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Chapitre I : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE

2. Implication des transporteurs en pharmacocinétique

2.3. Importance des transporteurs dans le développement des médicaments

2.3.2. Rôle des transporteurs hépatiques en pharmacocinétique

2.3.2.3. Interactions médicamenteuses impliquant les transporteurs

Le rôle prédominant du foie dans les étapes de métabolisme et d’élimination en fait un site privilégié d’interactions médicamenteuses pharmacocinétiques. Une modification du métabolisme enzymatique des médicaments ou de leur transport par un autre médicament substrat, inducteur ou inhibiteur de ces mêmes enzymes ou transporteurs, peut être à l’origine d’une augmentation ou d’une diminution des concentrations plasmatiques du médicament victime de l’interaction (Levêque et al., 2010). Les répercussions pharmacocinétiques sont d’importance variable mais peuvent conduire dans certaines situations à une contre-indication d’association.

Parmi les transporteurs retrouvés au niveau hépatique, les transporteurs OATP ont été identifiés comme le siège de nombreuses interactions médicamenteuses. L’inhibition des OATP peut provoquer une augmentation importante de l’exposition plasmatique aux médicaments substrats de ces transporteurs. La première interaction médicamenteuse mise en évidence au niveau de ces transporteurs était celle entre la cérivastatine et la ciclosporine (Shitara et al., 2003), mais beaucoup d’autres ont été découvertes depuis(Tableau 6) (Patel et al., 2016). Ces interactions médicamenteuses se distinguent par l’intensité de leurs répercussions pharmacocinétiques, qui peuvent mener à une augmentation d’un facteur 23 dans le cas de l’interaction de la pravastatine avec la ciclosporine (Tableau 6).

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Tableau 6 : Exemples d’interactions médicamenteuses d’impact clinique impliquant des médicaments substrats et inhibiteurs de OATP1B1 et/ou OATP1B3.

FaFg représente la forme inchangée, AUCR correspond au rapport des aires sous la courbe plasmatique du médicament substrat avant et après ajout de l’inhibiteur, b dose non indiquée dans la publication, c l’inhibition du CYP3A4 et de OATP1B1 sont à prendre en considération, d l’inhibition

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A ce jour en effet, les interactions les plus préoccupantes d’un point de vue clinique sont certainement celles qui concernent les médicaments de la famille des statines dont l’exposition systémique peut être augmentée si elles sont administrées en même temps qu’un inhibiteur des OATP, pouvant ainsi déclencher l’apparition de myopathies, même à des doses pharmacologiques (Ramsey et al., 2014). L’étude des interactions médicamenteuses au niveau des transporteurs OATP est d’autant plus complexe que les sites de fixation des médicaments aux transporteurs OATP sont multiples (Noé et al., 2007; Roth et al., 2011; Tamai et al., 2001).

De ce fait, lors du développement d’un nouveau médicament, l’ITC recommande de s’interroger sur l’implication des OATP dans le mécanisme d’élimination du candidat médicament, en particulier si celui-ci présente une forte captation hépatique (Giacomini et al., 2010). Si le médicament est éliminé à plus de 25% par voie hépatique, des tests in vitro sur des hépatocytes ou des cellules transfectées doivent être effectués pour vérifier s’il est substrat des transporteurs OATP1B1 et OATP1B3 (European Medicines Agency, 2012; Food and Drug Administration, 2017; Ishiguro et al., 2020). Si les résultats in vitro sont positifs, une étude clinique est recommandée pour étudier in vivo le potentiel d’interaction de ce médicament avec un inhibiteur connu du transporteur (par exemple une dose unique de rifampicine ou de ciclosporine, Figure 10) afin de vérifier le risque et les conséquences pharmacocinétiques d’une interaction médicamenteuse impliquant les OATP (Figure 10).

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Figure 10 : Arbres décisionnels recommandés par l’ITC pour l’étude des interactions avec les OATP.

(a) Si NME (new molecular entity) potentiel substrat des OATP et (b) si NME potentiel inhibiteur.

(Giacomini et al., 2010)

Tous les candidats médicaments doivent également être testés in vitro pour voir s’ils sont substrats de la P-gp ou de la BCRP. Ces recommandations se basent plutôt sur le rôle important qu’exercent ces transporteurs au niveau intestinal où ils limitent la biodisponibilité des médicaments. Bien qu’ils soient tous les deux également exprimés sur la membrane canaliculaire des hépatocytes, leur implication clinique dans un risque d’interaction médicamenteuse pharmacocinétique à ce niveau n’a pas encore été

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clairement démontrée. Le niveau d’expression de la P-gp au niveau canaliculaire est d’ailleurs environ sept fois moins élevé que dans l’intestin (von Richter et al., 2004). Parmi les autres transporteurs d’efflux retrouvés sur l’interface canaliculaire, la protéine BSEP, bien qu’elle ne soit à priori pas une voie principale d’élimination des médicaments, peut participer aux phénomènes d’interactions médicamenteuses. En effet cette protéine permet la sécrétion de nombreux composés endogènes, en particulier les acides biliaires. L’inhibition de BSEP par un médicament peut être à l’origine d’une cholestase iatrogène et avoir parfois pour conséquence le développement de lésions hépatiques (Stieger, 2010). En effet, environ 30% des atteintes hépatiques cliniques d’origine médicamenteuse (DILI) impliquent une cholestase (Zamek-Gliszczynski et al., 2012). Toutefois, le rôle exact de la BSEP dans les interactions médicamenteuses et la survenue de DILI reste mal compris puisque la prise au long cours de certains médicaments l’inhibant de façon puissante (troglitazone, benzbromarone par exemple) est souvent associée à une hépatotoxicité alors que d’autres médicaments inhibiteurs de la BSEP (glimépiride, pioglitazone, simvastatine par exemple) ont une toxicité bien moindre (Liu and Sahi, 2016). Cependant, l’inhibition in vitro de BSEP sans argument préclinique ou clinique de cholestase n’est pas prédictive de la survenue de DILI ; c’est pourquoi il n’est pas recommandé de tester systématiquement ce transporteur lors du développement des médicaments, mais seulement de façon rétrospective, lors d’apparition d’une hépatotoxicité.

MRP2 semble également jouer un rôle important comme transporteur d’efflux à l’interface canaliculaire des hépatocytes mais à ce jour, aucune interaction médicamenteuse d’impact clinique n’a été identifiée (Liu and Sahi, 2016). Il s’agit pourtant là d’un site d’interaction médicamenteuse envisageable étant donné les différentes interactions observées au niveau de ce même transporteur dans d’autres organes comme l’intestin ou les reins (DeGorter et al., 2012b; Zolk and Fromm, 2011). Il est probable qu’une inhibition de MRP2 au niveau canaliculaire n’ait pas de répercussions sur l’exposition plasmatique et ne saurait être détectée chez les patients.

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2.3.3. Complexité de l’évaluation clinique des interactions médicamenteuses