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Le Machault et la forêt française du XVIII e siècle

4.3 La charpenterie du Machault

5.1.2 Le Machault et la forêt française du XVIII e siècle

Quels rapports forestiers sont alors indiqués par le Machault ? Il a été vu que la qualité des bois, tant le fil du bois que l’adéquation morphologique et l’uniformité des essences utilisées, indiquent à priori que les pièces ont été obtenues dans une forêt possiblement gérée à des fins de construction navale. Les arbres du Machault sont jeunes, mais optimaux. Selon les cernes présents et les estimations de cernes manquants en périphérie et au cœur de l’arbre, les planches montrent une moyenne de 61,6 ans et les membrures, 46,9 ans.

La Marine royale était très exigeante dans ses critères pour la sélection des chênes utilisés dans la construction des navires, du moins théoriquement. En principe, pour la construction des vaisseaux, la Marine n’utilisait pas de chêne présentant une circonférence inférieure à 1,62 mètre soit des arbres généralement âgés de 80 à 100 ans au minimum (Boudriot 1999 : 340, Roou 2010 :2). Ceci correspond à un diamètre d’environ 52 centimètres pour 4 cernes par centimètre de rayon en moyenne. Les arbres ayant servi à la construction du Machault sont quelque peu plus jeunes, mais représentent une ressource optimale en termes de qualité de la ressource.

Une pénurie forestière obligeant les constructeurs à se tourner vers des arbres plus jeunes peut aussi fournir une certaine compréhension de l’âge des arbres. Selon l’historien Paul Bamford, la France du XVIIIe siècle hérite d’une situation forestière précaire (Bamford 1956 :

15). La superficie de la forêt s’amenuise, et ce, malgré les Édits et Ordonnances qui sont publiés dès 1376 (Ballu 2008 : 15). Il faut attendre l’ordonnance sur les Eaux et Forêts de 1669 pour que la France se dote d’une législation adaptée, mais les demandes de la Marine de guerre vont rendre inopérants plusieurs articles. Bamford résume bien la France du XVIIIe lorsqu’il la décrit

comme un État déchiré entre la conservation du bois pour ses navires et son désir d’aider et d’accroître d’autres industries qui utilisaient le bois comme celle du charbon et du verre (Bamford 1956 : 76). Il pourrait donc être possible que les arbres les plus âgés et les plus grands aient été réservés pour la construction des vaisseaux de la Marine, laissant les arbres plus petits, plus jeunes, mais non de moindre qualité pour les plus petits navires, les chantiers privés et les autres industries. Les arbres utilisés pour le Machault démontrent à la fois qualité et uniformité

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ce qui ne correspond pas à une sélection opportuniste ni à un accès à une ressource de deuxième choix. De plus, on ne peut éliminer l’hypothèse selon laquelle le Machault ait été construit directement dans l’arsenal de Bayonne, qui plus est par un charpentier du roi. Sa construction, et son approvisionnement ne peuvent donc pas être radicalement opposés à la Marine. Nous pouvons même avancer que, dans cette situation, le Machault aurait eu l’avantage d’avoir accès aux ressources de la Marine.

Les archives utilisées par Paul Bamford et Jean-Marie Ballu proviennent principalement des fonds de la Marine, dont les fonctionnaires font face à un problème d’approvisionnement de bois et doivent alors justifier leurs demandes. Est-il possible que la situation leur ait paru plus désespérée qu’elle ne l’était réellement ? En effet, les cas de pénuries sont documentés aux arsenaux de Toulon, Brest et Rochefort, les trois lieux les plus importants pour la construction de la Marine à cette époque. La situation géographique de ces trois endroits diffère de la région de Bayonne qui dispose d’une plus petite production de navires et accuse donc une plus petite demande en bois. Il lui aurait donc été plus facile de pourvoir à ses besoins avec des pièces de qualité.

Le statut privé des constructeurs du Machault est aussi un facteur à tenir en compte dans le choix et la disponibilité des matériaux. En effet, la frégate n’était pas une construction de la Marine et elle a été construite par intérêts privés qui s’étaient vu promettre le rachat du navire par le roi si les plans étaient préalablement approuvés par la Marine. Il est possible que les constructeurs du Machault aient été soustraits des règlements de la Marine concernant la sélection des pièces et qu’ils se soient tournés vers des arbres plus jeunes. Enfin, une frégate étant plus petite qu’un vaisseau, elle n’avait pas besoin des arbres plus imposants que la Marine se gardait. L’exemple de cette épave montre l’envers des règlements de la Marine, l’industrie privée semblant ainsi plus flexible et opportuniste, mais non moins structurée par des pratiques de la Marine.

De nombreux faits et hypothèses permettent donc d’expliquer l’âge des arbres utilisés lors de la construction et l’épave du Machault permet de souligner le rapport qu’entretiennent les sources historiques et archéologiques. Les études historiques de Bamford et Ballu reflètent

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les écrits laissés par les officiers de la Marine ce qui entraine une généralisation sur la situation de la France. De plus, les traités historiques dont ceux de Duhamel du Monceau, Bouguer et Ollivier n’abordent pas ces questions pratiques en profondeur et s’en tiennent généralement aux considérations théoriques. Ils abordent généralement la construction de la Marine et non pas la construction sur les chantiers privés. Ces constatations renvoient à la spécificité de l’archéologie pour rendre compte des silences laissés par l’Histoire.

5.1.3 Le dressage des arbres. Approche expérimentale ou développement à grande échelle ?