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Leplat (1993) définit l’activité collective : « comme une activité dans laquelle l'exécution d'une tâche entraîne l'intervention coordonnée de plusieurs opérateurs. "Entraîne" : il s'agit d'une activité effective ; "coordonnée" : les opérateurs sont en interaction, c'est-à dire que leurs activités dépendent les unes des autres. Une activité collective n'est pas une collection d'activités individuelles sur des tâches indépendantes mais une activité où des opérateurs réalisent conjointement la même tâche, dans un même lieu, ou éventuellement dans des lieux différents » (Leplat, 1993 p. 10).

3.1. L’activité collective : couplage du travail collectif et du collectif de

travail

En ergonomie, l’activité collective a été défini comme un couplage permanent entre le travail collectif (prenant différentes formes, coopération ou collaboration, etc.) et le collectif de travail (collectif métier ou opérateur collectif) (Caroly, 2010) qui s’articulent dans la réalisation de l’activité des sujets et s’enrichissent mutuellement. Le collectif de travail se construit dans les possibilités données d’agir ensemble dans l’action et les situations de travail enrichissent le sujet d’expériences pratiques de travail collectif qui sont l’occasion de son engagement dans le collectif de travail. Le collectif de travail permet la gestion collective de situations en soutenant et favorisant la coopération plutôt que la gestion individuelle de ces situations. Il devient ainsi une ressource pour l’activité en rendant le travail collectif plus « opérant » (passage de la co-action à la collaboration) par la construction par les opérateurs de règles communes (propice à l’enrichissement du référentiel opératif commun) pour faire face à des contraintes extérieures (Caroly & Barcellini, 2013). Ainsi l’activité collective est à la fois engendrée par le collectif de travail qui accomplit le travail collectif et le travail collectif qui concourt à l’élaboration du collectif de travail.

L’activité collective, qu’elle soit commune ou conjointe, ne se construit pas grâce à la somme des différentes activités individuelles mais par « des aller-retour permanents entre l’activité

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du sujet, la mise en œuvre d’un travail collectif et le fonctionnement du collectif de travail » (Caroly & Barcellini, 2013 p 37) (figure 9).

Figure 9 : Modèle de l'activité collective (Caroly, 2011)

C’est bien la mise en œuvre d’une activité collective, couplage du travail collectif et de collectif de travail qui permet « la poursuite et l’atteinte d’objectifs de santé et de performance, d’efficacité, de développement de compétences et de valeurs propres à l’activité (sens du travail pour l’opérateur/trice inscrit(e) dans une relation d’échange avec ses collègues sur la qualité du travail dans le métier) » (Caroly & Barcellini, 2013 p 37).

3.2. L’activité collective conjointe : zone construite entre des systèmes

d’activités en interaction

Engeström (1999, 2000, 2004, 2005), dans le cadre de ses recherches sur la théorie de l’activité, définit un système d’activité20

comme un système cohérent du point de vue de l’activité orienté vers des objets, des sujets agissants par l’intermédiaire des artéfacts, et

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Engestrom (2001) a résumé les cinq principes de sa théorie de la façon suivante :

1. Prime unit of analysis: “A collective, artifact-mediated and object-oriented activity system, seen in its network relations to other activity systems, is taken as the prime unit of analysis” (p. 136).

2. Multi-voicedness: “An activity system is always a community of multiple points of view, traditions and interests” (p. 136).

3. Historicity: “Activity systems take shape and get transformed over lengthy periods of time. Their problems and potentials can only be understood against their own history” (p. 136).

4. Contradictions: Contradictions play a central role as “sources of change and development…[They] are historically accumulating structural tensions within and between activity systems” (p. 137).

5. Possibility of expansive transformations: “An expansive transformation is accomplished when the object and motive of the activity are reconceptualized to embrace a radically wider horizon of possibilities than in the previous mode of activity” (p. 137).

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organisés collectivement au sein d’une division du travail, des règles qu’ils emploient et de leur communauté (Figure 10). Son approche de l’activité de travail permet de mieux appréhender l’articulation entre collectif de travail et travail collectif.

Figure 10 : Modélisation d’un système activité, d’après Engeström (2005 p. 30)

Dans ce modèle, le sujet représente l’acteur (ou un groupe d’acteurs « opérateur collectif ») impliqué(s) dans l’activité. Le sujet (ou les sujets) appartient à une communauté de personnes dont l’activité a un objet identique (communauté d’intérêts, de pratiques ou de culture). L’objet (objectif de réussite de la mission) constitue la cible et la transformation de l’objet de l’activité en résultat constitue le mobile de l’activité. Le modèle présente une flèche bidirectionnelle entre l’objet et les résultats, les résultats influencent également l’objet. Pour y parvenir des instruments, des artefacts matériels ou symboliques (dont le langage), sont à la disposition de l’acteur permettant une médiation entre le sujet et l’objet de l’activité (Venturini, 2012). Le sujet n’est donc pas en relation directe avec l’objet, mais indirectement par l’utilisation d’outils. Deux formes de médiation peuvent être soulignées (Rabardel, & Béguin, 2005) :

- la médiation réflexive qui renvoie à la création de relations entre les artefacts et le sujet, et comment le sujet utilise ces artéfacts comme aide. Un exemple serait la manière dont les gens emploient des codes de couleur dans l’utilisation d’un logiciel afin de mémoriser l’état d’un processus en cours ;

- les médiations interpersonnelles concernent les relations médiatisées avec les autres. Un exemple serait des programmes informatiques permettant des développements à partir de travaux précédents d’autres personnes.

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Deux autres sources de médiation sont également identifiées. Les règles explicites ou tacites (normes, conventions, pratiques de travail, relations sociales - « héritage culturel » propre à la communauté) médient les interactions entre sujet et communauté ; la division du travail (organisation que la communauté se donne pour satisfaire l’objet de l’activité en distribuant les rôles et les responsabilités) médie les relations entre sujet et objet de l’activité.

Le système d’activité est dynamique. Les différents éléments s’influencent mutuellement. Ils peuvent entrer en contradiction les uns avec les autres ou avec d’autres systèmes d’activité, conduisant à des ajustements et des évolutions, ce qui permet l’émergence possible d’un système d’activité collective propice au développement continu des acteurs et des pratiques (Engeström, 2000). De plus, les systèmes d’activité ne sont pas isolés les uns des autres et vont entrer en interaction pour atteindre les objectifs de réussite de leur mission et atteindre collectivement l’objectif global fixé par le processus dans lequel ils sont engagés. Les équipes ne font pas partie d’un système d’activité unique mais représentent des intérêts dans plusieurs systèmes d’activité en interaction qui se chevauchent. Autrement dit, il s’agit du travail conjoint21 de sujets interdépendants agissants en interaction, les moyens qui servent à exécuter ce travail existent par l’intermédiaire d’un « objet frontière » ou d’une interface commune (Nardi, 1996) et c’est l’exercice professionnel conjoint (le travail collectif) qui constitue des systèmes d’activité en interaction (Owen, 2008) (figure 11). La notion d’interaction renvoie à la nécessité pour toute action en situation collective d’être raccordée aux autres d’une manière dynamique et contextualisée et non pas seulement par des pré-agencements figés de fonctions, de procédures et de machines. Les interactions entre les êtres humains et leur environnement sont analysées en termes de développement : « Activity Theory sees all practices as a result of certain historical developments under certain conditions and as continuously re-forming and developing processes » (Bannon, 1997).

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Activité collective conjointe

Figure 11 : Les composants des systèmes d’activité en interaction (inspiré d’Owen, 2008)

Une telle représentation de l’activité permet de saisir simultanément le travail d’un individu ou d’un collectif restreint et son inscription dans une organisation en tenant compte du rapport règles-communauté dans la relation sujet/collectif/système (Béguin & Cerf, 2004 ; Caroly, 2010).

Par exemple pour que le patient soit transporté au bloc opératoire, l’équipe de l’unité de chirurgie ambulatoire (collectif inter-métiers) et l’équipe brancardier (collectif métier) doivent entrer en interaction pour mener à bien le résultat attendu par les deux équipes : le patient doit arriver au bloc à l’heure prévue. Entre ces deux équipes les actions sont médiées par un logiciel commun de programmation des transports pédestres, par le téléphone ou encore en face à face. Les « transports » (constitué de la demande d’un trajet jusqu’à la réalisation du trajet point demandé) sont réglés par une charte entre le service de transport pédestre et les services d’hospitalisation incluant la division du travail entre les différents équipes contribuant au transport. Chaque équipe a ses propres règles et appartient à un système d’activité avec des objectifs propres : l’équipe de l’unité de chirurgie ambulatoire prépare le patient pour qu’il soit prêt lors de l’arrivée du brancardier et l’équipe de brancardage anticipe l’ensemble des courses pour pouvoir libérer un brancardier au moment de la demande de la course. L’interaction des systèmes d’activité au travers de la coopération et de la coordination des deux équipes (coopération qui peut avoir plusieurs formes être transversale, horizontal…) permet la réussite de l’objectif final : l’arrivée à l’heure du patient au bloc opératoire.

Résultats de l’objet partagé : les accomplissements

Développement de l’agencéité collective : Objet partagé au travers de l’activité collective

Frontière des systèmes d’activité : espace d’interactions (collaboration, coordination…)

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Dans notre exemple il est à noter que, si la focale d’observation de l’activité était plus large (se situant au niveau du processus global chirurgie ambulatoire), l’objectif final des deux équipes à ce moment donné du processus de chirurgie ambulatoire n’est encore qu’un objectif intermédiaire pour les autres équipes engagées.

3.3. Vers un développement de l’activité collective : déploiement de

l’agenceiété collective et émergence des capabilités collectives

Dans le travail, les opérateurs - à la fois individu, agent et acteur social- se construisent et se développent dans l’interaction issue de l’activité collective. L’activité collective à travers l’exercice de l’agencéité collective promeut la transformation des capabilités individuelles en capabilités collectives, et c’est bien cette activité collective qui construit et permet de nourrir le développement des sujets et des collectifs et constitue le moteur de l’apprentissage, de la transformation et de la performance, ressource pour l’émergence de nouvelles libertés pour les

individus. L’activité est dite constructive si elle permet ces changements ce qui suppose

qu’elle détient en elle des ressources auxquelles les opérateurs auront accès et en favoriser

l’exploration mais aussi des facteurs de conversion à leur disposition pour transformer ces ressources – individuelles, collectives, technico-organisationnelles en réalisations effectives (Falzon, 2013). L’individu et le collectif auront alors l’opportunité concrète d’accomplir ce qu’ils ont des raisons de valoriser, de réaliser un « travail bien fait » (Arnoud, 2013). Mais cela suppose un environnement favorable pour que les capabilités individuelles et collectives puissent être exercées, ce que Sen décrit comme les conditions nécessaires pour qu’un droit formel devienne une capabilité réelle (Falzon & Mollo, 2009) : un environnement capacitant (Falzon, 2005b).

Dans cette perspective constructiviste, l’ergonomie doit donc faciliter le développement des capabilités collectives en agissant sur les conditions organisationnelles et matérielles autrement dit proposer des environnements capacitants (techniques, sociaux, organisationnels) afin de fournir aux individus et aux collectifs l’occasion de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences, d’élargir leurs possibilités d’action et leur degré d’autonomie, d’être efficace et de réussir (Falzon, 2005b, 2013).

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L’objectif pour l’ergonome est de favoriser et de promouvoir les facultés capacitantes de l’organisation, source de développement du pouvoir d’être et de faire de ses acteurs et ressource pour une modification plus durablement de son fonctionnement dans son ensemble. Ainsi la transformation de l’organisation relève simultanément d’une adaptation des activités humaines, individuelles et collectives, et de la structure.

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Deuxième Partie :