, de white spirit, de peinture, de vernis, de pinceaux.  Tu auras tout ça ! Pour le white spirit, on verra.

 Ça donne mal à la tête.

 Exactement. Le weekend, je viendrai te voir. On décapera le bois ensemble. On vendra nos

créations sur le marché.

 Aux puces Papa !  Aux puces...

 Vers Clignancourt ! Je me suis renseignée. C'est un bric à brac comme tu les aimes !  Je signe alors.

 Ce sont des vacances Papa. Nous ne partons pas pour toujours. Tu ne verras plus le

docteur, ni les infirmières ni ton copain de la 109.

 Les puces...

 Tu veux rencontrer Karl ? C'est la personne qui m'a proposé le job ?  Oui je veux bien.

Karl est entré dans la chambre comme dans une église. La queue entre les jambes. J'ai réalisé une certaine mystification populaire autour de la Chartreuse. Les dijonnais la surnomme la Chacha. C'est entré dans le langage populaire. Ce n'est pas rare d'entendre une maman hystérique crier à son morveux : « Si tu continues, je vais finir à la Chacha ». C'est l'équivalent du « Tu vas me faire

mourir » de nos grands-mères.

 Bonjour Monsieur Mercier. Je suis Karl Casanova. Le frère de Gilles Casanova qui dirige

la gazette dijonnaise. Je souhaite faire travailler votre fille. J'ai pour elle de grands projets.

J'ai fait signe à Karl d'y aller doucement, de ne pas effrayer Papa avec des superlatifs.

 Bonjour. Michel Mercier. Comme l'actrice. Je travaille à l'usine. Je retape des meubles à

l'occasion. J'ai besoin de ma trousse à outils pour partir.

 On ne part pas dans l'instant Papa. Je dois me faire opérer. Papa s'est brutalement redressé. Il tremblait de tous ses membres.

 Opérer ? Endormir ? Tu vas t'endormir seule ?

 Non Papa. Il y a aura un chirurgien, un anesthésiste, des infirmières. Karl m'accompagnera

à la clinique Sainte Marthe. Je ne serai pas seule. Je ne me réveillerai pas seule.

 Ils vont te découper les seins ?

J'ai regardé Karl. Un regard Scarface. Tais-toi. Je gère.  Non Papa. Tu te souviens de mon opération à Noël ?  Oui. L'anneau pour maigrir.

 Voilà. Je n'en ai plus besoin. On va me le retirer.  Tu seras seule ?

 Non Papa. Je te l'ai déjà dit.  Il ne toucheront pas ta tumeur ?

 Je n'ai pas de tumeur. Je suis en bonne santé.  Je pourrai te tenir la main ?

 On verra. Pourquoi pas.  C'est tout vu !

 Dis Papa, tu reprends du poil de la bête ! Tu fais ton dictateur !  C'est tout vu.

 Alors tu veux bien signer l'autorisation parentale pour que l'on m'enlève l'anneau ?  Oui. Je signe. Si tu n'en as plus besoin, il faut l'enlever.

Papa a signé le contrat de mannequinat, l'intervention chirurgicale, la décharge et le formulaire pour la maison de repos. Je l'ai manipulé pour ça. Par la force des choses. Je ne l'avais pas prévu.

Il n'a pas tout oublié. Sein, tumeur, opération, partir seul, tenir la main. Ces stimuli le plongent dans une profonde anxiété. Comme les chiens qui réagissent au tintement de la laisse. Ils ne comprennent pas mais savent. Si la laisse est utilisée pour la balade, ils remuent la queue. Si la laisse est réservée aux rendez-vous chez le vétérinaire, ils baissent la tête et tremblent de tous leurs membres.

Papa n'aurait jamais signé pour une opération de la poitrine, aussi anodine soit-elle. Il est incapable de saisir la nuance entre une mastectomie et une intervention de confort, entre l'anesthésie et la

mort.

Un souvenir enfoui fait écran. Le 5 juin 2006.

Georges,

J'étais chez Ravi Guptar. Il est plus de vingt heures. J'ai passé une journée inoubliable. Il m'a montré des photos de sa famille restée en Inde, les paysages de son enfance, la fureur des villes en plein développement.

L'Inde traditionnelle m'inspire. Nous avons préparé ensemble du poulet Korma. Il a traduit la recette sur un morceau de papier. La liste des épices m'a laissée sans voix. Cette recette en comporte plus de dix sortes ! Ravi m'a expliqué que le curry tel qu'on l'entend en occident ne signifie rien pour les cuisinières indiennes. C'est un mélange d'épices dans lequel on retrouve certains incontournables comme le cumin ou le gingembre. En Inde, les mélanges sont personnalisés pour chaque plat et par chaque cuisinière. Mélange se dit « massala ». En vérité, il n'existe pas de recette de curry à proprement parlé. Les colons britanniques ont retenu ce mot pour englober toutes les subtilités de l'Art culinaire indien.

J'ai découpé le poulet avec Ravi. J'ai admiré la finesse de ses mains. J'ai remarqué que les ongles des médecins étaient polis, mattes, parfaitement entretenus. Ravi a dosé lui-même chaque épice pour obtenir une poudre jaune foncé. Sur ce coup là, je ne l'ai pas aidé. Sur chaque bocal était inscrit un mot en hindi. J'ai reconnu le curcuma à sa couleur et à sa densité.

J'ai émincé les oignons. J'ai pleuré. Une véritable fontaine. Comme une débile, je m'essuyais les yeux avec mes mains souillées. Ravi s'est moqué de moi et m'a donné un torchon. Pour me consoler il m'a raconté un truc drôle. Le bruit s'est propagé à l'hôpital. La gamine en couverture de la gazette a été opérée par Guptar. Ses confrères le charrient à longueur de journée.

 Ils m'appellent “Et Dieu créa la Femme“ . J'y ai droit jusque dans le bloc opératoire. C'est

un film je crois ?

 Avec Brigitte Bardot.

 C'est une star partout dans le monde. Elle est connue aussi en Inde.  Elle était belle . Elle a inventé quelque-chose.

 La beauté est un cadeau.

 On peut habiter la beauté. Lui donner des aspérités. Une âme. Beaucoup de femmes imitent

encore aujourd'hui BB. La beauté libre, désinvolte, évanescente. Une beauté qui, mal maîtrisée, peut tomber dans le vulgaire. Les cheveux dorés, la peau bronzée, les yeux charbonneux. Aux antipodes de la bourgeoise française des années soixante.

 Je la trouve vraiment belle cette BB.  Moi aussi.

 Ils te prennent pour elle alors. Tu as inventé une forme de beauté tu penses ?

 Je ne pense pas qu'il aillent aussi loin. C'est pour te taquiner. Pour te taxer d'apprenti

sorcier, de t'être pris pour Dieu. « Et Dieu créa la Femme » évoque la Bible avant tout.

 Exactement ! Un confrère, un bon ami, m'a demandé en plaisantant si j'étais doué en pâte à

modeler quand j'étais petit ! Comme si je t'avais sculptée !

 Ils s'imaginent que dix minutes après la pose de l'anneau, j'avais perdu vingt kilos !

 Tu n'es pas revenue en consultation post-op. Tu t'es évanouie dans la nature. Ils t'ont vue

passer de l'obésité à la maigreur

 Je ne suis pas maigre.

 Ta structure osseuse est visible. Heureusement que tu as les jambes musclées. Tu

ressemblerais à une déportée sans ça.

 Comment ça ?

 Les heures passées à me gaver jusqu'à l'explosion. C'est ça ma déportation, mon wagon à

bestiaux. Des années de voyage. À l'arrivée, au camp, un SS m'a fait croire qu'il me protégerait. « Si tu fais comme je veux, tout va bien aller. Je t'ouvrirai les portes vers ton destin ». Alors j'ai fait tout ce qu'il m'a dit. Avec une confiance aveugle. Je pensais qu'à deux on était plus fort que les bourreaux. Je me suis contentée de ma ration quotidienne. J'ai maigri. Dans mon corps et dans mon âme. Ma lucidité s'est atrophiée aussi vite que mes cellules graisseuses. Un jour, le gardien a disparu. Il a déserté le camp après y avoir foutu le feu. Moi, je suis toujours là.

 N'importe-quoi ! C'est quoi alors ton matricule ?  Pas de chiffres. Un prénom. Tatoué dans ma tête.

 Tania ! Tu as tellement d'imagination ! Tu es trop intelligente !

 Certainement. De la part d'un chirurgien reconnu, parlant deux langues couramment,

sachant cuisiner comme un chef étoilé, vivant loin de son pays, de ses racines ! En effet, moi qui ne suis jamais sortie de ma cité, voire de ma chambre, je suis trop intelligente !

 Tu ne penses pas comme nous tous. Tu es d'ailleurs.  C'est ça. C'est pas l'heure de remuer la marmite là ?

 J'y vais. Au fait, je parle quatre langues. L'hindi, un dialecte local que je t'apprendrai un

jour, l'anglais et le français.

 Voilà. Et après, c'est moi qui suis intelligente !  Il y a plusieurs formes d'intelligence.

 À l'instant, j'ai un estomac à la place du cerveau. J'ai faim docteur !  Ça arrive Brigitte Bardot.

 Elle a dans les quatre-vingt-ans !  Tu veux que je t'appelle comment ?  Ginger !

 Comme le gingembre ?  Yes.

 Ok Ginger. I'm coming ! One minute ! Hope you will enjoy your meal.

Nous avons déjeuné sur la petite table du salon, un peu repliés mais dans la bonne humeur. Le poulet korma de Ravi est fameux Georges ! J'ai gardé la recette pour le faire à Papa quand il ira mieux. Ravi est un homme exceptionnel. Il économise les mots. J'adore ça. Avachis sur le canapé, on a digéré en regardant une fiction allemande. Le genre de programme auxquels seuls les retraités peuvent résister. J'ai entendu un humoriste délirer sur la série Derrick, le seul à faire à tailler ses

costumes dans des sièges de 205. C'est drôle comme les séries allemandes sont si mal doublées.

Tout est lent. On a le temps d'aller se chercher un yaourt au frigo entre chaque réplique.  Madame Muller ?

 Oui.

 Inspecteur Lehmann. Le mec montre une carte Polizei. Il met une plombe à la sortir de sa poche.

 Que cherchez-vous Messieurs les policiers ?  Madame Muller, si vous voulez bien nous suivre...  Je voudrais comprendre.

Aucun rythme. Au douzième degré, entre potes, c'est très drôle. Seul chez soi, un peu déprimée, c'est une incitation au suicide. Le ciel est bas. Il flotte dans l'air une sorte de purée verte, un brouillard permanent. Les acteurs sont momifiés. Les dialogues sonnent faux. Les répliques ne percutent pas. Les réactions sont grossières. Un rouleau compresseur qui avance lentement vers la

chute. C'est mou et chiant. Désolée Goethe. Je fustige tes compatriotes acteurs, réalisateurs et producteurs. Même les programmes destinés à la jeunesse ne rattrapent pas le désastre. Je me souviens d'une série sur TF1. Niklas, Mattias, Tobias, une bande de jeunes Fritz aux physiques aryens. Le surf est leur passion. À longueur d'année ils préparent des compétitions. Le hic : on est en Allemagne. La petite bande se gèlent les couilles à surfer les vagues merdiques de la mer du Nord. En dix épisodes, j'ai aperçu une fois le soleil. Du sable carbone à perte de vue, du vent, une eau à dix degrés et des acteurs en shorty, planche de surf greffée au bras. Conclusion pragmatique de Ravi.

Le peuple allemand est culturellement carré, discipliné. Je pense qu'il devrait abandonner les séries un moment pour continuer à construire des voitures. Chez vous, en France, c'est un peu le bordel organisé. Chez moi, c'est le bordel tout court. Tout dépend de ce que l'on préfère. La discipline, la spontanéité, l'organisation ou le bazar. Pour ma part, je trouve que la France est un bon équilibre. Ce pays m'a accueilli. Je l'aurai toujours dans mon cœur.

Les personnes déracinées savent positiver sur des choses que nous, nés ici, ne voyons plus. Quand on a connu la vraie dèche, on se réchauffe le cœur avec un verre d'eau potable. Ravi a de l'ambition. Il veut devenir un très grand chirurgien, un ponte. La pose d'anneaux n'est qu'un chapitre de sa carrière. J'en suis certaine, dans les décennies à venir, il dirigera une clinique dans son pays. Il repartira là-bas. Je peux le lire dans ses yeux.

J'ai fini par lui expliquer la véritable raison de ma visite. Tout depuis le début. Je lui ai parlé de Jo. J'ai raconté sa fuite. Mon désarroi. La solitude. Un jour ou l'autre, les services sociaux finiront par savoir que je n'ai ni tante ni cousin pour veiller sur moi. L'opportunité que m'offre Karl me permet de reculer le couperet du placement en foyer. J'ai montré à Ravi le site de la maison de repos. Il connaît cet établissement de réputation. C'est très select. Les médecins se lâchent sur les dépassements d'honoraires mais les équipements sont au top. Le cadre est splendide. La prise en charge est globale. Les pathologies psychiatriques graves ne sont pas représentées. Les résidents de cet établissement sont de riches dépressifs, des suicidaires, des gosses en crise. Les sujets dangereux voient leur dossier retourné. L'ambiance est calme et sereine. Chaque jour, une activité est proposée. La nourriture est soignée. Les chambres fleuries et décorées. Ravi m'a rassurée. Papa devrait être bien là-bas. La Chartreuse ne lui manquera pas.

Dans le document Pure, Anonyme (Page 106-114)