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1-2 Les méthodes de monétarisation de chacun des éléments de la valeur des biens et services environnementaux

L’objectif de ce paragraphe est, d’une part, de présenter de façon ordonnée, selon leur rattachement au cadre théorique, les différentes méthodes de monétarisation des biens et services environnementaux et, d’autre part, de déterminer les valeurs de la VET que chacune de ces méthodes permet de calculer. Entre temps, seront mises en avant les possibilités d’application a priori de chaque méthode pour la monétarisation des impacts environnementaux.

1-2-1 Classification des méthodes de monétarisation

Il existe une multitude de méthodes de monétarisation, mais toutes n’appartiennent pas au même cadre théorique. La classification de ces méthodes est plus complexe qu’une simple répartition entre préférences révélées et déclarées, ou entre méthodes directes et indirectes, ou entre méthodes basées sur les coûts et sur les préférences. En effet, certaines catégories de méthodes se recoupent entre elles. Avant de passer en revue les différentes méthodes de monétarisation, il est important, dans un premier temps, de situer les différentes approches de monétarisation les unes par rapport aux autres (cf. Figure 25).

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Figure 25: Classification des méthodes de monétarisation en fonction de leur cadre théorique, inspiré de TEEB [172]

En général, une distinction principale est faite entre les méthodes basées sur les comportements observés, et celles basées sur des enquêtes [175] [173]. On les appelle « préférences révélées » ou « méthodes indirectes » pour les premières, et par opposition, « préférences déclarées » ou « méthodes directes » pour les secondes. Ces appellations ne sont pas spécialement appropriées car d’une part les comportements observés s’appuient sur des révélations directes et indirectes, et d’autre part les méthodes d’enquête recourent aux déclarations directes (évaluation contingente) et aux révélations indirectes (choix multiples). De ce fait, nous avons classé les principales méthodes de monétarisation en deux catégories, « choix effectifs » et « choix hypothétiques », au sein desquelles nous avons essayé de les ordonner en fonction de leurs principales caractéristiques (cf. Figure 25). A ces deux catégories principales s’ajoute celle du transfert de valeurs, souvent mentionnée dans des études récentes [176]. Nous n’avons pas intégré le transfert de valeurs dans la figure précédente, car elle n’est pas une méthode de monétarisation primaire en soi, elle permet en revanche d’utiliser et d’adapter des résultats existants à un nouveau cas.

Les différentes typologies présentes dans la littérature ont donc été recoupées afin de distinguer six catégories principales de méthodes de monétarisation que sont : l’évaluation

Monétarisation des biens et services environnementaux

Choix effectifs (préférences révélées) Choix hypothétiques (méthodes d’enquête) Absence de marché

Révélation par les comportements Dépenses de soin Marchés existants Direct Indirect Méthode des prix hédoniques Prix du marché Coûts de transport Préférences déclarées Déclaration directe Révélation indirecte Evaluation Contingente Choix multiples Préférences sociales Consensus collectif Evaluation participative

122 directe par les marchés, l’évaluation indirecte par les marchés, la révélation par les comportements en l’absence de marché, les préférences déclarées directes, les préférences déclarées indirectes, et enfin les approches par les préférences sociales.

1-2-2 Présentation des différentes méthodes de monétarisation

Les six catégories et leurs méthodes associées sont décrites synthétiquement dans le Tableau 3. Le transfert de valeurs est également intégré à la présentation de ces méthodes. Cette classification fait écho à celle présentée dans le récent rapport TEEB [172]. Le cadre théorique de chacune des catégories de monétarisation précédemment précitées est expliqué. Pour chaque catégorie, les méthodes qui s’y rattachent sont présentées en y exposant leur principe, leurs intérêts et limites et leurs domaines d’application.

Une présentation détaillée de ces méthodes figure en annexe II-1. Elle expose en substance les fondements et origines, les intérêts et limites ainsi que les domaines d’application de chacune de ces méthodes.

123 Tableau 3 : Comparaison des différentes méthodes de monétarisation

Approche Méthode Principes et Objectifs Champ d'application Limites

Evaluation directe par les marchés

existants

Prix du marché

Estimation de la valeur privée du bien (surplus du consommateur) à partir de l'observation du prix du marché

Biens et services avec des prix observables sur le marché

- Domaine d'application restreint : consommables directs et services marchandables des actifs naturels

- Valeur incorrecte si distorsion du marché ignorée

- Estimation de la valeur d'usage direct seulement : borne inférieure de la VET E v a lu a ti o n i n d ir ec te p a r le s m a rc h és e x is ta n ts Prix hédoniques

- Observation des comportements

sur le marché comme choix de travail et achat de biens immobiliers.

- Estimation d'un CAP marginal pour chaque caractéristique du bien grâce à la théorie de Lancaster : (prix du bien dépend de chacune des caractéristiques qui composent le bien)

- Estimation d'une fonction de demande pour mesurer le surplus du consommateur.

- Estimation de l'ensemble de la VET

- Développée par Adelman et Griliches en 1961 [177] : expliquer le prix des automobiles selon leurs caractéristiques

- Première application environnementale : Ridker et Henning en 1967 [178] : effets de la pollution de l'air sur le prix des habitations - Autres applications : la qualité de l'air, de l'eau, du paysage, du bruit, des bénéfices culturels [176]

- Quantité importante de données pour mettre en œuvre la méthode - Biais dans le choix des variables économétriques du modèle

- Influence de la spécification du modèle économétrique sur les résultats - Hypothèse de fonctionnement parfait du marché immobilier non respectée en pratique

- Applicable une fois que la dégradation ou l'amélioration de l'environnement est constatée (démarche ex post)

Coûts de dommages

- Quantification physique des dommages environnementaux, via des fonctions dose-réponse. - Association d'une valeur monétaire pour les dommages estimés avec des approches coût de la vie humaine, et coût de l'espérance de vie

Evaluation des impacts de la pollution sur la santé, la dégradation des immeuble, des matériaux, l'érosion

- Fiabilité des fonctions dose-réponses employées

- Limites liées aux méthodes de monétarisation utilisées pour calculer le coût de la vie humaine et le coût de l'espérance de vie

124 R év él a ti o n d es c o m p o rt em en ts en l 'a b se n ce d e m a rc h é Dépenses de remplacement

- Evaluation des coûts de remplacement des biens et services environnementaux, en supposant que ces coûts sont égaux aux dommages subis

- Evaluation de fonctions spécifiques naturelles des écosystèmes [176]

- Hypothèse forte que le remplacement du bien ou service environnemental en vaut la peine

- Pas d'évaluation de la valeur d'existence : valeur partielle de la VET - Si le remplacement est observé, c’est que la valeur accordée est strictement supérieure au coût (borne inférieure de la VET)

Dépenses de dépollution

- Méthode assez proche de la méthode des coûts de remplacement

- L'estimation des coûts de dépollution permet d'accéder aux coûts de dommage du bien environnemental

Même domaine d'application que les coûts de remplacement

- Hypothèse forte sur les capacités des techniques de dépollution actuelles : ramener l'environnement à son état initial

- Hypothèse du pollué pouvant remédier par lui-même à la pollution subie

- Nécessité de bien identifier tous les pollués Pas d'évaluation de l'intégralité de la VET.

Dépenses de protection ou d’évitement

- Observation des comportements de consommation de biens de protection des ménages confrontés à une dégradation de leur environnement.

- Reconstruction de la courbe de demande du bien de protection

- La valeur marchande des biens acquis est égale au prix implicite de la nuisance [173]

Evaluation des nuisances et de pollutions environnementales (bruit, qualité de l'eau du robinet)

- Sélection des données : cadrage spatial et temporel de l'analyse. - Variabilité des prix à travers le temps.

- Evaluation partielle de l'ensemble des pollutions et nuisances qui affectent un foyer : borne inférieure de la VET.

Dépenses de soin

- Observations des comportements de dépense des individus pour des services de santé et l'achat de médicaments confrontés à des problèmes de santé causés par la pollution

- L'ensemble des dépenses de santé de l'individu correspond à son CAP pour une diminution de la pollution

Evaluation des impacts de la pollution sur la santé humaine

- Cadrage spatial et temporel de l'analyse

- Utilisation de fonctions dose-réponse pour faire le lien entre pollution et effets sur la santé

- Contribution de la pollution aux effets sur la santé pour des personnes avec des pathologies pré-existantes

- Non prise en compte des comportements préventifs

- Dépendances de l'individu à ses administrateurs sociaux pour engager des dépenses de santé [173], donc des dommages sur la santé endogènes à chaque pays

- Non prise en compte du manque de ressources financières de l'individu pour se soigner.

- L'ensemble de la VET non estimée (pas de valeur d'altruisme par exemple)

Coûts de Transport

- Principe de faible complémentarité entre les sites d'activité récréationnelles et les déplacements associés [179]

- L'ensemble des dépenses engagées pour accéder au site est égal au CAP pour bénéficier du site - Construction de la courbe de demande

du site récréatif à partir des CAP et calcul du surplus du consommateur

- Origine de la méthode: Hotelling en 1947 [180] [181]

- Première application : valeur récréatives de rivières en 1958 [182]

- Estimation de la VET de zones et de parcs naturels, d'activités récréationnelles en lien avec des biens environnementaux comme la pêche, la chasse, la baignade, la promenade,...

- Affectation du coût de transport dans le cas de visites multiples - Présence de sites substituts à proximité du lieu d'habitation des ménages.

- Coûts de transport nuls pour les individus vivant à proximité du site - Pas de consensus sur l'évaluation du coût d'opportunité (temps de trajet)

- Ne capte pas la valeur d'existence : estimation d'une valeur partielle de la VET

125 P re n ce s d éc la es Evaluation contingente (déclaration directe)

- Estimation de CAP non déductibles de comportements observés

- Techniques d'enquête auprès d'individus pour connaître leur CAP ou CAR pour une amélioration ou dégradation hypothétique d'un bien ou service environnemental

- Construction d'un modèle économétrique pour évaluer les CAP des individus en fonction de leurs caractéristiques socio-économiques

- Evaluation de l'ensemble de la VET

Champ d'application assez vaste :

qualité de l'eau, qualité de l'air, loisirs de plein air, sauvegarde des espèces, protection des forêts, gestion des déchets, assainissement, biodiversité, dommages sur les ressources naturelles, etc.. [173]

- Biais hypothétiques : mise en situation de choix virtuels - Biais d'administration du questionnaire : influence du format du questionnaire sur les CAP

- Biais stratégique : comportement de passager clandestin - Biais de "yeah saying" : déclaration pour paraître charitable - Biais d'inclusion : CAP des individus insensible à l'amplitude des améliorations proposées

- Analyse unidimensionnelle du bien environnemental qui est perçu dans sa globalité

- Temps et moyen pour mettre en œuvre la méthode

M o d él is a ti o n d e ch o ix (r év él a ti o n i n d ir ec te ) Choix multiples

Idem Evaluation contingente, mais : - Technique d'enquête avec une analyse multidimensionnelle du bien environnemental - Enquêtés soumis à des cartes de choix sur lesquelles ils doivent choisir parmi au moins deux alternatives - Modélisation économétrique basée sur la théorie de Lancaster [183] et sur la théorie de l'utilité aléatoire développée par Luce [184] et McFadden [185] [186]

- Initialement marketing et transport

- Evaluations de services récréationnels d'aménités paysagères [187] [188], préservation des zones humides [189], gestion de l'eau potable [190]

- Biais hypothétique

- Effort cognitif pour l'exercice pouvant fausser les résultats - Nombre de caractéristiques environnementales limité - Niveau d'information à fournir aux enquêtés - Temps et moyen pour mettre en œuvre la méthode

Notation contingente

- Technique d'enquête avec une analyse multidimensionnelle du bien environnemental - Enquêtés soumis à des alternatives successives multi-caractéristiques

- Attribution d'une note pour chaque alternative présentée successivement et indépendamment des autres

- Théorie de l'utilité aléatoire

- Conversion des notes en échelle d'utilité

- Méthode populaire dans le marketing - Application très limitée dans le domaine de l'environnement

- Quelques exemples pour l'activité de la pêche [191] et les impacts des parcs éoliens [192]

- Hypothèse de la cardinalité de l'échelle de notation - Hypothèse de comparabilité des notations entre individus - Méthode non cohérente avec la théorie du consommateur

Classement contingent

- Idem choix Multiples mais classement successif des alternatives sur chaque carte de choix. - Informations statistiques plus riches. - Estimation plus précise des CAP

- Origine: application à la demande en véhicule électrique par Beggs et al. en 1981 [193] - Peu appliquée à l'environnement - Quelques exemples en aménagement paysager,adduction d'eau potable [194], sites récréationnels, l'impact de l'utilisation de pesticides [173]

-Idem Choix Multiples - Effort cognitif accentué

Comparaison par paires

- Combinaison des choix multiples et de la notation contingente

- Choix d'une alternative parmi les deux proposées, puis lui attribuer une note selon une échelle de notation

- Méthode populaire dans le milieu du marketing - Utilisée pour les sites récréationnels dans les années 70 [195]

- Utilisée à partir des années 90 pour les impacts sur la santé humaine et pour la perte de biodiversité [196]

- Utilisation mineure en environnement par rapport aux choix multiples

- Combinaison des limites des choix multiples et de la notation contingente

- Effort cognitif amplifié

- Incohérence avec la théorie du bien-être si absence de scénario de référence dans chaque paire de scénarios proposée

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Préférences sociales et consensus collectif

Evaluation participative

- Approche participative et interactive

- Sollicitation des individus pour leur demander de déterminer en commun l'importance d'un service environnemental non marchand au regard d'autres biens et services environnementaux marchands - Evalue l'ensemble de la VET

- Méthode encore peu développée donc méconnue

- Applicable en théorie à tout bien ou service environnemental

- Rôle du pouvoir de conviction de certains participants

- Biais possible dans la constitution du groupe si basée sur le volontariat

Transfert de bénéfices ou de valeurs

- Utilisation des résultats d'une évaluation économique d'un cas particulier pour les appliquer à un autre cas particulier.

- moins coûteuse car ne nécessite pas le déploiement d'une méthode "sur le terrain"

Evaluation de la pollution environnementale

- Caractéristiques similaires entre les deux cas étudiés: rarement possible dans la réalité.

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1-2-3 Quelles méthodes de monétarisation pour les impacts environnementaux ?

Après avoir explicité la notion de valeur économique totale (VET) d’un bien ou service environnemental, présenté l’ensemble des valeurs qui constituent cette VET en faisant le lien avec les quatre fonctions écosystémiques et classé les différentes méthodes de monétarisation des biens et services environnementaux, il s’agit maintenant de mettre en adéquation ces méthodes de monétarisation avec les différentes valeurs qui composent la VET, afin de connaître la méthode de monétarisation la mieux adaptée a priori pour une valeur particulière de l’environnement. Cela permettra ensuite de relier les méthodes de monétarisation disponibles avec les valeurs de VET des impacts environnementaux.

De nombreux travaux ont déjà été effectués pour rattacher les méthodes de monétarisation à une ou plusieurs valeurs de l’environnement. Le Tableau 4 exprime les valeurs de la VET que chaque méthode de monétarisation permet d’évaluer, de façon globale ou séparée.

Tableau 4 : Valeurs de la VET estimables par les méthodes de monétarisation actuelles

Méthodes Valeur d’usage direct Valeur d’usage indirect Valeur d’option Valeur de legs Valeur altruiste Valeur d’existence C h o ix e ff ec ti fs (p re n ce s v él ée s) Prix du marché X Coûts de dommages X Dépenses de remplacement X Dépenses de protection X Dépense de soin X Prix hédonistes X Coûts de transport X C h o ix h y p o th ét iq u es (m ét h o d es d ’e n q u êt e) Evaluation contingente X Choix multiples X X Notation contingente X Classement contingent X Comparaison par paires X Evaluation participative X

128 Ces impacts environnementaux peuvent être associés à un bien ou service environnemental qu’ils dégradent. Toutes les composantes de la VET existent pour ces biens environnementaux, même si les valeurs d’usage direct et indirect sont plus perceptibles, et ont par conséquent une légère tendance à occulter les autres. Toutefois, pour évaluer la VET de ces impacts, ou de leur bien associé, il faut estimer l’ensemble de ses composantes, aussi bien les valeurs d’usage que les valeurs de non-usage.

Deux types d’approche sont alors envisageables. Soit le praticien utilise une approche « combinée » qui recourt à différentes catégories de méthodes de monétarisation. Dans ce cas, chaque valeur économique du bien associé à l’impact est évaluée par la méthode la plus appropriée ; il s’agit des méthodes à préférences révélées (choix effectifs). En contrepartie, le praticien risque de se heurter à des cadres théoriques différents et à des périmètres d’évaluation non identiques car ce type de méthodes ne donne accès qu’à une borne inférieure de la VET, en se limitant à la révélation des valeurs d’usage. Enfin, pour obtenir la VET, il faudra alors sommer chacune des valeurs spécifiques précédemment évaluées. Mais cette hypothèse selon laquelle la VET peut être estimée par la somme de chacune des valeurs spécifiques ne fait pas consensus. La seconde approche permet d’évaluer le tout plutôt que chacune de ses parties [197]. Elle consiste à utiliser une approche globale qui permet d’obtenir par une seule méthode de monétarisation la VET du bien environnemental considéré. Cela nécessite de faire appel aux préférences déclarées, seules méthodes à pouvoir estimer directement l’ensemble de la VET, mais sans pouvoir en distinguer les différentes composantes. Cependant, les préférences déclarées semblent plus appropriées pour estimer les valeurs de non-usage que les valeurs d’usage. Une question reste sans réponse : il s’agit de celle du crédit que l’on peut accorder en pratique aux valeurs d’usage estimées par des préférences déclarées. Enfin, l’évaluation des valeurs de non-usage et leur intégration dans la VET fait toujours débat au sein de la littérature économique [198].

En miroir de cette analyse théorique, quelles leçons pouvons-nous tirer des applications disponibles dans la littérature de monétarisation des impacts environnementaux de la gestion des déchets, au regard des méthodes utilisées ?

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1-3 La monétarisation des impacts environnementaux dans le cas de la gestion