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Lors des entretiens avec les chirurgiens, l’existence d’une variabilité des critères retenus pour décider ou non d’opérer un patient en chirurgie ambulatoire avait pu être relevée. Ce choix est une étape clé car il conditionne l’entrée ou non du patient dans le processus de chirurgie ambulatoire. Nous avons cherché à nous intéresser à cette variabilité et aux critères d’éligibilité retenus (ou non) pour décider d’une intervention en chirurgie ambulatoire. Pour se faire, une méthode d’analyse plus systématique et provoquée a été mise en œuvre qui a consisté à proposer des cas fictifs et réalistes que les chirurgiens devaient traiter à haute voix.

La simulation a été choisie car l'observation d'experts en situation n'est pas toujours possible. L’obstacle majeur est que les situation particulièrement intéressantes à observer et à analyser sont des situations complexes, non nominales ou d’urgence qui, premièrement, ont peu de chance d’être rencontrées et, secondement, ne sont de toute façon pas reproductibles. Même si nous avons insisté sur le besoin d’observations effectuées sur le terrain, le recueil de données pertinentes peut aussi se faire dans des situations expérimentales contrôlées, comme la simulation. La situation de simulation est une solution qui a l’avantage de permettre d’analyser des situations complexes (choisie dans les cas fictifs construits), en contrôlant mieux les variables de la situation, bien que la critique habituelle faite à cette méthode réside dans le caractère supposé artificiel de la situation, qui peut être source d’écart éventuellement grand avec l’activité en situation.

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3.1. La construction des cas fictifs

Sur la base de scénarii établis par un chirurgien (reconnu comme expert par ses pairs) en collaboration avec l’ergonome, six cas chirurgicaux "mettant en situation" des chirurgiens en orthopédie dans des situations de chirurgie ambulatoire complexes ont été proposés. Ne pouvant réaliser cette expérimentation avec les chirurgiens de toutes les spécialités chirurgicales, la chirurgie orthopédique a été choisie pour deux raisons : pour le nombre de chirurgiens potentiellement interrogeables (18 chirurgiens) et le taux de chirurgie ambulatoire effectué dans cette spécialité (plus haut en moyenne que les autres spécialités chirurgicales) ce qui pouvait préjuger d’un intérêt pour cette modalité de prise en charge et d’un savoir-faire acquis dans ce type de prise en charge.

La phase d’élaboration des cas fictifs s’est déroulée en trois temps :

- en se fondant sur la liste des gestes marqueurs en chirurgie ambulatoire élaborée par la CNAMTS28, il a été recueilli au sein des consultations de chirurgie orthopédique des exemples de patients atteints de ces pathologies qui n’ont pas été opérés en ambulatoire mais en traditionnel. Sur la fiche de programmation réalisée par le chirurgien en consultation, il a été relevé les éléments qui lui ont permis de prendre sa décision en défaveur de l’ambulatoire ;

- en prenant en compte les critères d’éligibilité de l’ANAP, de la charte de fonctionnement des unités de chirurgie ambulatoire et les éléments relevés sur les fiches de programmation, une liste d’éléments perturbateurs a été présentée au chirurgien expert afin qu’il les valide. En ce qui concerne les recommandations des sociétés savantes, elles ont été intégrées dans les cas par le chirurgien-expert ;

- les problèmes fictifs ont été construits sur des cas cliniques chirurgicaux concrets alimentés par ces éléments perturbateurs.

Les problèmes contenaient un ou plusieurs éléments perturbateurs. Les éléments perturbateurs introduits dans les différents problèmes correspondaient à quatre types d’incertitudes sur l’éligibilité du patient en chirurgie ambulatoire :

- les critères chirurgicaux CC : même s’il n’y a pas de restriction d’acte en chirurgie ambulatoire, des pratiques différentes entre équipes ont pu être observées.

- les critères médicaux CM : les antécédents médicaux, les traitements…

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- les critères sociaux CS : l’autonomie du patient, les troubles cognitifs, l’anxiété, l’acceptation de l’acte…

- les critères environnementaux CE : l’éloignement du patient, le moyen de transport, les accompagnants…

L’ensemble des cas a été construit de manière à ce qu’ils soient réalistes, c’est-à-dire proches de ceux rencontrés habituellement dans la pratique et suffisamment généraux (au sens de connaissances générales d’un domaine) pour qu’ils puissent être traités par des chirurgiens d’expériences différentes (internes, chefs de cliniques, praticiens hospitaliers…). Cette simulation de résolution de problème a été proposée aux équipes de chirurgie orthopédie de Purpan et Rangueil.

Le tableau six présente pour chaque problème le type d’éléments perturbateurs qu’il contient :

CAS Description des problèmes Type d’éléments

perturbateurs

1 -CAS La radiographie de la cheville droite que vous voyez montre une plaque au niveau de la malléole latérale, un peu saillante dans sa partie la plus distale. Elle comprend 5 vis. La fracture est radiologiquement consolidée et le montage a permis de maintenir une réduction anatomique de bonne qualité. La face ne montre pas de diastasis tibio fibulaire, le cartilage paraît d’épaisseur égale, satisfaisante et régulière tant au niveau du dôme talien que sur les facettes malléolaires. La radiographie de profil ne montre pas de subluxation du dôme talien par rapport au pilon tibial. Tant sur la face que sur le profil, les radiographies ne montrent pas la présence de corps étrangers intra articulaires. Rendez-vous chirurgical est pris.

CM CS CE

2 CAS Une femme de 70 ans, un peu apeurée de se trouver en consultation, répète de façon assez automatique qu’elle n’en peut plus avec son pied gauche. Il est difficile de lui faire expliquer sa gêne, ses douleurs, sa perte d’autonomie. A ce propos elle explique la grande chance de sa sœur avec qui elle vit, qui elle, ne souffre de rien pourtant son ainée de 12 ans.

Ayant laissé passer cette logorrhée plaintive et confuse, on l’invite à se déchausser ce qu’elle parvient à faire avec quelques difficultés. Il apparaît un hallux valgus que l’on avait deviné sous la chaussure. La déformation nette associant l’exostose et la déviation classique ne perturbe pas le second orteil qui est rectiligne, sans griffe et non dévié. Par ailleurs il n’y a pas non plus de griffes au niveau des autres orteils.

Lorsqu’on l’examine allongée, on note un très léger épaississement cutané plantaire en regard de la tête du deuxième orteil. Interrogée elle dit ne pas avoir recours aux soins d’un podologue. Questionnée sur d’éventuelles métatarsalgies, elle n’en signale pas. Les douleurs siègent au niveau du premier rayon exclusivement.

On lui fait une proposition de cure chirurgicale de son hallux valgus après avoir consulté les radiographies qui confirment la divergence entre le premier et le second métatarsien et l’absence de grande dégradation arthrosique de la métatarso phalangienne. Elle redevient ambivalente veut bien se faire opérer mais a peur d’avoir mal, se demande si ça va marcher, craint pour les pansements, l’infection surtout fréquente dans les hôpitaux, ne veut pas rester, mais a peur de rentrer rapidement à son domicile, ne sait pas si elles pourront s’en sortir s’il y a un problème.

On l’interroge rapidement sur ses antécédents. Une légère hypertension facilement

CS CE

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CAS Description des problèmes Type d’éléments

perturbateurs équilibrée, elle ne prend pas d’anticoagulant, pas de diabète, une discrète

hypercholestérolémie. Elle n’a pas semble-t-il d’antécédents chirurgicaux. Ceci d’ailleurs lui fait exprimer à nouveau son inquiétude de « rester à l’hôpital ».

3-CAS Il s’agit d’une femme de 45 ans célibataire et habitant à Naucelle dans l’Aveyron. Elle est porteuse d’une lourde polyarthrite rhumatoïde traitée depuis de nombreuses années au CHU de Toulouse et qui jusqu’à présent n’avait pas bénéficié des traitements actuels mais est habituée à des médications au long cours anti-inflammatoires, antalgiques, méthotrexate, cortisone... Compte tenu de la longueur d’évolution (près de vingt ans) ses problèmes orthopédiques sont importants : déformations mains, genoux, poignets, subluxation cervicale C1-C2. Elle a été opérée à de nombreuses reprises et supporte de plus en plus mal les hospitalisations. Elle consulte ce jour pour une luxation douloureuse des tendons des extenseurs des 3ème, 4ème, 5ème rayons. La déformation des rayons n’est paradoxalement pas importante et vous jugez que seul un geste de stabilisation tendineux sera suffisant.

Elle ne veut pas être hospitalisée et est prête à vous signer une décharge pour sortir le jour même. Vous voulez bien adhérer à son souhait d’être opérée en ambulatoire mais vous réservez votre réponse après la consultation d’anesthésie en raison des traitements en cours.

CM CS CE

4- CAS Un homme de 75 ans consulte pour une douleur très invalidante à la partie inférieure de son mollet droit. En réalité cette douleur est apparue en deux temps. D’abord à la fin de la peinture de son grand séjour alors qu’il montait sur son grand escabeau avec à la main un pot de peinture de 10 kilos environ ; une douleur brutale de type coup de poignard, postérieure, l’a fait s’immobiliser quelques minutes. Avec précaution il est redescendu de son escabeau. Il a pu marcher en évitant de dérouler le pas. Il a appliqué une pommade qui l’a semble-t-il soulagé. Il a arrêté son bricolage mais la douleur, au cours d’un pas un peu plus ample qu’habituellement, est réapparue avec semble-t-il une acuité plus importante et surtout avec l’impossibilité de s’appuyer sur son pied droit qui donne l’impression de plus pouvoir le porter. L’examen met en évidence un point douloureux exquis à la face postérieure de sa jambe à l’union entre le tendon d’Achille en distal et le muscle jumeau médial en proximal. Malgré une sensation d’œdème dans la région traumatisée on note une déhiscence à la jonction musculo-tendineuse. L’échographie obtenue en urgence confirme la rupture partielle du tendon d’Achille dans sa partie musculo-tendineuse avec l’intégrité de la jonction du jumeau latéral et du tendon. Pour éviter une rupture totale on lui propose une réparation transcutanée de la lésion médiale, bien sûr avec une hospitalisation en chirurgie ambulatoire.

Un interrogatoire rapide retrouve, 4 ans auparavant, un antécédent d’AVC sans séquelle motrice, équilibré par un traitement type Plavix. Il signale également un diabète type 2 traité par Metformine mais assez instable et une discrète insuffisance rénale qui devrait être explorée mais il n’a pas revu son médecin traitant depuis 3 ans. Il croit avoir une TA à 16/10. Il habite la proche banlieue.

CC CM CE

5- CAS Un quadragénaire, responsable d’entreprise et professionnellement très actif, a été victime d’un polytraumatisme deux ans auparavant. Ses multiples traumatismes, crânien, thoraco-abdominal ont bien évolué spontanément mais la fracture comminutive de son fémur gauche parfaitement consolidée le fait souffrir à cause du clou centromédullaire verrouillé encore en place. En effet ce clou fait saillie dans sa partie proximale et irrite le moyen fessier (gluteus medius). On note la présence d’un ostéome modéré engainant la partie proximale du clou qu’il conviendra de réséquer. Par ailleurs l’analyse attentive de la radiographie montre la rupture des deux vis proximales au niveau de la portion latérale d’entrée de la vis de verrouillage. Ce patient est un homme pressé, qui souhaite retrouver son activité professionnelle très rapidement, vous indique être très favorable à une prise en charge en ambulatoire.

Le bilan biologique est parfait et il n’y a pas en dehors du polytraumatisme cité d’antécédent particulier.

CC CE

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CAS Description des problèmes Type d’éléments

perturbateurs une ostéotomie d’ouverture médiale de valgisation sur un genu varum

constitutionnel décompensé à partir d’un tibia courbe. Le résultat clinique est très satisfaisant : une bonne correction du varus avec un valgus résiduel à 5°, une flexion à 130°, une extension complète, un genou stable dans le plan frontal, une absence de tiroir antéo-postérieur, une fémoro-patellaire silencieuse protégée par une bonne récupération quadricipitale. Cependant, si les douleurs au niveau de l’interligne ont disparu, il persiste au niveau de la plaque d’ostéosynthèse, à la partie proximale, une douleur exquise extra articulaire en regard de la patte d’oie. La palpation au niveau du point douloureux retrouve le relief d’une des deux vis de la fixation proximale de la plaque. Il apparaît donc logique de pratiquer l’ablation de ce matériel ce d’autant que les radiographies montrent une bonne consolidation et confirment l’examen clinique avec la légère saillie d’une des deux vis proximales.

Ce patient habite dans le centre-ville de Toulouse. Il est prévu une consultation d’anesthésie au CHU. Ce patient est sportif et ne prend pas de médication particulière. Interrogé, à ce jour il ne présente pas d’antécédent médical connu. Par ailleurs il est marié et son épouse déjà à la retraite est titulaire du permis de conduire.Il paraît avoir compris tous les éléments présentés comme le montrent les questions pertinentes qu’il pose.

tous les critères d’éligibilité sont

cités et correspondent aux

recommandations

7 CAS Il s’agit d’une patiente de 43 ans, travaillant sur une chaine de confection, qui présente depuis 8 mois des douleurs typiques : sensibilité à la pression du canal, dysesthésies dans les pulpes des trois premiers doigts de la main droite et gauche de façon presque équivalente. Elle présente alors qu’elle est droitière une fonte du 1er interosseux à droite.

Elle consulte son médecin traitant pour des douleurs de plus en plus aigües. Il décide de faire pratiquer une EMG qui montre tant à droite qu’à gauche des troubles sensitifs et moteurs en faveur d’une compression du médian.

Il l’adresse à un chirurgien orthopédique qui à la lecture du dossier et de l’examen clinique diagnostique un canal carpien bilatéral à un stade chirurgical. Il est proposé à la patiente d’être opérée des deux canaux carpiens.

Au cours de la consultation la patiente indique qu’elle est célibataire et qu’elle a deux enfants de 3 et 7ans. Elle préférerait se faire opérer en une fois compte tenu de sa situation familiale.

CE

Tableau 6 : Présentation du contenu des cas fictifs en fonction des critères d’éligibilité perturbés

Par exemple pour l’analyse du cas un (voir tableau 7), le récit a été construit en présentant en premier les critères chirurgicaux qui indiquent que par rapport à l’acte, aux complications ultérieures, le choix d’une chirurgie ambulatoire serait tout à fait cohérent d’autant plus que l’acte réalisé est dans la liste des actes marqueurs de la CNAMTS. Par contre, aucun détail n’est donné sur les critères médicaux (les antécédents, les traitements..), sur les critères sociaux (autonomie du patient, troubles cognitifs, anxiété, acceptation de l’acte), ni sur les critères environnementaux (le lieu d’habitation, la présence d’un accompagnant..). Dans ce cas, les critères chirurgicaux sont conformes pour une chirurgie ambulatoire mais les critères médicaux, sociaux, environnementaux sont absents.

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Le cas deux commence par une présentation de critères qui relèvent des données sociales de la patiente (autonomie, ambivalence, anxiété) et environnementales (ne vit pas seule, accompagnée d’une sœur ainée). Les critères chirurgicaux sont présentés et sont conformes pour une chirurgie ambulatoire comme les critères médicaux. Dans ce cas, tous les critères sont présents. Les critères chirurgicaux et médicaux sont conformes. En revanche, les critères environnementaux (âge de l’accompagnant) et sociaux (anxiété et ambivalence) seront évalués par le chirurgien comme étant ou non des critères de non éligibilité.

Le tableau ci-dessous (tableau 7) décrit tous les cas fictifs en fonction des critères d’éligibilité qui sont soit absents, soit perturbés, soit incomplets (des informations sont données mais pas suffisamment pour que le critère soit complet). Un cas de référence a été introduit pour s’assurer de l’attitude ouverte des chirurgiens vis à vis du concept ambulatoire.

Cas 1 2 3 4 5 6 7 Eléments perturbateurs CM absent CS absent CE absent CS perturbé CE perturbé CM perturbé CS perturbé CE perturbé CC présent mais un traitement alternatif peut être proposé CM perturbé CE incomplet CC perturbé CE absent Cas de référence : tous les critères sont

présents et

conformes

CE perturbé

Tableau 7 : Identification des éléments perturbateurs pour chaque cas fictif

L’ordre de présentation des cas a été choisi. Les éléments perturbateurs ont été combinés de façon progressive. Lors de la mise en œuvre il a été demandé aux chirurgiens de traiter les problèmes dans l’ordre présenté.

3.2. Mise en œuvre

Les sept problèmes ont été proposés à 14 chirurgiens. Les problèmes ont été présentés aux chirurgiens sur un support papier. La même consigne a été donnée à tous les chirurgiens interrogés et elle était valable pour tous les cas : « Lire et raisonner à haute voix pour chaque cas en indiquant les éléments que vous prenez en compte pour décider ou non d’une

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intervention chirurgicale en ambulatoire. Dans les cas où l’option d’une chirurgie ambulatoire n’a pas été retenue, dans quelles conditions cela pourrait être possible ? »

La technique de « l’information à la demande » (Bisseret, Sebillotte, Falzon, 2007) a été utilisée pour parvenir aux informations prises en compte sur la situation. La technique de verbalisation simultanée du raisonnement a été appliquée en demandant au sujet de "penser tout haut" tout au long de son travail de résolution. L’ensemble des entretiens a été enregistré, retranscrit et a fait l’objet d’une analyse de contenu.

3.3. L’analyse des données expérimentales

La prise en charge chirurgicale en ambulatoire est soumis à l’arbitrage du chirurgien entre des critères chirurgicaux, médicaux, sociaux et environnementaux au moment de la consultation avec le patient. Au travers de cette simulation, il a été recherché la compréhension de :

- la variabilité des décisions et ses causes,

- les types de données chirurgicales, médicales et sociales retenus comme étant des critères d’éligibilité du patient à l’ambulatoire.

4. La mise en œuvre d’une conception participative :