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Le Machault et les traités historiques du XVIII e siècle

4.2 La conception architecturale du Machault

4.2.1 Le Machault et les traités historiques du XVIII e siècle

L’analyse des dimensions et proportions du Machault va permettre d’identifier les spécificités de la frégate bayonnaise et de la situer par rapport à d’autres frégates de son époque. Les proportions archéologiques du Machault sont ici comparées à celles proposées par quatre traités de construction navale du XVIIIe siècle. Ces traités sont ceux de La Madelaine (dans

Rieth 1996), de Blaise Ollivier (1736), de Pierre Bouguer (1746) et de Henri-Louis Duhamel du Monceau (1757). Il s’agit tous d’ouvrages théoriques qui offrent des dimensions et proportions idéales pour la conception d’un navire de guerre de taille similaire au Machault. Ce sont les mesures archéologiques qui ont été utilisées comme base aux calculs énoncés par les différents auteurs.

À ces traités historiques, le devis de construction de 1757 (annexe 2) a été ajouté. Rappelons qu’il s’agit vraisemblablement du devis du Maréchal de Senneterre ayant accompagné le Machault à Québec en 1759. Ce navire a été également été construit en 1757 sur le chantier de Bayonne selon les plans de l’architecte Geoffroy. Il est donc plausible que le Machault fut conçu de façon semblable, puisqu’il s’agit du même chantier et du même architecte (Proulx 1979 : 2). Les dimensions présentées dans la colonne du devis proviennent donc entièrement du document d’archives.

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Les dimensions archéologiques utilisées sont celles présentées dans la section 3.3.1 dont voici un récapitulatif. La longueur retenue pour la quille portant sur terre est de 34,3 mètres et provient du plan de fouille de l’épave. La seconde dimension retenue est la longueur totale du navire soit 38,7 mètres et cette donnée provient d’un document rapportant les dimensions structurales prises lors de plongées (Parcs Canada 1970). Ces deux données ont servi de valeur de référence. Les différents traités utilisent la longueur totale du navire et parfois la longueur de la quille comme mesure de base pour calculer toutes les autres dimensions (Duhamel Du Monceau 1757 : 2; Ollivier 1837 : 284). Il s’agit généralement de la seule donnée précise qu’ils donnent, les autres mesures étant exprimées en termes de proportions par rapport à d’autres structures dont les dimensions ont été préalablement déterminées. Il a été jugé plus pertinent d’utiliser la même mesure de base pour tous les traités historiques afin d’assurer une cohésion et une base commune : une quille de 38,4 mètres.

Quant à la largeur au maître-bau et au creux, les dimensions du Machault proviennent du relevé effectué au LHNC de la Bataille-de-la-Ristigouche en 2012. Le creux a été déterminé à 4,45 mètres et la largeur au maître-bau à 9,7 mètres. Enfin, les dimensions liées à l’étrave et l’étambot ont été déterminées à partir des relevés archéologiques de Parcs Canada. L’élancement à l’étrave est de 5,18 mètres et sa hauteur de 5,6 mètres. La quête de l’étambot est de 0,91 mètre. L’étambot étant brisé dans sa partie supérieure, il n’est pas possible de déterminer sa hauteur totale.

Les traités historiques présentent les dimensions en pieds français (1 pied = 32,48 cm), alors celles-ci ont été transposées au système métrique actuel. Par la suite, quatre types de ratios ont été calculés : la longueur totale : largeur : creux où une valeur arbitraire a été donnée à la largeur comme référence (la longueur totale est comprise entre le haut de l’étambot et le haut de l’étrave à leur plus grande séparation). Les trois autres ratios sont aussi en lien avec la longueur totale : largeur : longueur, creux : longueur et élancement : longueur. Ces proportions forment la base de tous les traités historiques de construction consultés. Il s’agit des ratios nécessaires pour évaluer les formes d’un navire.

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Structure archéologiques Données Madeleine M. de la (1712) Ollivier (1736) Bouguer (1747) Duhamel du Monceau (1752) Devis de construction (1757) Longueur totale du

navire (étrave à étambot) 38, 7 38, 7 38, 7 38, 7 38, 7 36,3

Quille portant sur terre 34,3 34,3 34,3 34,3 34,3 -

Creux 4, 45 4, 83 4, 9 5,8 5, 4 à 5, 5 5,5 Largeur du maître-bau 9, 7 10, 9 10, 8 12,9 10, 8 10,55 Élancement de l'étrave 5, 18 4, 83 4, 22 5,14 4,83 4,5 Hauteur de l'étrave 5, 6 - - 10,31 ~ 8 - Quête de l'étambot 0, 91 1, 21 0, 7 à 1 1,28 1,2 2,9 Ratio Longueur/Largeur/Creux 8 : 2 : 1 7 : 2 : 0, 8 7 : 2 : 0, 9 6 : 2 : 0,9 7 : 2 : 1 7 : 2 : 1 Largeur / Longueur 1 : 4 1 : 3,5 1 : 3,6 1: 3,2 1: 3,6 1 : 3,5 Creux / Longueur 1 : 8,7 1 : 8 1 : 7,9 1 : 6,7 1 : 7 à 1 : 7,2 1 : 6,6 Élancement / Longueur 1 : 7,5 1 : 8 1 : 9,2 1 : 7,5 1 : 8 1 : 8

Tableau 9 – Dimensions théoriques issus des traités historiques et les dimensions archéologiques du Machault exprimées en mètres.

Plusieurs informations peuvent être tirées de l’observation de ce tableau. Premièrement, le Machault a une proportion largeur : longueur plus petite que les traités théoriques, rendant sa carène plus effilée avec un ratio de 1 : 4 contre 1 : 3,2 à 1 : 3,6 chez les traités et le devis de construction. Le même constat peut être fait quant au ratio entre le creux et la longueur totale du navire, où le Machault est à l’extrême le moins creux sur l’échelle allant de 1 : 6,7 À 1 : 8,7. La frégate apparaît ainsi plus fine que ce que les traités de l’époque suggèrent et que le devis de construction du présumé Maréchal de Senneterre. En ce qui concerne le ratio entre l’élancement de l’étrave et la longueur totale, le Machault et la frégate de Pierre Bouguer sont les plus élancés à 1 : 7,5.

Il faut noter que les traités de construction sont des outils théoriques, et ne correspondent à aucun navire en particulier. Les dimensions et proportions qu’ils proposent reflètent donc un idéal, et il est intéressant de voir comment le constructeur du Machault a appliqué les connaissances de son époque. Aux dires de Duhamel du Monceau, le charpentier se permet de

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déroger plus ou moins des proportions proposées par les devis soumis : « d’autant qu’on ne peut guère donner de règles justes sur ces sortes de dimensions parce que les constructeurs sont forcés de s’écarter de l’usage le plus ordinaire, suivant les circonstances » (Duhamel du Monceau 1752 : 2). L’observation de ce tableau permet de situer le Machault dans son époque. Ainsi, sans déroger complètement des traités historiques, le Machault apparaît comme un navire plus fin et possédant un élancement de l’étrave plus prononcé que ce que les traités historiques et le devis analysés démontrent. La frégate bayonnaise est moins creuse et moins large au maître couple que ce que les traités et devis historiques suggèrent.

Il est intéressant de noter les différences entre les données archéologiques du Machault et celles de son présumé jumeau, le Maréchal de Senneterre. On peut s’interroger sur cette notion de gémellité, peut-être étaient-ils semblables, mais non pas identiques ; peut-être aussi étaient-ils conçus comme des jumeaux, mais construits par des charpentiers différents selon leur expérience ? Un mémoire de maîtrise, en cours de rédaction lors de l’écriture de ces lignes, par un étudiant de l’Université de Montréal porte sur une épave soupçonnée d’être le Maréchal de Senneterre. Les données et analyses n’étant pas encore complétées, il nous est actuellement difficile d’avancer des hypothèses quant aux différences et ressemblances potentielles entre le Machault et cette épave. Nous espérons pouvoir parvenir à une meilleure compréhension des vestiges de ces deux navires dans les prochaines années.