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Chapitre I : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

3. Apport de l’imagerie pour l’étude des transporteurs en pharmacocinétique

3.5. Les sondes pour l’imagerie des OATP

3.5.3. La [ 99m Tc]mébrofénine

La [99mTc]mébrofénine, ou triméthyl-bromo-IDA (acide iminodiacétique), est un médicament radiopharmaceutique utilisé depuis plusieurs dizaines d’années en médecine nucléaire pour la scintigraphie hépatobiliaire (Doo et al., 1991; Fritzberg and Klingensmith, 1982). Ce traceur présente l’avantage d’être rapidement capté par le foie puis éliminé vers la bile (Krishnamurthy and Krishnamurthy, 1989) ce qui en fait un agent d’intérêt pour l’exploration des dysfonctionnements à la fois hépatiques et biliaires.

Un certain nombre d’études in vitro ont permis de montrer que sa captation et son élimination étaient médiées par différents transporteurs hépatocytaires. Plusieurs études ont mis en évidence que parmi les transporteurs exprimés au niveau sinusoïdal des hépatocytes, la [99mTc]mébrofénine était transportée par OATP1B1 et OATP1B3, mais pas OATP2B1, OCT1 ni NTCP (Ghibellini et al., 2008; de Graaf et al., 2011; Neyt et al., 2013). Par ailleurs, la captation par les cellules exprimant OATP1B1 et OATP1B3 était diminuée en présence de la rifampicine, inhibiteur des OATP, ce qui confirme le caractère substrat de la [99mTc]mébrofénine pour ces transporteurs (Ghibellini et al., 2008; Swift et al., 2010b). Au niveau canaliculaire, les études in vitro ont souligné que c’était le transporteur d’efflux MRP2 qui était l’acteur principal de l’efflux biliaire de la [99mTc]mébrofénine (Ghibellini et al., 2008; Pfeifer et al., 2013; Swift et al., 2010b). Ce transport était diminué lorsque les cellules exprimant MRP2 étaient exposées au MK571, un inhibiteur connu de MRP2 (Ghibellini et al., 2008; Swift et al., 2010b). Enfin, le transporteur d’efflux MRP3 exprimé au niveau basolatéral de l’hépatocyte a également été identifié in vitro comme participant au transport de la [99mTc]mébrofénine et pourrait participer à son efflux sinusoïdal du foie vers le sang (Ghibellini et al., 2008). Lors de cette étude, le transport de la sonde vers les cellules transfectées avec MRP3 était fortement diminué en présence d’estradiol-17-beta-glucuronide, qui est connu pour inhiber MRP3.

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Au niveau préclinique, deux études ont été menées chez le rongeur pour éclaircir in vivo l’intérêt de cette sonde pour l’étude des transporteurs hépatiques. Une étude réalisée avec des rats déficients en MRP2 a démontré le caractère substrat de la [99mTc]mébrofénine (Bhargava et al., 2009). En effet, la sonde était rapidement captée et éliminée par le foie des rats sains alors qu’elle s’accumulait de manière importante dans ceux des rats mutants. Cette observation a été complétée par l’ajout de ciclosporine, un médicament connu pour inhiber un certain nombre de transporteurs parmi lesquels MRP2. L’ajout de cet inhibiteur a diminué l’excrétion biliaire des rats sains, mais n’a eu aucun effet supplémentaire sur l’excrétion biliaire de la [99mTc]mébrofénine chez les rats déficients en MRP2. La deuxième étude a été réalisée chez différents groupes de souris (Neyt et al., 2013). Deux groupes étaient déficients soit en OATP soit en MRP2 et la distribution de la [99mTc]mébrofénine dans ces groupes a été comparée à celle d’un groupe témoin. Chez les souris déficientes en OATP, l’exposition hépatique était diminuée et la radioactivité détectée dans la vésicule biliaire et les intestins était très faible. L’exposition plasmatique en revanche était augmentée et une déviation rénale de l’élimination était observée. Chez les souris déficientes en MRP2, l’exposition hépatique était au contraire augmentée alors que l’exposition plasmatique était similaire à celle du groupe témoin. L’élimination de la [99mTc]mébrofénine vers la vésicule biliaire et les intestins était observée dans ce groupe mais retardée par rapport au groupe témoin. Un quatrième groupe de souris a été testé : il s’agissait de souris saines, comparables au groupe témoin, pour lesquelles une inhibition pharmacologique a été réalisée par de la rifampicine. Dans ce groupe, l’élimination biliaire a semblé ralentie avec un retard du pic hépatique, un retard de l’apparition de la radioactivité dans la vésicule biliaire et une activité moins importante que dans le groupe témoin. L’exposition plasmatique de ce groupe était également augmentée par rapport au groupe témoin, ce qui suggère que la rifampicine inhibe à la fois le transport OATP et MRP2 de la [99mTc]mébrofénine.

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Au niveau clinique, la [99mTc]mébrofénine n’a pour l’instant été utilisée que dans trois études visant à étudier les transporteurs hépatiques in vivo chez l’Homme. Pour chacune de ces études, une modélisation pharmacocinétique a été réalisée par analyse compartimentale afin d’évaluer l’impact des différents transporteurs hépatiques. Une première étude utilisant un modèle à deux compartiments a permis de modéliser la distribution de la [99mTc]mébrofénine et ses changements dans des situations de dysfonctionnements pathologiques de la captation hépatique et/ou de l’excrétion biliaire (hyperbilirubinémie et cholestase). Cette analyse a permis de montrer que l’excrétion biliaire était la voie d’élimination principale de la [99mTc]mébrofénine, prédominante par rapport à l’efflux basolatéral (Ghibellini et al., 2008). Une autre étude clinique a été menée avec la [99mTc]mébrofénine, cette fois-ci en l’associant à du ritonavir (Pfeifer et al., 2013). Le ritonavir est un puissant inhibiteur de certains cytochromes dont le cytochrome P450 3A4, ce qui permet d’augmenter la biodisponibilité des médicaments métabolisés par cette voie (Vourvahis and Kashuba, 2007). Cependant, on connaissait mal l’impact du ritonavir sur l’activité des transporteurs hépatiques. En effet, le ritonavir est un inhibiteur in vitro de MRP2 mais aussi des OATP (Annaert et al., 2010; Ye et al., 2010). La [99mTc]mébrofénine, qui n’est pas métabolisée, a permis d’étudier les répercussions fonctionnelles du ritonavir sur l’activité de ces transporteurs. Le ritonavir (300 mg par voie orale 14h puis 2h avant administration de [99mTc]mébrofénine) a augmenté l’exposition plasmatique de la [99mTc]mébrofénine sans affecter l’exposition hépatique globale ni l’élimination biliaire. La modélisation compartimentale de ces données, qui a nécessité l’ajout d’un nouveau compartiment extra-hépatique, a toutefois permis d’identifier une diminution du processus de captation hépatique en présence de cet inhibiteur, mais sans altération du processus d’excrétion biliaire. Ces résultats ont été confirmés par une étude complémentaire in vitro qui indiquait que le ritonavir inhibait l’accumulation de [99mTc]mébrofénine dans des hépatocytes humains cultivés en sandwich et que la forte fixation du ritonavir au niveau intracellulaire limitait son interaction avec la protéine

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d’efflux MRP2 et n’impactait ainsi pas son fonctionnement (Pfeifer et al., 2013). La [99mTc]mébrofénine a été utilisée plus récemment dans une étude clinique afin d’explorer l’activité des transporteurs hépatiques en situation pathologique (Ali et al., 2017). Cette étude comparait un groupe de sujets témoins, à un groupe de patients atteints de NASH, une des pathologies dans lesquelles des altérations d’expression des transporteurs hépatiques ont été identifiées (Tableau 5). Cette étude a permis d’explorer l’impact fonctionnel de ces modifications et a révélé que la NASH augmentait l’exposition hépatique et systémique à la [99mTc]mébrofénine en raison d’une diminution de la clairance biliaire et du volume du compartiment central. La modélisation a également montré que la captation hépatique était abaissée chez les patients souffrant de NASH ainsi que chez les sujets présentant un variant génotypique de OATP1B1, confirmant ainsi que ces populations sont plus vulnérables aux médicaments substrats des transporteurs OATP1B1, OATPB1B3 et MRP2 (Ali et al., 2017).