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Chapitre 2. État de l’art

2.7. Méthodes de suivi des dunes littorales

Les dunes littorales sont des environnements très dynamiques dont les caractéristiques géomorphologiques et écologiques peuvent évoluer sur des échelles temporelles extrêmement courtes (à l’échelle journalière) tout en affectant la dynamique littorale sur plusieurs années. Les mesures de terrain apparaissent ainsi comme une composante essentielle afin de mieux comprendre la dynamique des dunes littorales sur diverses échelles spatiotemporelles, permettant ainsi une meilleure gestion et/ou protection de ces environnements. Cependant, les dunes littorales sont aussi très fragiles et abritent un écosystème unique qu’il convient de perturber le moins possible. Ainsi, il est primordial de développer ou d’utiliser des méthodes de suivi non intrusives afin de préserver au mieux ces systèmes.

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2.7.1. Suivis morphologiques

L’évolution morphologique des systèmes dunaires peut être appréhendée par différentes techniques regroupées à travers des méthodes de mesures (1) in situ, (2) LiDAR terrestre ou aéroporté, ou encore (3) optiques.

Une des techniques de mesure in situ des plus simples consiste à planter dans le sol des tiges rigides graduées afin de mesurer les changements d'altitude relative liés aux processus éoliens sur une période temporelle définie (Figure 2.24.a). Elles ne mesurent que l’altitude ponctuelle, mais peuvent s’avérer efficaces lors des événements extrêmes où il est impossible d’utiliser d’autres moyens de suivi (Andrade et Ferreira, 2006 ; Łabuz, 2015). L’utilisation de niveau ou théodolite (simple, à laser ou électronique) avec une échelle graduée permet aussi de mesurer les changements d’élévation relative sur de petites surfaces ou le long de transects traversant des structures en reliefs (e.g., crête de dune, caoudeyres) entre plusieurs suivis consécutifs (Labuz, 2009 ; Hesp, 2013). Enfin, les techniques utilisant la Géolocalisation et Navigation par un Système de Satellites (GNSS) enregistrent la position d’un point de mesure en trois dimensions par triangulation entre les satellites. Plus il y a de satellites connectés, plus la précision sera élevée. Dans le milieu littoral, les mesures par système GNSS différentiel (DGPS) sont le plus souvent utilisées (Pardo-Pascual et al., 2005 ; Dornbusch, 2010 ; Lee et al., 2013) (Figure 2.24.b). Celui-ci implique la comparaison des mesures données par le réseau de satellites sur deux récepteurs, un fixe et un mobile. Le récepteur fixe est placé sur une position connue et sert de base de référence pour corriger la position du récepteur mobile en temps réel (RTK) ou en post-traitement (PPK). Ce système permet d’obtenir une précision horizontale et verticale inférieure au centimètre. Il peut être utilisé pour mesurer l’évolution de points, de profils ou même de zones par interpolation. Enfin, pour une couverture spatiale plus importante, il est possible de monter le récepteur sur un véhicule tout terrain (e.g. un quad) afin, par exemple, d’étudier les évolutions morphologiques d’une plage (Castelle et al., 2020). Cependant, ces mesures in situ présentent une emprise spatiale assez limitée par rapport à l’échelle des systèmes dunaires et peuvent s’avérer intrusives pour l’environnement. C’est pourquoi il peut être nécessaire de privilégier des méthodes par télédétection.

Les méthodes utilisant la technologie LiDAR se basent sur l’émission d’une série d’impulsions laser à haute fréquence qui est ensuite réfléchie sur un objet. La distance entre l’émetteur et l’objet est déterminée par le temps de trajet de l’impulsion laser. Les objets réfléchissant le faisceau laser sont référencés grâce à la position du capteur d'acquisition, enregistrant ainsi des millions de points. Ces méthodes sont très largement utilisées dans le suivi des zones littorales et permettent de générer des modèles numériques de terrain 3D avec une résolution spatiale et une précision de l’ordre de 0,1 m tout en pénétrant à travers la végétation (Donker et al., 2018 ; Le Mauf et al., 2018 ; Ruessink et al., 2018). L’utilisation du LiDAR aéroporté permet des suivis sur de grandes échelles spatiales avec une haute résolution et précision, mais son coût très important et le long traitement des données empêche les suivis

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à haute fréquence (mensuelle ou saisonnière). Enfin, les suivis utilisant un LiDAR terrestre sont moins chers, mais non adaptés à l’étude des systèmes littoraux à cause de leur faible couverture spatiale et de leur intrusion dans l’écosystème (Figure 2.24.c). Ainsi, si les méthodes de télédétection par LiDAR permettent d’étudier les évolutions morphologiques des systèmes dunaires à haute précision et large échelle spatiale, les suivis à haute fréquence restent difficiles à mettre en place à cause de coûts et temps de traitement prohibitifs. C’est pourquoi, afin de pallier à ces inconvénients, des méthodes moins onéreuses et plus rapides à mettre en place ont été développées.

Figure 2.24. Photographies de différents instruments permettant des suivis morphologiques des

systèmes dunaires avec (a) des piquets gradués (Łabuz, 2016), (b) un système de GPS différentiel avec la base à gauche et le récepteur mobile à droite (Ph. Gold Mechanical & Electrical Equipment Co,

Ltd), (c) un LiDAR terrestre ou TLS (Ph. M. Jaud).

Ces dernières années, le développement de logiciels performants de photogrammétrie a permis d’appréhender d’une nouvelle façon les évolutions morphologiques des littoraux en trois dimensions à l’aide de photographies en deux dimensions (Brunier et al., 2016 ; Delacourt et al., 2009 ; Bryson et al., 2013). Ces logiciels se basent sur le principe de la vision stéréoscopique. Pour voir un objet en relief, il est nécessaire d'acquérir une image de cet objet, mais sous deux angles de vue différents. C'est le même principe que la vision humaine, l'œil gauche regarde sous un angle, l'œil droit, décalé en général de 6 à 7 cm regarde sous un autre angle, puis l’information est transmise au cerveau qui recompose une seule image en relief (Figure 2.25.a).

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Figure 2.25. Principe de la vision stéréoscopique (a) permettant de reconstruire un relief avec deux

images et (b) utilisé par les logiciels de photogrammétrie pour reconstruire une scène en trois dimensions à partir d’un jeu d’images (Nissen et al., 2019, modifié).

Ainsi, le couplage entre les logiciels de photogrammétrie et les algorithmes de structure from

motion (SfM, Structure acquise à partir d'un mouvement) permet de reconstruire un objet ou paysage en

trois dimensions grâce à plusieurs vues d’un objet fixe ou d’une scène sous différentes positions avec un niveau de chevauchement élevé (Figure 2.25.b) (Ullman, 1978). La génération de modèles numériques de terrain 3D s’effectue sous 5 étapes :

(1) L’algorithme de scale-invariant feature transform (SIFT, transformation des caractéristiques invariantes de l'échelle, Lowe, 1999) est utilisé pour identifier suffisamment de points communs entre les images afin d’établir des relations spatiales entre l’emplacement des images originales dans un système de coordonnées spatiales 3D arbitraire. Cette identification automatique permet la reconstruction simultanée de la géométrie de la scène, de la position et de l’orientation de la caméra.

(2) Les paramètres individuels des caméras, comme leurs positions, orientations, longueurs focales, sont calculés par des ajustements successifs (appelés bundle adjustment). Cette seconde étape permet ainsi la génération d’un nuage de points clairsemé dans un système de coordonnées arbitraires grâce aux emplacements 3D des points caractéristiques (Figure 2.26.a). Le terme Structure from Motion tire son origine de cette étape, avec la structure de la scène qui fait référence à tous ces paramètres et le mouvement qui fait référence au déplacement des caméras.

(3) Un nuage de points plus dense et une structure 3D sont ensuite générés par des techniques de correspondance multi vue stéréo (MVS, multiviewstereo matching, Furukawa et al., 2010 ; Rothermel et al., 2012) (Figure 2.26.b).

(4) Le nuage de points précédemment généré peut ensuite être référencé dans un système de coordonnées géographiques. Cette étape s’effectue par une transformation de similarité 3D (utilisant

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sept paramètres, dont des rotations, des translations et des facteurs d’échelle) basée sur un minimum de trois points de contrôle au sol (GCP, Ground Control Point) mis en place sur le terrain avant l’acquisition des images. Il est préférable de déployer un réseau de GCPs, avec une certaine redondance spatiale, possédant un important contraste par rapport au terrain, un centre bien défini, et de mesurer précisément leurs positions avec un GPS différentiel. Ces positions sont ensuite sélectionnées manuellement sur les images avant une procédure d’optimisation qui permet de calculer les paramètres intrinsèques de calibrage de la caméra afin d’augmenter la précision du nuage de points. Il est aussi possible de référencer le nuage de points directement si la position de la caméra et les distances focales sont connues (position GPS de la caméra dans les EXIF des photos), ce qui est plus simple à mettre en place que la méthode avec des GCPs, mais donnera un modèle final avec des erreurs spatiales plus importantes.

(5) Enfin, il est possible d’exporter différents produits référencés de la scène acquise sous forme de nuage de points clairsemé (Figure 2.26.a), dense (Figure 2.26.b), d’orthomosaïque (Figure 2.26.c), de modèle numérique de terrain (Figure 2.26.d), ou encore de modèle 3D maillé (Figure 2.26.e) et/ou modèle 3D maillé avec plaquage de texture (Figure 2.26.f).

Les techniques de photogrammétrie peuvent être également utilisées avec les photographies acquises par drone (Mancini et al., 2013 ; Gonçalves et Henriques, 2015 ; Brunier et al., 2016 ; Turner et al., 2016 ; Guisado-Pintado et al., 2016). Même si la réalisation des suivis est fortement dépendante des conditions météorologiques (incapacité de voler sous la pluie et/ou vents trop violents), cette technique représente une alternative moins coûteuse que les vols aéroportés, plus facile à mettre en œuvre, non intrusive pour l’environnement avec la possibilité de suivis à haute fréquence (à l’échelle événementielle) sur des échelles spatiales supérieures au kilomètre.

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Figure 2.26. Exemples de produits créés à partir d’un jeu d’images drone du système dunaire du

Trencat (Sud-Ouest, France) avec (a) un nuage de points 3D clairsemé, (b) un nuage de points 3D dense, (c) une orthomosaïque, (d) un modèle numérique de terrain, (e) un modèle 3D maillé et (f) un

modèle 3D maillé avec plaquage de texture.

2.7.2. Suivis écologiques

La végétation au sein des dunes littorales joue un rôle majeur dans leur développement tout en fournissant d’importants services écosystémiques (Martinez et al., 2013). Elle se répartit selon sa tolérance aux différentes sources de stress et de perturbation créant différentes communautés visuellement distinctes et généralement reliées aux unités morphologiques dunaires. Afin de suivre l’évolution de la végétation à travers différentes échelles spatiotemporelles, il existe deux grandes familles de suivi, celles impliquant un échantillonnage in situ et celles utilisant des méthodes de télédétection.

L’échantillonnage de la végétation sur le terrain est généralement réalisé à l’aide de quadras (Cox, 1990). Ce dernier délimite une zone dans laquelle le couvert végétal, la densité ou encore la fréquence des espèces peuvent être estimés en comptabilisant le recouvrement des plantes présentes. Le couvert végétal correspond à la projection verticale de la végétation sur le sol lorsqu'elle est vue de

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dessus (Bonham, 1989). La couverture totale désigne le pourcentage relatif de la surface du quadra couverte par des individus d'une espèce particulière et peut atteindre plus de 100 % lorsque les couverts spécifiques se chevauchent. La densité ou richesse spécifique correspond au nombre d’espèces de plantes dans chaque quadra. La fréquence d’une espèce est donnée par le nombre moyen de fois où elle est rencontrée (nombre total divisé par la surface, en m², ayant servi à la mesure rapportée à 100, de façon à obtenir un pourcentage). L’organisation des quadras au sein du site d’étude peut être aléatoire, suivre une organisation régulière ou subjective. La taille appropriée pour un quadra dépend des plantes à échantillonner et du recouvrement total de la végétation. Elle doit être suffisamment grande pour inclure un nombre significatif d'individus, mais suffisamment petite pour que les plantes puissent être séparées, comptées et mesurées sans duplication ou omission d'individus (Cox, 1990 ; Barbour et al., 1985). Dans le cas des plantes présentes dans les dunes littorales, des quadras entre 1 m² et 2 m² sont suffisants (Forey et al., 2008). Enfin, un échantillonnage régulier (à fréquence saisonnière ou annuelle) aux mêmes emplacements de quadras à travers le site d’étude permet d’étudier la dynamique de la composition des communautés végétales. S’il existe d’autres méthodes d’échantillonnage sur le terrain, comme le plot-less sampling qui mesure les communautés végétales le long de transects (Knapp, 1984), ou la distance method qui mesure la distance entre les plantes, l’utilisation de quadras reste majoritairement la méthode la plus utilisée. Ainsi, l’échantillonnage sur le terrain permet d’obtenir la composition des communautés végétales avec une précision à l’échelle de l’espèce, mais sur des échelles spatiales limitées à la taille et à la disposition des quadras dans le milieu. Pour étudier les évolutions à plus grandes échelles spatiales, il est préférable d’utiliser d’autres méthodes utilisant des photographies aériennes ou des techniques de télédétection.

Les photographies aériennes représentent une source d’informations importante permettant d’étudier la dynamique de la végétation (Dunn et al., 1990 ; Green et al., 1993). En effet, les différentes communautés végétales étant facilement identifiables visuellement (e.g., forêt, buisson, herbe, etc.), elles étaient initialement délimitées à la main les unes par rapport aux autres (Johnston et Naiman, 1990 ; Turner et al., 1996). Cependant, cette méthode présente certaines limitations comme une précision liée à l’expérience de la personne délimitant les communautés et l’identification difficile des plantes de petite taille (<1 m). Afin de pallier à ces limitations, des méthodes analytiques basées sur le traitement d’images ont été développées (Avery et Berlin, 1992 ; Carmel et Kadmon, 1998), mais peu d’entre elles ont été appliquées à l’extraction de données de végétation (Short et Short, 1987 ; Mast et al., 1997). Ces dernières décennies, l’utilisation d’images multispectrales (possédant 3 à 6 bandes spectrales) et hyperspectrales (possédant plusieurs dizaines de bandes spectrales) a montré un fort potentiel dans la caractérisation de la dynamique spatiotemporelle de la végétation littorale (Adam et al., 2010 ; Marzialetti et al., 2019 ; De Giglio et al., 2019). Si les images multispectrales permettent de caractériser les types de communautés végétales (e.g., forêt, buisson, herbe, etc.) sur une échelle spatiale de l’ordre du mètre, la discrimination à l’échelle de l’espèce végétale reste limitée malgré le développement

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d’approches hybrides (Rapinel et al., 2014 ; Medina Machín et al., 2019 ; De Giglio et al., 2019). L’utilisation d’images hyperspectrales offre toujours une plus grande précision de classification au niveau des espèces que les approches multispectrales grâce à la quantité d’informations spectrales qu’elles procurent (Hennessy et al., 2020).

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