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La méthodologie privilégiée pour ce travail relève principalement d’une démarche ethnographique. Celle-ci a convoqué les observations, les entretiens exploratoires et semi-directifs et l’analyse documentaires. Les trois techniques ont été utilisées conjointement et non successivement ce qui a permis de mieux appréhender le « problème lapin » dans toute sa complexité et de confronter les données recueillies.

Concernant les entretiens, plusieurs formes ont été mises en œuvre : semi-directifs, conversations informelles ou encore visites commentées.

Plusieurs entretiens de type semi-directifs ont été menés. Le guide d’entretien est articulé autour des thématiques suivantes : chaque entretien commençait par une demande de présentation pour cerner le parcours d’origine, l’arrivée des informateurs au sein du parc et le travail réalisé. Ensuite il s’agissait d’appréhender, depuis leur prise de poste, la manière dont le lapin s’est immiscé dans leur travail (passeurs, documents, pratiques, expériences). Parallèlement les relations que l’enquêté entretient avec le lapin méritaient d’être identifiées. Enfin, l’opinion de la personne sur les actions de gestion du lapin, son efficacité et plus globalement la gestion des parcs a été discutée.

Les entretiens ont requis une diversité d’enquêtés jusqu’à obtenir un effet de saturation des données. Ce travail a nécessité la réalisation de 26 entretiens semi-directifs. Parmi eux, au sein des parcs : 2 chefs de service, 2 chefs de service adjoints, 5 techniciens, 3 chargés d’accueil, 2 chefs de brigade de gardes, 1 animateur en environnement, 1 technicien de gestion de la faune. Au sein de l’ODBU, les entretiens ont été menés auprès de : la directrice de la DNPB, 1 responsable du bureau des études générales, 1 chargé du pôle gestion et aménagement, 1 ancien membre de l’ODBU chargé du pôle connaissance scientifique. Mais aussi d’anciens membres, 1 paysagiste concepteur de parc, 1 ancien expert convoqué sur la question du lapin, 2 anciens techniciens du parc du Sausset, 1 ancien directeur de parc.

S’y ajoutent trois entretiens téléphoniques avec des techniciens de fédérations départementales des chasseurs. Ces entretiens m’ont permis d’avoir une vision en dehors des parcs et d’obtenir un minimum d’information sur le devenir des lapins une fois capturés.

59 L’accès au terrain s’est négocié par l’intermédiaire de l’Observatoire de la Biodiversité Urbaine de Seine-Saint-Denis et de la direction des parcs permettant la prise de contact avec des personnes ressources. Le contact avec certains informateurs s’est fait également via le conseil des personnes enquêtées. On peut donc distinguer deux modalités d’accès, l’un par l’administration et l’autre via les informateurs. Pour éviter les biais liés à l’orientation des enquêtes vers tel ou tel acteur, le croisement des modes d’accès a permis d’enquêter un nombre de personnes suffisamment diversifié.

L’ensemble des entretiens se sont passés de visu autour d’une table, à l’exception de deux qui ont dû s’effectuer par téléphone. L’un pour des questions de distance, l’autre pour des questions de disponibilité. La durée des entretiens en salle pouvait aller de quarante-cinq minutes à trois heures maximum. Cinq des entretiens en salle ont été suivis d’une visite sur le terrain : quatre avec des techniciens, et une avec la direction du parc du Sausset. J’ai également réalisé une visite commentée de terrain au parc du Sausset avec un expert en mammifères du Muséum national d’Histoire naturelle a été mise en œuvre et permis d’avoir un point de vue extérieur. Une visite en dehors des parcs effectuée avec une cheffe de service du parc de l’île-Saint-Denis qui met très rarement en œuvre une gestion du lapin. Une visite accompagnée par le service technique dans le parc Ballanger, qui jouxte le parc du Sausset. Une visite de terrain dans des parcs de la métropole de Lille rencontrant des problématiques similaires avec le lapin. Ces visites permettent de prendre du recul vis-à-vis de la gestion du lapin dans les parcs pour éviter le confinement de l’analyse.

Bien sûr, les entretiens et les observations s’accompagnent de conversations informelles avec les gardes, les agents d’accueil, les animateurs, les employés d’entreprise d’espaces verts, conversations qui participent à la compréhension générale et à l’enrichissement du carnet de terrain.

Il faut également mentionner deux réunions collectives avec les membres de l’ODBU et deux représentants des parcs. Celles-ci ont donné l’occasion de présenter l’avancée du travail et de discuter des résultats et des perspectives. Elles ont aussi permis d’observer les réactions et l’évolution des réflexions.

Dix-huit sorties de terrain pour effectuer des observations participantes ont été mises en œuvre. Elles ont permis de recueillir des données concernant les méthodes de régulation et de comptage de lapins et de confronter le discours et les pratiques.

60 Parmi ces sorties, la participation à treize comptages de lapins, douze au parc du Sausset et une au parc Georges-Valbon, une matinée d’accompagnement des fauconniers sur le parc du Sausset, deux journées de furetage, une matinée d’animation sur le thème de la gestion du lapin suivie d’une journée de panneautage. Ces observations permettent de rendre compte de l’énergie que nécessite un dispositif de contrôle et de discuter des limites techniques.

J’ai également effectué un travail de terrain exploratoire auprès des usagers des parcs en participant à une matinée de marche nordique regroupant une vingtaine de personnes. L’objectif était pour moi de comprendre ce qui motivait leur visite, à quels éléments du parc ils prêtaient attention et si le lapin était mentionné spontanément ou non de la discussion.

Parallèlement aux entretiens et aux observations, le travail de collecte d’informations écrites par consultation des archives administratives (en particulier, celles, conséquentes, du parc du Sausset qui dispose d’un fond particulièrement bien conservé sur une longue durée), a représenté un travail important de l’enquête. Les documents recherchés et traités sont très divers : courriers administratifs, lettres de service, courriers divers, devis, procès-verbaux de gardes, courriels, conventions d’associations, d’entreprises (dont celles non abouties), articles de presse locale, photographies, relevés de terrain, tableurs Excel, données cartographiques, bilans annuels de prestataires de service, expertises de bureaux d’étude, plans de gestion, comptes rendus de réunion de service, arrêtés préfectoraux, lettres de réclamation de particuliers ou d’associations, mémoires universitaires, rapports naturalistes.

Enfin, nous avons réalisé des ateliers de groupe dans l’objectif de permettre une transformation du problème. Le premier est inspiré de la méthode « d’analyse en groupe » développée par Michel Mercier (2007). Cet atelier déroulé en juin 2017 avec une quinzaine de participants nous a permis de valider de manière collective l’historique produit mais surtout de dégager les convergences et les divergences d’interprétation de ce problème. La logique de transformation du conflit dans ce modèle n’assure pas une garantie de paix, mais la rencontre et la mise en visibilité des positionnements est un point de départ fondamental dans la reconsidération du « problème lapin ».

61 A la suite de l’analyse en groupe, un deuxième atelier de prospective fut proposé dans le but construire trois scénarios de gestion du lapin envisageables. Cette méthodologie sera traitée plus spécifiquement dans la partie trois.

a) Le traitement des données

J’ai effectué la retranscription intégrale de 19 d’entre eux (les autres entretiens n’ont pas pu faire l’objet d’enregistrement, soit par non autorisation de l’enquêté, soit pour des raisons pratiques de terrain). J’ai traité pour cela mes 26 entretiens et mes documents de manière qualitative grâce à une analyse thématique. La retranscription intégrale des entretiens m’a permis de travailler de manière inductive via le logiciel sonal, qui permet une meilleure identification des corpus de texte. Avec le logiciel sonal, le regroupement et le recoupement des thématiques permettent une comparaison plus rapide. Une cinquantaine de thématiques ont pu être dégagées dans les entretiens (ex : Rapport au lapin, dégâts, marchés publics, usagers, myxomatose, arbres, connaissances, natura 2000, changement de mode gestion…)

Toutes les informations récoltées lors des entretiens ont pu être recoupées avec les documents d’archives pour compléter, préciser ou comparer les informations orales et écrites.

b) Posture d’enquête

La méthode ethnographique réclame un temps nécessaire consacré à l’analyse des présupposés culturels et autres a priori de l’enquêteur fondés sur son histoire personnelle. A ce sujet, l’anthropologie contemporaine a dû affronter des questions méthodologiques notamment lorsque les anthropologues et ethnologues ont travaillé sur leur propre culture. Question souvent débattue dans les années 80, elle est aujourd’hui moins discutée compte tenu de la multiplication des études endo-ethnologiques. Néanmoins « l’étrange familiarité » (Ouattara, 2004) que cela peut provoquer n’a rien d’anodin car elle questionne la relation au sujet et donc la capacité du chercheur à décentrer sont regard durant l’enquête. De manière générale la réalisation d’une auto-analyse (je reprends ici le terme de Bourdieu) est nécessaire et fait partie du double travail de l’enquête, à savoir le travail de terrain et travail sur soi.

62 L’intérêt d’une telle démarche doit être compris au regard des possibles biais induits lors de la récolte des données, leur analyse et la généralisation des résultats.

J’ai souhaité faire ce travail réflexif car je possède une formation professionnelle très proche de celles de mes informateurs et le lapin de garenne n’est pas un animal anodin pour moi, l’ayant chassé durant mon adolescence. Je n’ai pas choisi l’immersion longue ou le fait de travailler dans les locaux de l’ODBU ou des parcs pour plusieurs raisons. En plus de la difficulté d’ethnographier sa propre culture, je possédais dans de nombreux cas la même culture professionnelle que mes informateurs. J’ai eu un bac agricole avec une spécialisation en aménagement et gestion forestière, et un BTS en gestion et protection de la nature. Je suis venue à l’anthropologie via une validation des acquis dans le cadre d’une reprise d’étude après avoir travaillé cinq ans dans le domaine de l’écologie en tant que technicien. J’ai dû donc me détacher ou me « décentrer » de l’apprentissage que j’ai reçu en écologie ou en gestion des espaces ; et la distance avec le terrain et l’immersion dans un laboratoire de recherche m’y ont aidé. De prime abord, la connaissance personnelle du milieu d’enquête peut être considérée comme un atout dans la possibilité d’intégration qu’elle offre dans le corps social. Mais la familiarité avec le vocabulaire employé par exemple chez les techniciens peut entrainer un manque de questionnement sur toutes les déclarations implicites. Cette intimité entraine l’omission d’une question, puisque l’on préjuge de la réponse, ou stimule la prise de parole de l’enquêteur ce qui peut masquer les silences pourtant révélateurs. Il peut aussi vous « trahir », dans le sens ou l’emploi de certains termes techniques et du jargon des gestionnaires ou chasseurs renseignent vos appartenances ou votre avis sur la question.

Cela ne veut pas dire qu’il faille brider la conversation mais plutôt garder une attention lors des entretiens à ne pas présupposer trop rapidement la réponse et glisser dans l’ethnocentrisme. La retranscription intégrale des entretiens a cet avantage de pouvoir reproduire l’écoute et la lecture en remarquant les questions pouvant être trop orientées. Il est également pour moi nécessaire de souligner les difficultés de positionnement en recherche interdisciplinaire et les marges d’interventions possibles dans le cas d’une enquête en situation conflictuelle. En effet, l’ethnologue dont l’une des missions premières est de rendre compte de la multiplicité et de la complexité des formes de sociétés n’est pas un médiateur.

63 Je n’ai pas de posture « idéale » à proposer mais j’aurais tendance à vouloir souligner la complexité méthodologique et épistémologique en distinguant plusieurs épreuves dans cette thèse ;

1- Avoir une culture commune avec les personnes enquêtées. 2- Etre doctorant en situation d’interdisciplinarité

3- Etre doctorant face à une demande d’expertise en situation conflictuelle

Dans la mesure où j’appartenais au Museum national d’Histoire naturelle j’ai été très vite invité à mener un travail d’expertise. Est-ce pour autant la finalité d’un travail de doctorat ? Par ailleurs, la réalisation d’une ethnographie préalable au sein du parc Georges-Valbon dans le cadre d’une thèse en anthropologie rend le terrain non pas plus difficile d’accès mais confronte l’ethnologue à des informateurs plus avertis sur le déroulement d’un entretien et les finalités d’une recherche ethnographique. De plus, l’attente des gestionnaires en termes d’applicabilité des résultats était forte.

Pour toute ces raisons trouver la « bonne » distance fut complexe pour moi. Néanmoins, j’aurais tendance à penser que le processus d’enquête décide parfois pour l’ethnologue, et qu’il est impossible d’en maitriser toute les composantes. A la fin de ce travail je reviendrai sur ces questions pour voir ce qui en résulte après le travail d’analyse et d’écriture.

c) Plan de thèse

Cette thèse se présentera sous trois grandes parties :

Une première partie retracera l’historique de gestion du lapin de garenne dans les parcs. Cet historique permet de voir comment le « problème lapin » s’est construit. Il doit être pensé comme support de réflexivité et point d’articulation entre les données sociologiques et les connaissances en écologie (Leblan, 2017).

La deuxième partie de cette thèse explicitera la nature des controverses autour de cette gestion pour mettre en lumière les points de résistance qui donnent à cette problématique un caractère aussi récalcitrant.

Une troisième partie est centrée sur les possibilités de transformation du « problème lapin ».

64 Elle présente la mise en place de deux ateliers de groupe : une analyse en groupe permettant d’énoncer les divergences et les convergences d’interprétation du « problème lapin », puis un second atelier de constructions de scénarios sur la mise en évidence des transformations possibles du problème.

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