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La MCM est ici mise en œuvre avec quatre attributs (cf. paragraphes 2-2-1et 2-2-2). Trois d’entre eux correspondent à des impacts environnementaux midpoint considérés comme des enjeux de la gestion des déchets dans un contexte territorial, à savoir l’augmentation de l’effet de serre, l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et l’atteinte à la santé humaine. Le quatrième attribut représente le support de paiement pour les enquêtés et correspond à une augmentation de la Taxe sur l’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM). Ces quatre attributs sont soumis à des variations quantitatives de leurs niveaux, étant donné que l’ACV fournit des résultats d’impact quantitatifs. Or, l’utilisation de la MCM pour la monétarisation d’impacts environnementaux quantitatifs et midpoint est absente de la littérature. D’une part, certaines recommandations relatives à la mise en œuvre de la méthode ne sont plus respectées. D’autre part, des limites inhérentes à la MCM s’en trouvent accentuées. Ces problèmes majeurs d’applicabilité de la méthode sont identifiés et développés dans les paragraphes suivants.

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3-1-1 Complexité et compréhension des attributs environnementaux

La mise en œuvre de la MCM pour évaluer un bien ou un service environnemental requiert de choisir comme attributs des caractéristiques concrètes et suffisamment parlantes pour l’enquêté [240]. Dans le cas de l’étude, ces attributs sont trois catégories d’impacts environnementaux midpoint évalués en ACV, à savoir l’augmentation de l’effet de serre, l’épuisement des ressources non renouvelables et l’atteinte à la santé humaine. Or ces trois attributs ne correspondent pas à des caractéristiques concrètes et « palpables » pour les individus. Si ces catégories d’impacts peuvent être parlantes aux individus, comme par exemple les émissions de dioxine et l’atteinte à la santé humaine ou le prix du carburant à la pompe et l’épuisement des ressources, ils n’en ont pas nécessairement une vision juste et intégrale, excepté éventuellement pour l’augmentation de l’effet de serre qui est de loin l’impact le plus médiatisé. En effet, quelqu’un qui n’est pas spécialiste du sujet ne connaît pas nécessairement l’origine de ces impacts, ni leurs effets à court et long termes, ni leur portée locale ou globale. Soit les individus ne connaissent pas, voire peu, l’impact environnemental, soit les individus connaissent mal l’impact et se font une idée erronée de son mécanisme de cause à effet. En outre, le degré de méconnaissance n’est a priori pas identique entre les trois impacts, et peut aussi varier selon la période à laquelle l’enquête est réalisée, et selon les connaissances de l’individu (cf. paragraphe 3-1-2). Si dans un premier temps on ne tient pas compte des caractéristiques individuelles dont la connaissance fait partie, on peut en effet supposer que l’information relayée dans les médias, ainsi que certaines prises de conscience politiques et internationales, comme cela est le cas pour les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique, apportent aux individus une certaine connaissance de cet impact environnemental. La connaissance de l’impact, par exemple l’augmentation de l’effet de serre, est liée d’un part au simple fait d’en parler et d’en révéler son « existence » dans les médias. Cette connaissance est liée d’autre part aux enjeux politiques et environnementaux qu’on prête à cet impact dans les médias et au sein des politiques environnementales.

Le fait de ne pas avoir des attributs concrets et tous suffisamment parlants, contrairement à la mise en œuvre traditionnelle de la MCM, engendre une complexité de l’information fournie aux enquêtés, ainsi qu’une connaissance potentiellement inégale entre les trois impacts évalués. Pour faire face à ces deux problèmes, les enquêtés adoptent plusieurs stratégies de choix, comme les choix lexicographiques, non conformes la théorie de

189 la MCM car elles ne correspondent pas à un arbitrage entre différentes caractéristiques d’égale importance (cf. Figure 35).

Figure 35 : Effets du format des attributs environnementaux sur le processus de choix de l’enquêté

La complexité de ces attributs environnementaux demande aux enquêtés un effort cognitif important pour essayer de comprendre, en l’absence d’information particulière, les enjeux de ces impacts. Pour faire face à cette surcharge cognitive, les enquêtés mettent en place des processus de simplification du choix comme la mise en place de choix lexicographiques, ou tentent au contraire de traiter l’intégralité de l’information. Mais la surcharge cognitive conduit alors à des choix erronés et incohérents. La connaissance inégale des trois attributs environnementaux conduit aussi à un processus de choix se focalisant uniquement sur l’impact environnemental « connu ». On retrouve dans ce cas des choix lexicographiques. En outre, toutes ces stratégies de choix conduisent à une estimation biaisée des CAP. Il est alors nécessaire, d’une part de fournir de l’information aux enquêtés pour rendre la compréhension de ces impacts environnementaux globalement moins complexe, et d’autre part de s’assurer que le niveau d’information apporté donne aux individus un niveau de compréhension équivalent quel que soit l’impact.

Complexité des attributs environnementaux

Effort cognitif trop important Tentative de traitement complet de l’information Choix erronés et incohérents Choix heuristiques et préférences lexicographiques Connaissance inégale entre les

attributs environnementaux

Simplification du processus de choix

Considération inégale des attributs dans le processus de choix

Effets sur le processus de choix Effets sur lesenquêtés Limites du questionnaire

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3-1-2 Connaissances et intérêt des individus pour le sujet

Nous venons de voir dans le paragraphe 3-1-1 que la compréhension des attributs environnementaux est en partie liée à un manque d’information ou à une information inégale entre les impacts. La principale conséquence est une simplification du processus de choix et une estimation biaisée des CAP.

La compréhension de ces impacts environnementaux n’est pas uniquement liée à l’information « absolue » dont dispose l’individu. Cette compréhension fait aussi intervenir la connaissance, une caractéristique propre à chaque individu. Indépendamment du degré de complexité du sujet, certains individus sont plus aptes à pouvoir arbitrer entre les scénarios car ils ont des connaissances spécifiques sur le sujet. En théorie, le niveau de connaissance importe peu ou pas dans le cadre d’une MCM avec des attributs concrets, de proximité et « palpables ». Pour des caractéristiques concrètes touchant à notre environnement direct, aucune connaissance particulière n’est exigée. Pour illustrer ces propos, on peut se rapporter au travail de Jin et al. [232] qui mettent en œuvre une MCM pour révéler les préférences des individus sur des programmes de gestion de déchets ménagers. Les attributs « de gestion des déchets » de cette MCM et leurs niveaux ne demandent pas de connaissances particulières. Ils concernent des caractéristiques techniques et préhensibles : l’absence ou la présence d’une séparation et d’un recyclage à la source de flux de déchets, la fréquence de collecte des déchets (quotidienne et irrégulière ou biquotidienne et régulière), et la réduction ou non du bruit causé par la collecte des déchets.

Or, dans notre cadre de travail, un certain niveau de connaissance est nécessaire aux individus pour comprendre l’exercice de choix et ne pas utiliser des procédures de simplification. Le niveau de connaissance des individus sur les impacts environnementaux pourrait donc constituer a priori un élément explicatif du choix individuel.

Ni le niveau d’étude, ni la catégorie socioprofessionnelle ne sont des indicateurs suffisamment révélateurs du niveau de connaissance des individus dans le domaine de l’évaluation environnementale. Il faudrait donc créer un indicateur du niveau de connaissance individuelle sur les impacts environnementaux utilisés dans l’enquête, cette caractéristique pouvant influer sur le choix des enquêtés et par conséquent sur l’estimation des CAP.

Outre le niveau d’information et la connaissance des individus, un troisième facteur peut jouer un rôle dans le processus de choix des individus pour des attributs complexes que

191 sont les trois catégories d’impacts environnementaux. Il s’agit de l’intérêt et de la sensibilité de l’individu pour l’Environnement de manière générale. Les choix des individus pourraient effectivement s’expliquer en partie par leur intérêt et leur sensibilité à l’Environnement. Or, ces caractéristiques personnelles ne font généralement pas partie des variables dans la partie de l’enquête dédiée à la collecte des données socio-économiques sur les individus. Parallèlement au niveau de connaissance, il faut créer un ou plusieurs indicateurs relatifs à l’intérêt et à la sensibilité des individus pour des problématiques environnementales.

Une nuance est à apporter sur cet ou ces indicateurs individuels mesurant la sensibilité et l’intérêt pour l’environnement. Contrairement au niveau de connaissance, un facteur contextuel autre que personnel peut motiver l’intérêt et la sensibilité d’un individu à l’environnement. Le lieu d’habitation et le cadre de vie peuvent être des facteurs contextuels de la sensibilité ou de l’intérêt pour les problèmes environnementaux. En effet, une installation de traitement de déchets représente par exemple une source de pollution et de nuisances potentielles. Les riverains de cette installation sont exposés en permanence à ces nuisances et pollutions potentielles, susceptibles d’engendrer chez eux une défiance, rationnelle ou irrationnelle, vis-à-vis de l’installation de traitement. Cette défiance pourrait, dans une certaine mesure, les rendre plus sensibles à certaines problématiques environnementales comme l’atteinte à la santé humaine, si l’on se remémore notamment le débat sur les incinérateurs et les émissions de dioxines avant la parution en 2000 de la directive européenne réglementant de façon encore plus contraignante le traitement des fumées d’incinération12.

3-1-3 Effets d’apprentissage et de lassitude

Les effets d’apprentissage et de lassitude sont accentués lorsque l’exercice de choix est complexe (cf. paragraphes 2-3-1 et 2-3-2). La nature du sujet, à savoir les impacts environnementaux, ainsi que le format des cartes de choix sur ces impacts sont susceptibles de favoriser ces effets, et plus particulièrement celui de l’apprentissage. Les individus n’étant soumis qu’à cinq cartes de choix différentes, l’effet de fatigue n’est pas censé se manifester.

Au cours du processus itératif de choix des alternatives, les arbitrages des premières cartes de choix, admettons les deux premières, sont réalisés pour l’ensemble des enquêtés dans un contexte d’apprentissage de l’exercice et du sujet. Dès lors, la révélation des

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192 préférences associées à ces cartes de choix ne sont pas « véritables » et s’en trouvent biaisées. Les « véritables » préférences des individus ne sont exprimées que pour les choix situés au-delà de la deuxième carte [275]. Les deux premières cartes de choix aident les individus à mieux comprendre l’exercice de choix, mais ne permettent pas d’obtenir des préférences « véritables » [267]. Ce sont donc toujours les mêmes alternatives, celles présentes sur les deux premières cartes, qui se trouvent pénalisées.

Lors de la mise en œuvre de l’enquête, il faudra éviter de systématiquement condamner les alternatives des premières cartes de choix, pour lesquelles les préférences de ne sont pas « vraies », en raison des effets d’apprentissage (cf. partie 3-2).

3-1-4 Choix incohérents et préférences lexicographiques

Les problèmes de connaissance et de compréhension du sujet (cf. paragraphe 3-1-1), à savoir les impacts environnementaux midpoint issus de l’ACV, rendent l’exercice de choix de la MCM plus complexe. Cette complexité impacte sur les processus de choix des individus. Ces derniers peuvent adopter des choix lexicographiques [259] ou des choix incohérents [239] [259], en réponse à cette surcharge cognitive. Dans le cadre de l’étude, les individus sélectionnent en théorie leur alternative préférée sur chaque carte de choix au regard des trois attributs-impacts environnementaux et de l’attribut monétaire.

Il est possible que la médiatisation et la connaissance inégales des impacts environnementaux favorisent l’arbitrage au regard d’un seul attribut, et conduisent à des choix lexicographiques. L’arbitrage peut s’effectuer selon le montant de la TEOM uniquement, car elle est censée être la plus parlante étant donné que chaque foyer la paie, de façon directe ou indirecte. Cet arbitrage peut aussi ne s’appuyer que sur l’impact environnemental le plus médiatisé, à savoir l’augmentation de l’effet de serre ou sur celui le plus parlant : l’atteinte à la santé humaine.

Au contraire, les individus peuvent souhaiter intégrer dans leurs choix l’intégralité des attributs qui composent les alternatives, qu’ils pensent avoir une bonne ou mauvaise connaissance des impacts environnementaux. Pour chaque carte de choix, l’enquêté pense sélectionner l’alternative qui lui procure la plus grande satisfaction. D’une part, il se peut qu’il n’ait pas (ou mal) pris en compte toutes les informations données par la carte et que le choix qu’il ait effectué ne corresponde pas à ses réelles préférences. D’autre part, il est possible que

193 l’analyse de l’ensemble des choix de l’individu révèle des choix incohérents, tels qu’ils ont été définis dans le paragraphe 2-3-4.