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Chapitre 3. Problématique de recherche

Dans les chapitres précédents, le développement de l’individu et des organisations a été présenté à travers l’approche des capabilités, notion empruntée aux travaux d’Amartya Sen, et plus spécifiquement par l’approche des capabilités collectives (Dubois, 2008). Il a été montré en quoi les capabilités collectives ne sont pas la seule juxtaposition ou agrégation de capabilités individuelles mais relèvent bien de l’émergence d’une possibilité nouvelle et collective d’agir et de créer. Elles permettent aux opérateurs engagés dans une action collective de mettre en forme l’agencéité collective c’est-à-dire d’être en mesure collectivement de faire quelque-chose autour d’un but commun. Trois éléments fondateurs ont été identifiés comme nécessaire au développement des capabilités collectives, éléments qui doivent interagir : l’activité collective des opérateurs (le moteur), des structures organisationnelles adéquates (le support) et du capital social entre ces acteurs (le lubrifiant).

L’activité collective, génératrice des capabilités individuelles en capabilités collectives, a été définie par l’interaction nourrissante du travail collectif et du collectif de travail. C’est bien cette activité collective qui construit, nourrit le développement des sujets et des collectifs et constitue le moteur de l’apprentissage, de la transformation et de la performance, ressource pour l’émergence de nouvelles libertés pour les individus.

L’activité sera dite constructive si elle permet ces changements, ce qui suppose qu’elle

détienne en elle des ressources auxquelles les opérateurs auront accès et en favorise

l’exploration, mais aussi des facteurs de conversion permettant de transformer ces ressources (individuelles, collectives, technico-organisationnelles) en réalisations effectives (Falzon, 2013). L’individu et le collectif auront alors l’opportunité concrète d’accomplir ce qu’ils ont des raisons de valoriser, de réaliser un « travail bien fait » (Arnoud, 2013).

Cela suppose un environnement favorable pour que les capabilités individuelles et collectives puissent être exercées, ce que Sen décrit comme les conditions nécessaires pour qu’un droit formel devienne une capabilité réelle (Falzon & Mollo, 2009) : un environnement capacitant (Falzon, 2005a).

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Dans ces circonstances la question est bien de savoir comment mettre en place un environnement capacitant qui permette le développement d’une organisation qui puisse détenir :

- la faculté de s’organiser, de motiver et d’inciter les opérateurs du processus « chirurgie ambulatoire » à œuvrer activement à des objectifs communs c’est-à-dire développer leur capacité d’agencéité collective d’acteurs sociaux ;

- la faculté de développer les capacités d’agir et de penser de ceux qui travaillent. Cette « mise en main » est fonction des ressources individuelles et organisationnelles disponibles, mais également de la présence de « facteurs de conversion » (Fernagu-Oudet, 2012) autorisant la conversion des ressources en réalisations concrètes ;

- la faculté de s'adapter et se renouveler : faculté d'une organisation d’utiliser les connaissances, l’expertise et l’expérience requises pour agir tout en s'adaptant à des contextes fluctuants et à l'évolution du secteur pour atteindre les résultats visés. Cette organisation serait donc à même d’apprécier les besoins spécifiques en termes de ressources associées aux projets successifs de l’organisation, et donc, en cas de nécessité, soit d’accroitre ces ressources en son sein, soit de revoir les objectifs associés au projet. Il ne s’agirait plus simplement de concevoir une nouvelle organisation pour les besoins spécifiques du projet, mais une organisation visant à perdurer au-delà dudit projet, en rendant cette organisation capable de son propre dépassement, de sa propre évolution ;

- la faculté d’assurer la cohérence : faculté d'une organisation d’assurer la cohérence entre sa vision, ses stratégies et ses activités, ainsi qu'entre son mandat et son identité, tout en conciliant innovation et stabilité.

Dans cette perspective constructive, l’ergonomie doit donc faciliter le développement de cet environnement capacitant propice au développement d’une activité collective en agissant sur les conditions organisationnelles et matérielles autrement dit, proposer des environnements capacitants (techniques, sociaux, organisationnels) donnant aux individus et aux collectifs l’occasion de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences, d’élargir leurs possibilités d’action et leur degré d’autonomie, d’être efficace et de réussir (Falzon, 2005b, 2013).

L’action ergonomique qui soutient la conception de l’organisation doit être pensée, non seulement comme génératrice de solutions qui visent le meilleur compromis entre objectifs de

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bien-être et de performance (Falzon & Mas, 2007), mais aussi comme une action qui soutient le développement constant et conjoint des personnes, des collectifs de travail et des organisations.

L’enjeu pour l’ergonome, à travers son action, est alors de développer le potentiel capacitant des organisations afin qu’elles contribuent simultanément et de manière pérenne à l’amélioration du bien-être des salariés, au développement des compétences et à l’amélioration de la performance.

Cela suppose pour l’ergonome de mobiliser dans la conception participative de l’organisation, le développement de méthodologies d’intervention qui favorisent et soutiennent :

- la disponibilité des ressources effectives et potentielles des individus et des collectifs de travail pour les rendre mobilisables,

- les conditions organisationnelles, techniques, sociales, etc., permettant aux ressources détenues par le collectif de travail de s’actualiser, de se transformer et de devenir « capabilité »,

- la conversion de ces ressources collectives mobilisables en capabilités collectives pour la mise en œuvre d’une action de transformation de la situation réelle en situation future réélaborée collectivement qui soit capacitante.

Deux questions se posent alors :

- comment l’intervention ergonomique peut-elle permettre la construction d’un environnement capacitant propice au développement d’une organisation capacitante ?

- Quelles sont les implications en termes de méthodologie d’intervention et de compréhension à finalité ergonomique ? Et quel rôle l’intervention ergonomique peut-elle jouer pour accroître les ressources et leur conversion en capabilités ?

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Chapitre 4. Le terrain de recherche

Cette recherche-intervention a été conduite dans un centre hospitalier universitaire. Elle s’appuie sur une intervention ergonomique de (re)conception de l’organisation du processus de « chirurgie ambulatoire ». C’est un processus de soin contraint par le temps (moins de 12 heures d’hospitalisation) et conçu sur des principes qui différent des modalités d’hospitalisation traditionnelle ce qui en fait sa spécificité (tableau 3) :

Tableau 3 : Les spécificités de l’hospitalisation traditionnelle et de la chirurgie ambulatoire

1. La « chirurgie ambulatoire » : un processus