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Les méthodes de conception architecturale des navires

La conception architecturale des navires est une étape qui s’insère dans la chaine opératoire en amont du chantier de construction. Elle apparaît autant comme un travail de gestion et de coordination que comme un travail architectural. C’est lors de cette phase que les penseurs du projet naval cherchent à déterminer la forme finale du bâtiment, et que sont décidées les proportions et les dimensions générales. La conception architecturale, c’est « penser » les formes d’un navire avant de les matérialiser en bois en fonction des ressources de matériaux, de main-d'œuvre et de savoir-faire.

L’analyse des formes du navire renvoie aussi à sa fonction prévue. Une frégate étant différente d’un vaisseau ou d’une flûte de transport en termes de dimensions et d’usage, sa conception ne relève pas des mêmes facteurs et contraintes. La conception architecturale liée à la frégate Machault donnera un accès privilégié à un complexe de connaissances et d’informations qui documentent non seulement une phase importante dans l’élaboration d’un projet architectural, mais qui conduisent aussi à une meilleure compréhension de la relation entre les traditions et l’innovation scientifique.

3.3.1 Les dimensions

Les dimensions du Machault sont essentielles à la conception architecturale du navire. Elles donneront accès au système utilisé et pourront être mises en relation avec d’autres navires de la même époque et avec les traités historiques existants. Dans son ouvrage Combattre à Ristigouche, l’historien Gilles Proulx (1999) attribue certaines dimensions du navire, vraisemblablement issues d’un mélange non explicité de dimensions théoriques issues de traités, de sources historiques et de quelques mesures archéologiques. Nous n’avons pu reconstituer sa méthodologie et nous n’avons donc pas utilisé ces dimensions pour notre analyse.

Parmi les mesures critiques pour une telle analyse, il y a la longueur de la quille. Il s’agit même de la dimension primordiale, car c’est généralement sur cette mesure que reposent toutes les autres dimensions. C’est d’ailleurs de la première dimension déterminée par les traités historiques. Elle permet ensuite de déterminer la largeur au maître-bau, le creux* ainsi que la

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quête de l’étrave et l’élancement de l’étambot. Il s’agit des dimensions principales nécessaires pour la conception d’un navire.

Pour le Machault, la longueur retenue pour la quille portant sur terre est de 34,3 mètres et provient du plan de fouille de l’épave (figure 5). La seconde dimension retenue est la longueur totale mesurée du navire soit 38,7 mètres et cette donnée provient d’un document rapportant les dimensions structurales prises lors de plongées (Parcs Canada 1970). Quant à la largeur au maître-bau et au creux, les dimensions retenues proviennent d’un relevé effectué au LHNC de la Bataille-de-la-Ristigouche en 2012. Le creux a été déterminé à 4,45 mètres et la largeur au maître-bau à 9,7 mètres. Enfin, les dimensions liées à l’étrave et l’étambot ont été déterminées à partir des relevés archéologiques des deux structures (Figure 25 et Figure 26). L’élancement à l’étrave est de 5,18 mètres et sa hauteur de 5,6 mètres. La quête de l’étambot est de 0,91 mètre. L’étambot étant brisé dans sa partie supérieure, il n’est pas possible de déterminer sa hauteur totale. Même si elles proviennent de sources différentes, les dimensions retenues pour le Machault sont donc toutes de nature archéologique.

3.3.2 Le relevé du couple 1

Plusieurs archéologues se sont intéressés à la conception des formes courbes de la carène d’un navire (Rieth 1998a; Castro 2005; Loewen 2007a, 2009; Carrell 2003). Ils mettent l’accent sur la conception et le rôle du maître-couple* pour définir ces formes. À travers plusieurs études, ils ont développé une méthodologie pour déceler le type de conception architecturale, le situer historiquement et le comparer entre épaves.

Lors de la collecte de données sur le Machault, un couple a été dessiné à partir des vestiges exposés et désigné comme le couple 1 (Figure 13). Il ne s'agit pas du maître-couple, mais plutôt du 3e ou 4e couple vers l’arrière du maître-couple (Figure 27). Selon les traités

historiques, les premiers couples entourant le maître-couple ne subissent pas de modifications à leurs formes, à l'exception possible d’une réduction du plat de la varangue. Il est donc logique de considérer que le couple 1 de la structure exposée ressemble étroitement au maître-couple (Figure 13). La réduction du plat opérant uniquement sur la portion horizontale de la varangue, elle n’affecte pas la forme des arcs du bouchain*, du genou* ou du fort*. On suppose aussi que

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les dimensions, telles le creux et la largeur au maître-bau mentionnée plus tôt, sont sensiblement les mêmes que celles au maître-couple. L’analyse de ces derniers segments peut alors se faire comme s’il s’agissait du maître-couple. Le relevé du couple 1 à l'échelle 1:10 a été réalisé par Saraí Barreiro Argüelles, Brad Loewen et Mathieu Mercier Gingras sur du papier millimétrique à l’aide d’un fil à plomb et de décamètres posés au sol et sur la structure en décembre 2012.

Le dessin a ensuite été numérisé à l'aide du logiciel Illustrator CS5 d’Adobe (Figure 28 et Figure 29). Il a fallu procéder point par point, à très haut agrandissement avec de nombreux points d’ancrage. S’il y a un bris abrupt dans la suite des arcs, le relevé est assez précis pour le détecter, par exemple compris lorsque deux pièces d’un couple du Machault sont mal alignées. Le dessin électronique du couple a été ensuite imprimé sur papier. Puis, de façon manuelle et à l'aide d'un compas, des arcs de cercle ont été dessinés sur du papier calque, à raison d'un rayon égal à un pied français de l’époque. Ces arcs de cercle ont ensuite été apposés sur le couple afin de déterminer s'il y a correspondance entre le couple et ces arcs de cercle superposés.

Les dimensions proportionnelles et la conception géométrique du maître-couple pourront faire l’objet d’une comparaison avec les traités historiques concernant les navires et les frégates du XVIIIe siècle. L’observation des formes d’un couple a permis d’identifier des

arcs de cercle malgré une rupture au niveau de l’arc du genou. La compréhension de la relation entre la conception du navire avec les techniques de foresterie et de charpenterie permettra de comprendre l’articulation des différentes étapes du projet de construction d’un navire.