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Mme T., 67 ans, est hospitalisée en urgence pour cure chirurgicale d’une dissection de l’aorte descendante. Le réveil se passe correctement. Vingt-quatre heures après, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs se manifeste bruyamment avec ischémie des orteils aux deux pieds. La patiente repart au bloc opératoire pour pose d’une endoprothèse artérielle à droite et d’une sonde de Fogarty173 à gauche. Trois jours après, Mme T. repart de nouveau en urgence au bloc opératoire pour infarctus partiels mésentérique174, hépatique et splénique175. Le jéjunum est mis à la peau, définitivement. C’est dans ce contexte que l’équipe mobile de soins palliatifs est appelée pour soutien de la patiente et de l’équipe de chirurgie cardiaque. Mme T. est divorcée, a trois enfants et une sœur jumelle. Nous rencontrons cette patiente qui possède toutes ses capacités cognitives et une faculté d’expression limpide. Elle dit : « Je suis minable. Aucun être humain ne pourrait supporter une telle dégradation physique. Je pourris de l’intérieur. Je ne peux pas me montrer ainsi à mes proches. Si j’osais, je dirais que j’ai presque honte. Je veux que l’on me laisse mourir et je réitère ma demande ; je veux être entendue. »

Tout a été trop vite et trop intensément : le vécu de la patiente équivaut sur un

172 Voir Avérous V., « La honte : insulte à la dignité, la place de la honte en soins palliatifs » in

Frederico Bravo, (textes réunis et présentés par), L’insulte, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2015.

173 Procédé de désobstruction artérielle consistant à introduire dans l’artère, en amont de la zone

oblitérée, une sonde munie d’un ballonnet à son extrémité. La sonde est poussée le plus loin possible en aval de l’obstruction ballonnet plat, puis retirée, ballonnet gonflé, de façon à ramener les caillots et les trombi mobilisables.

174 Le mésentère est une membrane conjonctive très vascularisée qui relie l’intestin grêle à la paroi

abdominale. Lors d’infarctus, c’est à dire de l’obstruction des vaisseaux par un embole, caillot le plus souvent, le mésentère non vascularisé se nécrose.

plan somatique à un « trop » d’excitation perceptive, nociceptive et symptomatique inélaborable, c’est-à-dire impossible à lier symboliquement. Ce trop est toujours lié, d’une part à l’intensité du choc que procure le processus traumatisant et, d’autre part, à la capacité de résilience ou encore à la capacité à absorber les effets de ce choc.

Madame T. n’a pas eu un seul moment de répit, pas de temps psychique pour pouvoir intégrer les catastrophes somatiques en salves dont elle a dû subir les traitements imposés par la médecine, solutions mutilantes au demeurant. Il lui est impossible de penser et de « panser » ce traumatisme, trou béant laissé dans la psyché. La représentation humaine à laquelle la patiente s’était fondamentalement identifiée est en radicale solution de continuité avec cette situation douloureuse et dépersonnalisante qu’elle est assignée à vivre176, elle est comme « figée par la Gorgone »177. Élaborer, elle ne le peut pas, elle ne le veut pas. Elle euphémise le pourrissement qu’elle ressent dans son ventre et dans ses jambes – pourrissement lié aux infarctus intra-abdominaux et aux ischémies des membres inférieurs – par un « j’ai presque honte » que l’on pourrait traduire sans trahir sa pensée par : « j’ai trop honte d’avoir trop honte », honte potentialisée et paradoxalement, encore ici, partiellement inexprimable. Mieux vaut la mort qu’elle souhaite, qu’elle demande avec insistance à autrui. Mais en même temps, l’appel au secours, le désir d’être entendue et d’être reconnue dans son cri, à la frontière, à la limite du possible, émerge dans son discours, car c’est devant les siens qu’elle a honte.

La situation traumatique génératrice d’angoisse et de honte vécue par Madame T. met en évidence le lien étroit qui existe entre ces deux affects. Pour Freud, le traumatisme est défini comme : « toutes excitations externes assez fortes pour faire effraction dans la vie psychique du sujet ».178 Il précise que c’est le facteur surprise,

176 On peut parler également de rupture dans la psyché. Voir en cela Octave Mannoni, Ça n’empêche

pas d’exister, op. cit. p.

177 Nous aurions pu, au risque de multiplier les histoires mythiques, raconter le récit homérique des

trois Gorgones, trois sœurs terrifiantes dont le regard avait le pouvoir de figer les personnes qui le croisaient. Elles sont représentées dans l’Odyssée comme des monstres des enfers. Dans la théogonie d’Hésiode, Sthéno, Euryale et Méduse sont des divinités marines, immortelles pour les deux premières. Méduse, elle, est mortelle, mais son regard a le pouvoir de tuer. Il est à noter cependant que de très nombreuses traditions dont celles du théâtre grec avec Eschyle et Euripide en donnèrent d’autres versions.

178 Freud S., Au-delà du principe de plaisir [1920], Paris, Poche, p. 78. Si Freud confère un caractère

traumatique aux abus sexuels perpétrés sur des enfants non pubères dans sa première « neurotica », il attribue ce caractère, plus tard, à tous les évènements ayant atteint une certaine intensité ou ayant

86 l’effroi qui provoque le traumatisme. Il définit l’effroi comme l’« état qui survient quand on tombe dans une situation dangereuse sans y être préparé »179. L’effroi,

comme sentiment de menace vitale imminente, est une excitation externe qui trouve son effectivité dans le manque de préparation par l’angoisse.180

Ferenczi explicite le traumatisme en termes d’« anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre »181. Autrement dit, le traumatisme anéantit le sentiment d’identité. Le traumatisme sidère le moi et produit une angoisse importante, ne permettant plus aux processus de pensée de se développer normalement. La personne se retrouve dans un tourbillon traumatique à l’instar des sujets pris dans une situation de guerre, d’accident ou de toute autre catastrophe. Ce qui est commun à toutes ces situations, c’est que le sujet se voit confronté à une mort imminente.

Le traumatisme, venant du mot grec trauma signifiant blessure, est avant tout un événement psychique, une blessure psychique tout à fait proche de la blessure narcissique sans la recouvrir totalement. Pour Freud, « ce n'est pas l'ébranlement physique qui est traumatisant, mais le trop-plein d'excitations ainsi libérées, d'autant plus que les systèmes psychiques ne sont pas préparés »..182 Ce trop-plein d’excitations représente ce qui est en excès pour le psychisme, autrement dit tout ce qui ne peut pas s’élaborer, se penser, se nommer. L’effraction dans le système des représentations effectue, sur un plan métaphorique, l’égal d’un « trou » dans la psyché. Comme pour la survenue d’une blessure, il se produit d’abord un choc violent entraînant une fracture psychique ayant des conséquences sur l’ensemble de la psyché. Cette fracture introduit une rupture dans la trajectoire du sujet. Un afflux d'excitation fait irruption et menace l'intégrité du moi. L’excitation non élaborée est provoqué une certaine détresse, ce qui a beaucoup élargi la conception psychanalytique du traumatisme. La définition que Freud donne du traumatisme est la confrontation du sujet à un excès d’excitation qui déborde ses capacités à endurer et à lier la situation qui se présente à lui. Cette excitation produit une effraction psychique étendue qui est à l’origine d’une douleur psychique. Le sujet ne peut véritablement se saisir de ce à quoi il est confronté, il ne peut pas véritablement se le représenter symboliquement, ni même le lier d’une manière non symbolique. La sidération psychique sidère également la temporalité : l’événement traumatisant est propulsé hors temporalité historisante.

179 Id. p 56.

180 Voir à ce sujet Ruzsniewski M., Face à la maladie grave, Paris, Dunod, 1995, pp. 8-9. 181 Ferenczi S., Le traumatisme, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2006, p. 33.

assez proche de l’angoisse pour Freud. Or, on sait communément, dans la pratique clinique, que des patients présentant un syndrome confusionnel, dès lors que toutes les étiologies somatiques sont éliminées,183 sont victimes de déstructurations

psychiques liées à du traumatique non élaborable, ici la confrontation directe à la mort.

La nature du facteur traumatique ne suffit pas pour comprendre son impact sur l’individu. Le sujet possède, en effet, une constitution particulière et une histoire qui ont formé son monde intérieur ; d’où son caractère et sa personnalité et surtout son assise narcissique. Le trop-plein d’excitations est en relation dialectique avec ce que la stabilité narcissique du sujet est à même de supporter et d’intégrer. Mais, de l’autre côté, les évènements auront également plus ou moins force traumatique en fonction de la culture de la personne qui les vivra. L’impact de la mort prochaine est différent chez un Oriental, convaincu de l’existence de la métempsychose et de l’importance de vivre son karma184, que chez l’Occidental, plutôt agnostique, en prise plus directe avec l’idéologie libérale de la performance individuelle que cette culture impose. Le sujet est donc constitutionnellement et culturellement une personne qui, face à un événement particulier, à un moment particulier dans l’histoire de son développement, est plus ou moins fragilisée. Cette vulnérabilité est donc fonction de l’inévitable interaction entre objectivité et subjectivité, entre réalité extérieure et réalité intérieure. Elle ne préjuge pas cependant du caractère traumatique de certaines situations, rendant alors vulnérable voire fragilisé chacun d’entre nous, indépendamment de nos cultures respectives.

Paul Denis définit le traumatisme comme « blessure narcissique ayant entraîné une désorganisation psychique »185, définition qui rapproche clairement la question de la honte de celle du narcissisme et du traumatisme.186 La blessure narcissique fait

183 Très classiquement, on élimine les hyponatrémies, les hypercalcémies, les hyperthyroïdies, les

métastases cérébrales.

184 Conséquence de ses actes imprimés dans l’âme, marque qui se répercute de vie en vie dans les

différentes réincarnations et qui se solde par des actions spirituelles adéquates de détachement.

185 Denis P., Le Narcissisme, Paris, PUF, Que sais-je, avril 2012, p. 111.

186 Voir la relation que le traumatisme entretient avec la honte comme facteur de désorganisation

psychique et donc de désubjectivation amenant, lorsque le traumatisme n’est pas déstructurant, à une resubjectivation faisant ressentir la honte dans l’après-coup in Ciccone A. et Ferrant A., Honte,

Culpabilité et Traumatisme, Paris, Dunod, 2009, p. 34. Cette impression de cercle a été également

88 surgir le sentiment de honte. Il n’y a de traumatisme, comme il n’y a de vécu de honte, que pour un sujet donné et à un moment donné.

« Douloureuse, sans représentation, sans recours, sans fin, l’expérience traumatique est « immaîtrisable », « insaisissable », non liable par la psyché, elle ne peut être domptée selon la métaphore proposée par Freud, c’est pourquoi elle est débordante et désorganisatrice. »187

Ces situations catastrophiques, proprement traumatiques et désorganisantes, ne sont évidemment pas rares et se mélangent à des décompensations somatiques ou psychiatriques dont on ne peut clairement déterminer l’origine. Une autre situation montre à quel point ces situations traumatiques désorganisatrices sont susceptibles de participer à une décompensation somatique probable. Tels sont les postulats de la médecine psychosomatique, que nous avons à plusieurs reprises constatés mais qui sont malheureusement et douloureusement irréparables, imparables et de ce fait manifestent l’impuissance de tous.

Monsieur A. : traumatisme désubjectivant

L’équipe mobile de soins palliatifs est appelée auprès de Monsieur A., 55 ans, qui souffre des complications artérielles multiples d’un diabète insulinodépendant. Le patient a « bénéficié » pour cela de plusieurs amputations successives, sur quelques mois, concernant initialement les pieds, ensuite les jambes puis les cuisses, le tout dans un contexte de mise en place d’une dialyse.

Ce qui est perçu initialement en présence de cette personne – il est dans un mutisme total – c’est un sentiment d’effraction psychique, de catastrophe intime, de traumatisme intense. Nous sommes saisis par la violence de sa douleur, la rapidité d’évolution de sa maladie, les conséquences castratrices de cette dernière sur son corps et la répercussion psychique chez un homme dont le physique était le moteur de sa vie. Le traumatisme est directement en lien avec la situation désorganisatrice, désubjectivante à laquelle Monsieur A. doit faire face, avec plus ou moins de

187 Roussillon R., Théorie psychanalytique du traumatisme, Jalons et repères de la théorie

potentialité de résistance, d’élaboration, de dépassement, de resubjectivation. Son

narcissisme est profondément touché.

Nous intervenons initialement pour traitement de douleurs extrêmes, d’origine artérielle. Les médecins avaient été optimistes au début de son hospitalisation : la mise sous dialyse était vraisemblablement transitoire et l’amputation ne devait intéresser que les orteils. Mais au fur et à mesure que les semaines d’hospitalisation défilaient, la maladie semblait ne jamais vouloir s’arrêter. La détresse devenait de plus en plus patente. Pourtant, il envisageait toujours un avenir, fût-il cruel, avec réaménagement de son domicile et conscience accrue du deuil qu’il devait opérer de toute une vie de passion pour les chevaux (il tenait un Haras avec son épouse) pour réinvestir une autre façon de vivre.

De profonds mouvements dépressifs accompagnaient ce cheminement. Il devait faire face à l’aspect monstrueux que son corps exhibait celui-ci n’ayant plus la forme humaine. Il n’était qu’un tronc, une tête et deux bras : « Je me

dégoûte, je ne me reconnais plus, j’ai honte. Comment ma femme va-t-elle

pouvoir m’aimer encore ? ».

Nous accompagnions ses faibles mouvements de vie psychique, qui lui permettaient encore d’investir un futur angoissant : « C’est une autre vie totalement différente qui m’attend. Je ne sais pas comment l’habiter. Je ne suis plus moi et je dois me réinventer ».

Monsieur A. se trouve dans une position de néantisation, où il est contraint d’abandonner un étant pour épouser une nouvelle forme d’étant, étrange et inhumaine, dans un temps collabé, dont des pans entiers se sont effondrés. Ce patient se trouvait typiquement à la croisée d’une désubjectivation et d’une resubjectivation, subjectivation qui devait être réinventée. La subjectivité, lieu et temps entre ce qui se construit et ce qui se déconstruit, se subjective et se désubjective si bien représenté par le tableau Bonté. Cette réflexion sur l’articulation entre sujet et non-sujet nous amène à penser à la formulation de Giorgio Agamben stipulant que « la subjectivité a constitutivement la forme d’une subjectivation et d’une désubjectivation ; et c’est pourquoi elle est, intimement, honte ».188 Il n’y a jamais de subjectivation pure, nous

90 sommes toujours rappelés par les processus de destruction. Cette impossibilité, qui est peut-être, au fond, une impossibilité de maîtriser sa vie, est ce à quoi renvoie la définition de la honte d’Agamben.

Chez notre patient s’amorçait, malgré la terrible épreuve, un travail d’élaboration encore possible faisant penser, dans un premier temps, qu’il n’était peut-être pas en danger d’effondrement psychique.

Mais une ischémie des doigts apparut. Les médecins durent annoncer que leur amputation n’était pas à exclure.

À partir de ce moment-là, le patient se mura dans le silence, définitivement. Nous parvenions là à l’insoutenable où l’issue pour le patient fût la mort, la mort délivrance : délivrance du corps tombeau 189? La suite fut saisissante, comme si le

traumatique pouvait être cause de la décompensation somatique.190

Après un mouvement de dépression franche avec mutisme et incapacité à élaborer quoi que ce soit, un syndrome septique emporta le malade de façon rapide malgré un traitement antibiothérapeutique immédiat et bien conduit.

Monsieur A se trouvait dans la situation tragique dans laquelle il ne pouvait ni vivre ni mourir. Le patient est mort et personne n’en a plus parlé. Ce décès, très éprouvant, nous confronte à un excès radical. La honte la plus profonde, la plus essentielle – comme le montre cette situation ainsi que de nombreuses autres situations régulièrement rencontrées dans notre clinique – entretient un lien avec le traumatisme et l’humiliation ; elle ne se pense pas, elle ne se dit pas. Elle peut se dire, peut-être, de façon métaphorique, de façon poétique, dans le sens tragique du terme, car une métaphorisation, une poétisation de la situation ne la règle pas, mais débouche sur un tragique qui appartient aux hommes, qui l’expriment et le reconnaissent.

Mais est-il possible de donner du sens à un processus si intensément mortifère et de l’inscrire dans une narration ? Parfois, peut-être, oui.

189 Platon, Gorgias, Paris, Flammarion, 1987, p. 233, note 134. Il y est question d’une analogie entre le

corps sôma et le tombeau sema peut-être d’inspiration pythagoricienne ou héraclitéenne.

190 Il s’agit là d’une interprétation de la théorie psychosomatique stipulant que lors de dépression grave

Les suicides de Primo Levi et de Jean Améry pourraient s’interpréter, de façon paradigmatique, comme une impossibilité d’élaborer le traumatique de la mort. Certes la mort industrialisée qu’ils ont croisée dans les camps d’extermination, mort en masse, fut cependant à l’instar de celle de Monsieur A. une mort inélaborable. La narration immédiate de l’horreur des camps de concentration à partir de leur propre vécu – immédiate dans le temps pour Primo Levi191 et dans la crudité sans filtre psychique pour Jean Améry192 – représentait pour eux un devoir, le devoir d’être les

« témoins ». Mais l’écriture se développait dans la proximité du traumatisme, sans

médiation, sans recul, proclamant haut et fort : « il faut survivre pour dire, dire pour survivre ». Leurs douloureuses fins étaient-elles le contre-exemple du dire traumatique comme survie ? Ne pas dire – en tout cas dans l’urgence – ne leur aurait- il pas permis de survivre ? Ou dire différemment, de façon différée, avec pour médiation la fantaisie de la narration et des oxymorons – comme l’a fait Jorge Semprun193 – aurait-il pu éviter ces deux actes de désespoir ?

Au sortir immédiat des camps, l’écrivain espagnol, a contrario de ses deux co- concentrationnaires, n’a pas pu « raconter ». Pour lui, écrire « le vrai » aurait entraîné à coup sûr le suicide. Alors, vivre le « faux » de la vie superficielle, comme un faux- self de circonstance, fut pour lui sa survie. Il lui aura fallu quarante ans avant de pouvoir témoigner dans L’écriture ou la vie194. Il ne témoigna pas exactement de ce qu’il avait vécu. Il raconta l’histoire de ce combat, son histoire depuis sa sortie des camps dans un style scintillant d’oxymorons et de va-et-vient entre le témoignage et la mort, le silence et la vie.

L’expérience de désubjectivation offerte au regard de l’autre fait surgir l’impensable honte : face perdue, masque tombé, viscères exhibés. Plus de secret, plus de séparation, plus de limite, plus d’intime symbolique. Violence inouïe que les soignants des soins palliatifs rencontrent régulièrement, jour après jour, lorsque Mme

191 Levi P., Si c’est un homme, traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger, Turin, 1987. Ce livre fut

publié la toute première fois en 1947 dans une petite maison d’édition italienne.

192 Améry J., Par-delà le crime et le châtiment, Essai pour surmonter l’insurmontable (1966), trad..

Wuilmart, Arles, Actes Sud, 1995.

193 Semprun J., L’écriture ou la vie, op. cit. 194 Id.

92 R. hurle qu’elle ne veut pas mourir, quand M. D. ne veut pas entendre parler de soins palliatifs dont il dit clairement que cela signifie « la fin », quand Madame J. s’effondre en pleurs en évoquant ses jeunes enfants qu’elle ne veut pas quitter.

La proximité du traumatisme, de la détresse et de l’angoisse avec la honte explique certainement que celle-ci ne puisse se dire ni se repérer le plus souvent.