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Chapitre 2. État de l’art

2.6. Gestion des dunes littorales

Au cours du temps, l’homme a eu d’importants impacts sur les systèmes dunaires littoraux de manière directe ou indirecte. Les premiers grands changements induits par l’activité humaine sont liés au surpâturage et à la déforestation des bassins de drainages dans les champs dunaires (Walker, 1985), dont les premières traces rapportées datent de la période romaine, notamment en Italie, avant de s’intensifier durant le Moyen Âge dans l’Europe entière (Postma, 1989). Ces activités ont entraîné une augmentation des apports sédimentaires sur les côtes et une déstabilisation des systèmes dunaires. Cette nouvelle dynamique littorale a contraint les hommes à mener certaines actions de stabilisation (Walker, 1985 ; Corona et al., 1988 ; Sherman et Lyons, 1994). En Europe, l’impact des hommes a été décrit pour la première fois entre les XIIe et XIVe siècles avec la mise en place de digues sur les côtes (Doody, 1996). Mais c’est surtout durant ces deux derniers siècles que d’importantes modifications ont été réalisées par la construction de jetées, de barrages ou la mise en place de dragages et d’extraction de sédiments fluviaux (Marsh, 1985). Ces ouvrages ont entraîné une réduction majeure des apports

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sédimentaires arrivant sur la côte au cours du XXe siècle, renversant ainsi les tendances d’accumulations passées (Nordstrom, 2000). Durant la seconde partie du XXe siècle, l’essor du tourisme balnéaire ainsi que de la construction d’hôtels et d’habitations secondaires, en plus d’avoir dégradé l’environnement, ont augmenté les enjeux et donc les risques (Cencini et Varani, 1989). Cet essor de constructions, parfois à la place même des dunes, combiné à l’érosion des plages a entraîné une réduction de l’espace disponible pour le développement ou la mobilité des dunes. Ainsi, durant le XXe siècle, l’Europe a perdu 25% de ses dunes (Delbaere, 1998), et jusqu’à 85% du reste pourrait être menacé (Helensfield et al., 2004). La gestion contemporaine des dunes littorales tente de concilier les processus naturels avec les activités humaines afin de fournir les services écosystémiques souhaités tout en garantissant la sécurité et le loisir des littoraux. Alors que l’ingénierie dure (hard engineering) concerne principalement la mise en œuvre d’ouvrages de défense (e.g., digues, épis), la gestion des dunes rentre dans la catégorie de (1) l’ingénierie douce (soft engineering) voire (2) des solutions fondées sur la nature (nature-based

solutions).

La stratégie d’ingénierie douce implique un fort contrôle des processus afin de limiter la mobilité, d’améliorer ou de restaurer une forme de dune prédéfinie en termes de hauteur et largeur dans le but de protéger les biens en arrière. Elle fait généralement appel à la mise en place de clôtures, de branchages, ou encore de plantation de végétation. Les clôtures et branchages ont pour but de réduire la vitesse du vent, ce qui permet ensuite l'accumulation de sable et la colonisation éventuelle par des espèces végétales pionnières (Doody, 2012) (Figure 2.21.a, b). Ces méthodes ont été déployées à travers de nombreux littoraux et ont l'avantage d'être peu coûteuses et faciles à construire (Gallego-Fernandez et al., 2011 ; Nordstrom et al., 2012). La plantation de végétation, dans le but de fixer le sable, a largement été utilisée dans les dunes littorales pour les stabiliser et ainsi conserver leur rôle défensif face aux risques côtiers (Clarke et Rendell, 2010 ; Hommes et al., 2011) (Figure 2.21.c). Cependant, l’introduction de monocultures ou de plantes non natives peut avoir des impacts négatifs majeurs sur la biodiversité native et réduire la stabilité de la dune en modifiant le profil local façonné par la végétation native (Doody, 2012 ; Hilton, 2006). C’est pourquoi les méthodes de stabilisation contemporaines par la plantation de végétation reposent maintenant sur la plantation d’espèces natives et dominantes comme les espèces d’Ammophila. Ces plantes hautes et denses fonctionnent comme constructeurs de dunes en raison de leur système racinaire étendu et de leur capacité à pousser sous un enfouissement constant de sable (Maun, 2009 ; Seabloom et Wiedemann, 1994). Ainsi, les gestionnaires des systèmes dunaires, qui tentent par la gestion douce de limiter la mobilité des dunes, mènent un combat contre la formation et le développement des caoudeyres. En effet, ces dépressions sont capables d’apporter une certaine mobilité au système en favorisant le transfert de sable de la plage vers l’arrière de la dune (Hesp, 2002). Avant la période hivernale qui rassemble l’essentiel des tempêtes, les gestionnaires mettent en place des clôtures ou des branchages au niveau des petites entailles présentes dans les systèmes dunaires, afin de favoriser le dépôt de sable pour cicatriser les brèches et de se fait, éviter le développement de caoudeyre.

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Ce type de gestion est notamment appliqué depuis plusieurs dizaines d’années sur le littoral du sud-ouest de la France par l’Office National des Forêts (ONF) afin de protéger et maintenir le cordon dunaire. Enfin, dans des cas extrêmes, lorsque le système dunaire est fortement endommagé, des actions de reprofilages mécaniques peuvent être mises en œuvre à l’aide de bulldozers (Figure 2.21.d). Ces actions ont pour but de remodeler les dunes afin d’assurer une protection contre les vagues de tempêtes et les inondations (Nordstrom et Arens, 1988 ; Matias et al., 2005). Enfin, si ces méthodes permettent d’augmenter la diversité des communautés végétales par rapport aux systèmes laissés en libre évolution (e.g., la plage du Trencat, Sud-Ouest France), l’utilisation abusive de plantes et de clôtures pour construire un système dunaire tend à créer des dunes très uniformes avec des variations morphologiques limitées.

Depuis quelques années, la doctrine promouvant les méthodes de gestions précédentes tend à évoluer en se rapprochant de solutions fondées sur les processus naturels qui tentent de les stimuler afin d’augmenter la sécurité littorale et la qualité de l’écosystème. La perturbation éolienne n’est plus vue comme un risque, mais plutôt comme un des aspects naturels permettant un rajeunissement des sols et une mosaïque d’habitats naturels au sein des dunes. Cette nouvelle doctrine va ainsi à l’encontre des méthodes de gestion douce appliquées sur les littoraux depuis plusieurs dizaines d’années, rendant parfois son approbation délicate pour certains gestionnaires. En effet, cette renaturalisation reviendrait à favoriser le développement de caoudeyres dans certaines zones qui étaient jusqu’à présent combattu. Cependant, cette gestion moins intensive des dunes littorales pourrait leur permettre de retrouver une morphologie plus naturelle, améliorant ainsi la conservation de ces zones Natura 2000 qui sont un pilier de la politique de l'Union européenne en matière de nature et de biodiversité. On y retrouve notamment les dunes embryonnaires (type d'habitat 2110), les dunes mobiles avec la présence d’Amophila arenaria (type d'habitat 2120) et les dunes fixes herbacées (type d’habitat prioritaire) (European Commission, 2007).

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Figure 2.21. Photographies montrant (a) la mise en place de clôtures (Ph. Q. Laporte-Fauret), (b) le

dépôt de branchages, (c) la plantation d’oyats (Ammophila arenaria) (Ph. ONF) et (d) le reprofilage mécanique (Ph. ONF). Ces photographies ont été réalisées dans les dunes littorales du sud-ouest de la

France.

Cependant, dans les systèmes dunaires complètement fixés et soumis à une forte érosion marine, l’homme doit intervenir afin de donner une dynamique de mobilité permettant au système dunaire de migrer vers les terres. En effet, dans des systèmes dunaires très uniformes, d’importants événements érosifs peuvent éroder une partie du système et créer de grandes falaises d’érosion qui inhibent les échanges naturels de sable entre la plage et la dune. Dans ces secteurs, l’érosion chronique peut mener à la disparition du système dunaire (Figure 2.22.a, b, c). En revanche, dans des systèmes dunaires plus naturels avec diverses variations morphologiques, l’échange naturel de sable entre la plage et la dune, notamment à travers des caoudeyres, peut être maintenu malgré une érosion chronique, permettant ainsi une migration vers les terres (Figure 2.22.d, e, f) (Heslenfeld et al., 2004 ; Castelle et al., 2019). Cette stratégie tente ainsi de réintroduire une dynamique de mobilité du système, notamment dans les zones en forte érosion, favorisant sa migration. Cependant, une fois initiée, cette mobilité doit être contrôlée par des ajustements humains afin d’éviter une dynamique excessive menant au déclin de l’écosystème (e.g., le système dunaire du Trencat en libre évolution, Sud-Ouest, France) (Nordstrom et al., 2007). Dans cette gestion, une stabilisation moins stricte est appliquée aux dunes littorales menant à une dynamique naturelle plus importante et une augmentation du sable transporté vers les terres.

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Figure 2.22. Schémas d’évolution des dunes littorales dans un secteur en érosion chronique pour (a-c)

des dunes gérées et maintenues uniformes et (d-f) des dunes plus dynamiques, soupçonnées d’être plus résilientes (Castelle et al., 2019).

Mais aujourd’hui, ces différentes stratégies de gestions des systèmes dunaires, notamment celle de la remise en libre évolution, font toujours débat dans la communauté scientifique et s’organisent autour de deux opinions distinctes. Selon Delgado-Fernandez et al. (2019), la remobilisation implique quatre points principaux : (1) le retrait des espèces de plantes invasives pour rééquilibrer la colonisation des dunes, (2) la restauration des dunes de sable, (3) la création de barres sableuses par l’arrachage de végétation et (4) la promotion de l’accès des personnes aux dunes. Si le premier point peut être justifié, les trois autres impliquent des interventions humaines qui altèrent le paysage et interfèrent avec les processus naturels. Il est ainsi préférable de laisser les dunes littorales évoluer naturellement et de mener un effort sur l’éducation des populations (sur la fragilité du littoral) et le contrôle des visiteurs afin de minimiser leurs impacts sur les dunes (Figure 2.23.a, b). Il est donc important de prévoir assez d’espaces disponibles en arrière des dunes, ce qui peut être assez difficile, car dans certaines zones, des biens socio-économiques se trouvent à proximité.

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Figure 2.23. Exemples de gestions des dunes littorales avec (a) la mise en place de passerelles (El

Rompido, Espagne) et (b) barrières virtuelles (Zandmotor, Pays-Bas) afin de limiter l’impact de l’homme sur le système. Exemples de méthodes suivant la stratégie de dynamisme contrôlé et de remobilisation des dunes avec (c) l’arrachage complet de la végétation (Kenfig, National Nature Reserve, Pays de Galles) et (d) la formation de brèche artificielle (Newborough Warren, National

Nature Reserve, Pays de Galles) (Delgado-Fernandez et al., 2019).

Mais cette opinion est fortement controversée par la communauté scientifique du nord de l’Europe, notamment aux Pays-Bas et en Angleterre, où les systèmes dunaires présents partagent une longue histoire de stabilisation humaine (Creer et al., 2020 ; Pye et Boltt, 2020 ; Arens et al., 2020). Ces auteurs voient la stratégie de remobilisation comme un moyen d’encourager les processus dynamiques stoppés par la succession végétale et la stabilisation artificielle afin de créer une mosaïque de dunes végétalisées. En effet, l’essentiel du débat réside sur les avantages que la restauration de la dynamique éolienne peut apporter à la nature, mais aussi à la sécurité des côtes (Kooijman, 2004 ; Bonte et Hoffmann, 2005 ; Rhind et Jones, 2009). Généralement, la remobilisation est réalisée par différentes techniques comme le dépôt de sable au large, afin d’augmenter le volume de sable arrivant sur la côte (Arens et al., 2010 ; De Vries et al., 2012), l’arrachage de la végétation (Jungerius et al., 1995 ; Arens et al., 2004 ; Eamer et al., 2013 ; Konlechner et al., 2015 ; Darke et al., 2016) (Figure 2.23.c), la restauration de caoudeyres (Van Boxel et al., 1997) ou la formation de brèches dans la dune (Pye et Boltt, 2010 ; Pye et Boltt, 2016 ; Arens et al., 2012; Arens et al., 2013; Kuipers, 2014) (Figure 2.23.d). Ces méthodes ont toute pour but de réactiver la dynamique éolienne afin de remettre en place un transport sédimentaire qui peut générer (1) de nouveaux espaces de sable nu, potentiellement

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colonisables par des espèces végétales pionnières menant à de nouvelles successions et (2) une migration vers les terres du système dunaire lui permettant ainsi de faire face à la montée du niveau moyen des mers. Cette stratégie est aussi capable, par l’apport de nouveaux sédiments, de rajeunir les sols et ainsi stimuler la biodiversité dans les dunes sous certaines conditions climatiques (Nordstrom et al., 2007). Enfin, selon Arens et al. (2020), la gestion des dunes ne consiste pas à faire de bons ou de mauvais choix. Chaque choix est valable tant qu’il est basé sur une bonne compréhension du système. Ainsi, ne rien faire comme préconisé par Delgado-Fernandez et al. (2019) peut être un choix, mais il n’est pas applicable dans les systèmes dunaires du nord de l’Europe, car les paysages actuels ne sont pas seulement le reflet de processus naturels, mais aussi de longues interventions humaines.

En Europe, un des systèmes dunaires les plus longs et les plus larges se trouve dans le sud-ouest de la France, sur la côte aquitaine (Froidefond et Prud'homme, 1991 ; Gao et al., 2020). Il a été principalement érigé par les actions humaines sur les deux derniers siècles dans le but de protéger la forêt adjacente de l’abrasion éolienne. En effet, au début du XIXe siècle, la forêt représentait la principale source économique. Ainsi, des travaux ont été entrepris au milieu du XIXe siècle par la mise en place de palissades favorisant des premiers dépôts de sable qui ont ensuite été stabilisés par la plantation de végétaux. Suite à des crises économiques et aux guerres mondiales, la gestion du système dunaire n’a été reprise qu’à partir de la moitié du XXe siècle. D’importants travaux, incluant des reprofilages mécaniques et la plantation de végétation, ont été mis en œuvre afin de refaçonner les dunes (Bossard et Nicolae Lerma, 2020). Enfin, depuis quelques dizaines d’années, si les gestionnaires de l’ONF en charge des milieux dunaires tentent de laisser un certain degré de liberté au système, la dynamique éolienne est encore largement limitée par des travaux de stabilisation, comme la plantation de végétation ou la pose de branchages dans les brèches et caoudeyres, pour éviter une mobilité trop importante des dunes littorales.

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