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2.2.1 Base des calculs

L'étude spectroscopique d'un supraconducteur tel que H3S requiert le calcul des propriétés optiques à travers la théorie d'Eliashberg, notamment le taux de diu-sion optique 1/τop(ω). Ce travail a été réalisé en collaboration avec des théoriciens de l'université McMaster (Hamilton, Canada). La comparaison entre les calculs et l'ex-périence a cependant été eectuée sur la réectivité R(ω), qui est estimée à partir de 1/τop(ω) à l'aide des relations de Kramers-Kronig. Cette grandeur est intéressante, car elle peut être extraite des mesures optiques. La g. 2.3 présente les réectivités absolues calculées pour H3S à deux températures : à T = TC = 200 K dans l'état normal, et à T = 50 K  TC dans l'état supraconducteur.

Figure 2.3  Réectivité absolue de H3S pour l'état normal (rouge) et l'état supraconducteur (bleu). Les èches mettent en évidence le gap supraconducteur et

La description de l'évolution du taux de diusion 1/τop(ω) présentée précédem-ment est transposable pour R(ω), en inversant les échelles d'intensité. Plus 1/τop(ω) est faible, plus R(ω) est élevée. Ainsi, le gap supraconducteur apparaît dans la réec-tivité comme une marche à une fréquence 2∆. R(ω) égale l'unité pour des photons dont l'énergie ¯hω < 2∆ et chute abruptement pour des fréquences plus élevées. De même, la région associée à la signature du processus de Holstein est bornée par 2∆+¯hΩmax et 2∆+2¯hΩmax, où R(ω) est plus faible pour l'état supraconducteur que pour l'état métallique. Dans la gure, ces domaines sont à nouveau mis en évidence à l'aide des èches.

Pour H3S, la signature du gap est attendue à 590 cm−1 pour T  TC. Selon la loi BCS décrivant la dépendance de l'énergie en fonction de la température, le gap reste proche de cette valeur jusqu'à T/TC = 0,4, soit T approximativement 80 K. Pour des températures supérieures, l'énergie du gap chute fortement. L'intensité de la structure spectroscopique est théoriquement de l'ordre de 4 à 5 % de la valeur totale. Quant au processus de Holstein, la région spectrale est prédite entre 2500 cm−1 et 5000 cm−1, et la chute de l'intensité R(ω) est d'environ 3 % dans l'état supraconducteur par rapport à ce qui est attendu à plus haute température dans l'état métallique.

Il serait bien entendu idéal pour eectuer une comparaison avec la théorie de mesurer la réectivité absolue à des températures situées au-dessus et en-dessous de la transitions supraconductrice. Cependant, au vu des conditions expérimentales diciles, i.e. la faible taille de l'échantillon et l'environnement entre deux diamants nécessaires pour appliquer la pression, il semble dicile de mesurer une référence absolue. An de contourner cette diculté, il est courant de réaliser des mesures de réectivité relative en température, pour déterminer non pas R(ω) mais un ratio RS(ω)/RN(ω), où RS(ω) est le signal de l'échantillon dans l'état supraconducteur, alors que RN(ω) correspond à l'état normal.

Dans la g. 2.4, deux ratios sont présentés pour des températures TS = 50 K et 150 K, avec une référence de TN = 200 K. Comme pour les courbes de R(ω), ces réectivités relatives font apparaître les structures caractéristiques de la transition supraconductrice dans H3S. Par exemple, le gap d'énergie possède toujours une forme de marche avec une limite à 2∆0. À plus haute température, l'intensité de la structure s'atténue et la fréquence de la marche diminue vers les basses énergies. Pour les énergies plus élevées, le processus de Holstein cause l'apparition d'un creux dans le ratio de réectivités entre 2∆ + ¯hΩmax et 2∆ + 2¯hΩmax, qui s'atténue également lorsque la température s'approche de la transition supraconductrice.

Figure 2.4  Ratios de réectivités de H3S pour deux températures de la phase supraconductrice : 50 K (bleu) et 150 K (rouge). La référence est la réectivité

dans l'état métallique à 200 K. Les èches mettent en évidence le gap supraconducteur et les bornes du processus de Holstein.

2.2.2 Conditions de mesure

Les signatures spectroscopiques d'intérêt étant attendues dans le domaine MIR, les paramètres de mesure sont choisis en conséquence. Les mesures ont été eectuées avec une lame séparatrice de KBr, un détecteur MCT, une résolution de 4 cm−1. Pour la source, le rayonnement synchrotron est nécessaire pour étudier le gap su-praconducteur à 590 cm−1, car la brillance est plus importante dans cette région spectrale. Pour le processus de Holstein entre 2500 cm−1 et 5000 cm−1, la source interne est susante.

Les échantillons ont été chargés en DAC à 150 GPa par les chercheurs de l'ins-titut Max-Planck (Mainz, Allemagne), qui sont à l'origine de la découverte de la supraconductivité au sein de H3S. L'étude spectroscopique n'étant envisageable que pour des échantillons dans la limite sale, il est nécessaire d'évaluer le taux d'impu-retés. Pour ce faire, la courbe de résistivité a été utilisée pour estimer le taux de diusion 1/τ. Sa valeur est obtenue en prolongeant la partie résistive de la courbe à haute température jusqu'à T = 0 K, tel que représenté dans la g. 2.5. En eet, à température nulle, plus aucune excitation du réseau n'est présente et seule les impuretés contribuent à la diusion des électrons. Sur cette extrapolation, la courbe du modèle est calculée avec 1/τ = 1100 cm−1  2∆ = 590 cm−1. Cet échantillon de H3S est donc dans une limite sale et la détection des signatures spectroscopiques est envisageable.

Figure 2.5  Résistivité de H3S (noir). Le modèle (vert) permet d'extapoler la partie haute température résistive jusqu'à T = 0 K.

Pour cette étude, le dispositif expérimental doit permettre à la fois de mesurer des échantillons au sein d'une DAC à une pression de 150 GPa et de contrôler sa température an d'atteindre l'état supraconducteur. L'environnement haute pres-sion - basse température décrit précedemment a donc été utilisé dans l'intervalle de températures 50 - 200 K. Pour H3S, qui possède une transition supraconductrice aux alentours de TC = 200 K, les mesures ont été étendues jusqu'à une température proche de TC/4, permettant l'observation de l'évolution des signatures spectrosco-piques avec la température.

Lors d'une série de mesures, la première étape est le refroidissement de l'échan-tillon jusqu'à la température minimale de 50 K. Cependant, la contraction des élé-ments causée par le froid provoque un désalignement de la DAC. La deuxième étape a alors pour but de compenser ce mouvement à l'aide des caméras placées de part et d'autre de la DAC. Un exemple de ce contrôle par caméra est présenté dans la g. 2.6, où il est possible de constater que le spot du faisceau est centré sur l'échantillon et donc que l'alignement est satisfaisant pour la réalisation de la pre-mière mesure. Ensuite, la rampe en température débute : avant chaque mesure, la température est stabilisée, la DAC est réalignée et l'échantillon est mesuré. Cette procédure est répétée pour plusieurs températures TS, jusqu'à la mesure nale à T = 200 K, qui sert de référence TN pour le calcul du ratio de réectivités RS/RN.

Figure 2.6  Photo obtenue à l'aide d'une caméra de l'échantillon de H3S placé dans une DAC. Le spot du faisceau synchrotron d'envion 60 µm, au centre (rouge),

est rééchi sur l'échantillon. Une source externe (jaune) éclaire la cellule par l'arrière, mais est masquée au niveau des électrodes.

La gamme de température requise pour étudier la transision supraconductrice dans H3S est aisément accessible en utilisant l'ensemble haute pression - basse tem-pérature disponible sur la ligne AILES. La diculté de cette étude est avant tout liée à la taille de l'échantillon et à la dimension du faisceau incident, toutes deux comprises entre 50 µm et 70 µm. Un léger désalignement de la DAC engendre en eet un changement important au niveau du spectre, car le faisceau peut alors déborder sur le joint isolant de NaCl ou sur les électrodes. Comme les signatures attendues sont de faible intensité, l'alignement doit absolument être maintenu aussi précisé-ment que possible durant toutes les mesures d'une rampe en température.

Cette expérience a été réalisée à de nombreuses reprises et avec plusieurs échan-tillons an de vérier les observations et d'améliorer la statistique des résultats. Au total, environ trente séries de mesures ont été eectuées sur cinq cellules diérentes. Certaines données se sont avérées inexploitables du fait d'un désalignement mal compensé, qui causait un changement trop important de la ligne de base, ou de la formation de glace lors du cycle en température. Les résultats présentés par la suite sont une moyenne des séries réussies.