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L’interprétation des résultats, la quatrième et dernière étape de l’ACV, demande aux praticiens d’exposer les limites spécifiques à la réalisation de l’ACV pour leur cas d’étude, afin de relativiser la portée de leurs résultats. De façon plus générale, l’ACV présente des limites inhérentes à la mise en œuvre de chacune de ses trois premières étapes, à savoir la définition des objectifs et du champ de l’étude, l’inventaire et l’évaluation des impacts.

2-2-1 Limites liées au champ et aux objectifs de l’étude

La mise en œuvre d’une ACV est « goal dependent ». Les hypothèses méthodologiques, et par conséquent les résultats, sont liés aux objectifs de l’ACV. Ce constat est d’autant plus vrai sur la première étape de l’évaluation, la définition des objectifs et du champ de l’étude, où le praticien de l’ACV doit effectuer des choix concernant l’unité fonctionnelle, la fonction, les frontières et les limites du système, qui doivent être compatibles avec les objectifs de l’étude [74]. Le choix de l’unité fonctionnelle ne dépend pas uniquement

64 du système étudié mais aussi des objectifs de l’évaluation. C’est ce qui rend cette tâche difficile et en fait un des problèmes méthodologiques clefs de l’ACV [75]. La définition des objectifs, du système, de son unité fonctionnelle et de ses frontières sont donc les points clés de cette première étape.

Les objectifs d’une ACV doivent être déterminés dans le but d’apporter des éléments de réponse à une question donnée. Il faut donc s’assurer, avant de définir les objectifs, que l’ACV permet de traiter la question posée d’une manière pertinente. Si cela est le cas, les objectifs retenus devront donc être en cohérence avec la question posée.

Le choix d’un objectif cohérent n’empêche cependant pas le praticien de choisir une unité fonctionnelle mal adaptée. La construction de l’unité fonctionnelle ne doit pas être sous-estimée, et cette dernière doit respecter les trois sous-unités précédemment décrites (cf. paragraphe 2-1-3). Une réflexion collective peut faciliter le choix et la construction d’une unité fonctionnelle appropriée.

Le choix des frontières fonctionnelles, temporelles et spatiales du système est également crucial pour la suite de l’ACV. D’une part, le praticien doit s’assurer que les frontières retenues sont en accord avec les objectifs de l’ACV et le choix de l’unité fonctionnelle. D’autre part, pour assurer la comparabilité de plusieurs alternatives, ces frontières doivent être semblables entre elles. Les frontières spatiales et temporelles sont implicitement liées aux caractéristiques de l’unité fonctionnelle, à savoir la fonction décrite et la durée du service. Les frontières fonctionnelles sont déterminées quant à elles par la fonction du système et les objectifs de l’étude.

Cependant, comme nous l’avons expliqué précédemment, les fonctions entre systèmes sont rarement strictement identiques, c’est pourquoi le praticien fait appel à des règles d’allocation. Si ces règles sont « pratiques » et permettent de mener entièrement une ACV, elles présentent néanmoins de nombreuses limites.

Quelle que soit la règle utilisée, l’allocation est une procédure arbitraire, même si le praticien essaie de choisir la règle qui lui paraît la plus juste et la plus appropriée [76]. En effet, la charge environnementale est répartie ou substituée selon certaines règles, mais celles-ci ne sont pas uniques. Elles peuvent notamment dépendre fortement de l’objectif et du champ

65 d’étude de l’ACV [77]. Parmi les règles d’allocation, il n’en existe pas de meilleure, même si la norme recommande de préférer l’extension des frontières à la répartition. Au contraire, Heijungs et Guinée [53] défendent l’allocation par répartition selon des critères physiques. Ils jugent certes cette procédure arbitraire mais honnête. En revanche, ils considèrent que la substitution est une méthode moins honnête car elle crée une situation virtuelle, avec des procédés substitués qui n’existent pas : « The essential feature of an avoided process is that it is not there ».

Toutefois, cette réflexion est à nuancer. D’une part, l’allocation par substitution est couramment pratiquée et semble inévitable lorsqu’il n’est pas possible, même virtuellement, de décomposer un procédé en plusieurs co-fonctions, comme cela est le cas en gestion des déchets. D’autre part, le choix des procédés substitués n’est pas réalisé au hasard même s’il peut être discutable. Les choix de substitution font en effet écho à l’approche conséquentielle de l’ACV [78] [79]. Concernant l’allocation, cette approche vise à utiliser l’extension de système pour répondre aux questions suivante : Par quoi les co-produits seraient-ils réellement substitués et quels sont les changements que cela entraînerait ? La quantification des émissions et des consommations des produits de substitution donne lieu à des impacts évités, de signe négatif. Le problème majeur de la substitution réside plus dans l’interprétation des impacts évités qu’elle occasionne (contrairement à la répartition) que dans le fait d’additionner ou de soustraire un ou des procédés au système étudié.

Finalement, aucun consensus n’est établi pour les règles d’allocation. La bonne pratique consiste pour l’instant à minima de mener une analyse de sensibilité sur la règle de répartition ou de substitution mise en œuvre.

2-2-2 Limites liées à l’inventaire

Lors de la phase d’inventaire, les intrants et les sortants du système sont quantifiés grâce au recueil de données. Cette tâche, en plus de s’avérer longue et fastidieuse, est une des principales causes de l’incertitude sur les résultats [73].

Les sources de données peuvent être très diversifiées. Les données peuvent en effet provenir de recherches bibliographiques, de bases de données, être expérimentales ou issues de campagnes de mesures in situ,… Cette pluralité des sources est une des premières causes de l’incertitude de l’inventaire car leurs représentativités technologique, temporelle et

66 géographique posent question face au manque d’information sur leur contexte d’utilisation qui n’est pas assez souvent spécifié. Il est également possible que des données soient indisponibles. Ces données manquantes sont alors comblées par des extrapolations ou des valeurs approximatives avec un degré élevé d’incertitude.

Les bases de données spécifiques à l’ACV sont généralement bien renseignées et mises à jour régulièrement. Ces bases de données servent essentiellement à construire l’arrière-plan d’un système (cf. partie 2-1-4), comme l’extraction, la fabrication et le transport de matières premières et d’énergie.

Elles doivent cependant être utilisées avec un certain regard critique. Les procédés issus de ces bases de données font souvent l’objet de règles d’allocation implicites et possèdent des frontières spécifiques qui ne correspondent pas nécessairement à celles que le praticien veut appliquer. De plus, quand le procédé en question fait appel à d’autres étapes en amont de son cycle de vie, il se peut que les émissions résultantes soient agrégées, dans le sens où il n’y a pas de distinction des contributions relatives du procédé étudié et des étapes en amont du cycle de vie. Néanmoins, dans la base de données Ecoinvent, les deux versions du procédé, unitaire et agrégée, sont généralement disponibles.

L’incertitude de l’inventaire se propage alors aux résultats de l’évaluation des impacts. Dans certains logiciels, comme GaBi ou SimaPro, il est d’ailleurs possible de renseigner soi-même la fiabilité des données d’inventaire par un indicateur qualitatif de couleur. Cet indicateur a un rôle essentiellement illustratif, mais il permet à minima d’avoir une vue d’ensemble sur la qualité des données utilisées pour la modélisation du système. La plupart des logiciels possèdent également des fonctions d’analyse de l’incertitude, soit grâce à des analyses de sensibilité classiques, soit grâce à des méthodes plus complexes comme l’analyse de Monte Carlo.

2-2-3 Limites liées à l’évaluation des impacts

Les limites de l’évaluation des impacts concernent essentiellement leur caractérisation. D’une part, ces limites sont liées au degré de modélisation des impacts dans la chaîne de cause à effet, avec le choix des approches midpoint ou endpoint. D’autre part, ces limites proviennent d’hypothèses relatives à la caractérisation de certains impacts, comme la possibilité de spatialiser certaines sources d’émission du système. Les principes et méthodes

67 liés à la pondération et à l’agrégation des résultats constituent l’autre catégorie principale de limites de la phase d’évaluation.

Plusieurs méthodes de caractérisation sont à disposition des praticiens. Mise à part la méthode USEtox recommandée par le Life cycle Initiative de l’UNEP/SETAC et l’ILCD Handbook [40] pour la toxicité humaine, il n’existe pas de préconisation quant à l’utilisation de ces méthodes et quant au choix d’une approche midpoint ou endpoint pour le niveau de modélisation des impacts dans la chaîne de cause à effet. Chacune de ces approches présente ses intérêts et ses limites, le choix revient donc au praticien. Par défaut, l’ILCD Handbook [39] recommande néanmoins l’utilisation de méthodes couvrant certaines catégories d’impact midpoint ainsi que les effets sur les trois aires de protection, déterminés par une approche endpoint. Les méthodes endpoint, en raison de leur agrégation des résultats selon trois aires de protection ou catégories de dommages, en facilitent a priori l’interprétation, mais réduisent la qualité de l’information par rapport aux méthodes midpoint [62]. Le débat se poursuit quant à l’utilisation de l’une ou l’autre méthode, qui sont conceptuellement différentes. En outre, d’une méthode à une autre, pourtant issues de la même approche, le nombre de catégories d’impacts peut varier, et la correspondance entre ces catégories d’impacts n’est pas toujours effective [73].

Par ailleurs, l’ACV est un outil qui traditionnellement ne traite pas la problématique de temporalité des émissions et des impacts [73]. L’inventaire des substances émises ne prend en compte ni les lieux ni les périodes d’émission. Cela repose sur l’hypothèse que la différentiation temporelle et spatiale des émissions est difficile à approcher mais est aussi peu pertinente dans une approche globale et non contextualisée, appelée Site Generic, telle que l’ACV [80]. Avec cette approche, l’évaluation est réalisée dans un environnement standardisé [35] afin de permettre une approche globale en cohérence avec la notion de cycle de vie, puisque que le système étudié est susceptible de rejeter des substances polluantes à divers endroits du globe. Or l’occurrence et l’intensité de certains impacts, comme les impacts locaux voire régionaux tels que la toxicité, l’écotoxicité, l’eutrophisation et l’acidification, dépendent fortement des caractéristiques spatio-temporelles de l’émission et du milieu impacté [81]. Pour ces impacts, la différentiation spatiale et temporelle des émissions doit permettre de tendre vers une meilleure appréciation de l’impact « réel » [81].

68 L’approche Site Generic était soutenue à ses débuts par certains praticiens de l’ACV [82]. Les premières méthodes de caractérisation n’ont pas intégré la spatialisation des impacts, en raison de la difficulté à réaliser un inventaire exhaustif prenant en compte la localisation géographique des sources d’émission [35].

L’approche Site Specific est à l’opposé de l’approche Site Generic. L’approche Site Specific est notamment appliquée pour les Etudes d’Impact car elles se concentrent sur un site connu et évalue les impacts de l’activité du site en fonction des caractéristiques locales du milieu environnant. Bien que cette approche permette une meilleure évaluation des impacts locaux, elle n’est pas adaptée à l’ACV qui est une analyse globale et partiellement décontextualisée [81].

Ne pouvant appliquer l’approche Site Specific, la communauté des praticiens de l’ACV a tenté de surmonté les limites de l’approche Site Generic en développant des méthodes de caractérisation basées sur une approche intermédiaire dite Site Dependent, notamment pour les impacts acidification et toxicité humaine (cf. Figure 16) [83] [55].

Figure 16 : Modélisation de l’impact selon les différentes approches de spatialisation, inspiré de [35]

La faisabilité de l’utilisation de l’approche Site Dependent en ACV a été démontrée par Potting et Hauschild [84] [85]. C’est une approche théorique qui intègre les caractéristiques du milieu dans l’étape de caractérisation dans le but d’améliorer la modélisation des impacts à caractère local. Cette caractérisation spatialisée des impacts nécessite de prendre en compte le lieu des émissions dans le calcul des facteurs de caractérisation. Ces lieux d’émission et leurs caractéristiques, pouvant être définis lors de l’inventaire, permettent de définir des facteurs de devenir, d’exposition et d’effet des substances [35]. Les méthodes de caractérisation endpoint USEtox [57], Impact 2002+ [65], Eco-Indicator 99 [64], et EDIP 2003 [86] sont construites selon cette approche Site Dependent. Approche Site Generic Approche Site Dependent Approche Site Specific

+ +

Simplification de

69 Cependant, l’approche Site Dependent telle qu’elle est appliquée dans les méthodes endpoint présente des limites. Ces limites sont liées d’une part à l’incertitude sur les résultats obtenus, et d’autre part à la non résolution dans son intégralité de la problématique de spatio-temporalité des impacts. En effet, l’étape de caractérisation selon l’approche Site Dependent agrège un grand nombre de paramètres en un seul indicateur, le facteur de caractérisation [35]. Ce point augmente l’opacité de la méthode et des résultats, comme cela a déjà été expliqué dans les limites des méthodes endpoint. En outre, comme le souligne Aissani [35], la question de spatio-temporalité des impacts concerne deux points : l’écart entre l’impact réel et l’impact potentiel calculé en termes « d’intensité », approché par les méthodes endpoint avec une approche Site Dependent, et l’occurrence de l’impact. Ce deuxième point n’est pas traité par ces méthodes. Pour tenter de résoudre ce problème, ainsi que la question de l’agrégation des paramètres dans l’étape de caractérisation, des chercheuses françaises [35] [87] ont récemment proposé d’intégrer le caractère spatio-temporel des émissions et des impacts dès la phase de classification.

Enfin, l’étape facultative de normalisation des impacts montre également des limites dans sa mise en œuvre. Le choix du système de référence pour calculer l’indicateur de catégorie normalisé peut mener à surestimer ou sous-estimer les résultats d’impact. Ce biais a d’autant plus de conséquences lorsque la normalisation n’est qu’une étape préalable à la pondération [70]. La question est donc de déterminer de manière transparente le système de référence retenu : référence industrielle, référence environnementale, référence contextuelle, et de vérifier que ce choix est en cohérence avec l’objectif poursuivi. En outre, le choix d’un système de référence implique que les données sont disponibles pour l’évaluer au regard des impacts proposés en ACV [62], ce qui n’est pas toujours le cas.

2-2-4 Conclusion

Après avoir présenté les principes de mise en œuvre de l’ACV selon un processus itératif en quatre étapes, les principales limites méthodologiques actuelles de la méthode ont été soulevées. Elles concernent les questions de règles d’allocation pour les systèmes avec co-fonction et l’évaluation spatio-temporelle des impacts. Ces limites constituent certes des axes de recherche en méthodologie pour l’ACV, mais elles ne sont pas pour autant un frein à son utilisation dans un contexte d’évaluation environnementale. Il avait d’ailleurs était indiqué

70 dans la première section de ce chapitre (cf. paragraphe 1-3-3) que l’ACV était l’un des outils les plus utilisés en gestion des déchets. Le point 2-3 suivant s’attache à analyser au travers d’études de cas publiées majoritairement dans des revues les spécificités des ACV de gestion de déchets, tant sur les quatre étapes de sa mise en œuvre que sur les difficultés méthodologiques.