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Si certains points concernant la construction du questionnaire ont largement été débattus et ont débouché sur des recommandations pratiques, comme cela a été vu dans la partie 2-2, d’autres limites relatives à la MCM ont été soulevées et ne sont pas intégralement résolues, même si des pistes de proposition ont pu être formulées.

Dans la théorie économique de la maximisation de l’utilité, les individus sont supposés, dans un processus de choix répétés, toujours choisir l’alternative qui leur procure la plus grande satisfaction, et cela quel que soit le contexte. Cependant, la mise en œuvre de MCM montre certaines limites au regard de cette théorie économique. Ces limites concernent principalement les processus de choix des enquêtés et ne sont pas spécifiques a priori au contexte de monétarisation des impacts environnementaux midpoint. La complexité de l’exercice de choix, les effets d’apprentissage et de lassitude, les préférences lexicographiques, et les choix incohérents sont autant de points qui affectent le mécanisme de choix de l’individu, et sur lesquels l’enquêteur semble avoir peu d’emprise.

2-3-1Complexité de l’exercice de choix et charge cognitive

Les multiples avantages que possède la méthode des choix multiples par rapport à la méthode d’évaluation contingente peuvent être en partie contrebalancés par le problème de complexité de l’exercice de choix, qui est absent dans la méthode d’évaluation contingente. La complexité de l’exercice de choix n’est pas une limite propre à la méthode de monétarisation par les choix multiples, elle est en revanche présente dans tout processus de choix ou de décision non trivial impliquant une certaine quantité d’information [256]. Elle est susceptible d’impacter dans un premier temps le processus de choix des individus, et dans un second temps les estimations et les conclusions déduites de ces processus de choix.

Dans la méthode des choix multiples (MCM), trois facteurs sont essentiellement mis en cause dans la complexité de l’exercice de choix. Il s’agit de la complexité intrinsèque au sujet traité, de la construction des cartes de choix et enfin de la quantité d’information

181 apportée. Il va de soi que si le sujet de la MCM traite des questions techniques, scientifiques, et éloignées des préoccupations des individus, l’exercice de choix associé sera difficile pour les enquêtés. Outre la nature du sujet, la construction et le format des cartes de choix semblent influencer la charge cognitive des enquêtés [257] [258] [259]. Une augmentation du nombre d’alternatives et du nombre d’attributs, ainsi que la variation des niveaux d’attributs entre les alternatives sont les principaux éléments de la construction et du format des cartes de choix impliqués dans la complexité de l’exercice de choix. Enfin, d’une manière générale, une trop grande quantité d’information, qu’elle soit rendue nécessaire par la nature de sujet ou engendrée par le format du questionnaire (alternatives et attributs nombreux), complexifie l’exercice de choix [260] [258] [187]. Cette surcharge d’information est alors perçue comme une difficulté cognitive pour l’enquêté, même si Hensher [258] affirme qu’une plus grande quantité de détails dans une carte de choix n’implique pas nécessairement un exercice de choix plus complexe.

Pour faire face à la surcharge cognitive, l’individu va traiter l’information dont il dispose pour effectuer ses choix de différentes manières. Il peut mettre en œuvre des règles de décision pour simplifier son processus de choix, en ignorant par exemple certains attributs. Dans ce cas, l’enquêté effectue des choix lexicographiques [261] [260] (cf. paragraphe 2-3-3). Il peut au contraire souhaiter traiter l’intégralité des informations sur sa carte de choix et cela peut conduire à des choix erronés et incohérents [261] [260] [258] (cf. paragraphe 2-3-4). En outre, des effets d’apprentissage et de lassitude (cf. paragraphe 2-3-2) peuvent être accentués par la complexité de l’exercice de choix [187] [258], conduisant à un processus de choix fluctuant dans le temps. Ces processus de traitement de l’information posent problème dans le sens où l’individu ne se comporte plus comme un agent de la théorie économique standard. Les estimations des CAP, déduits des processus de choix dans le cadre d’une MCM, peuvent être faussées [260].

Les conséquences de la complexité de l’exercice de choix dans une MCM sont abordées dans les paragraphes suivants.

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2-3-2Effet d’apprentissage et de lassitude

Les effets d’apprentissage et de lassitude, avant d’être étudiés dans la MCM, ont d’abord été mis en évidence par la psychologie mentale lors de processus de choix répétés, en dehors de tout cadre économique [262]. Ils ont ensuite été constatés dans la mise en œuvre de la MCM [263] [264] [265]. La complexité du sujet et de l’exercice de choix, évoquée dans le paragraphe précédent, peut en outre accentuer ces effets d’apprentissage et de fatigue ou lassitude.

L’effet d’apprentissage correspond à la période de temps nécessaire et incompressible au cours de laquelle l’individu se familiarise avec les cartes de choix et l’information qu’elles contiennent. Cela suppose que plusieurs cartes de choix sont nécessaires pour que l’individu exprime ses vraies préférences [266] [267], qui seront alors cohérentes et stables. En d’autres termes, les préférences des individus sont supposées converger au bout de plusieurs choix successifs vers un état stable, être cohérentes et non biaisées. Les choix effectués en premier sont alors considérés comme de moins bons indicateurs des préférences que les derniers, car les individus sont encore en phase d’apprentissage. L’effet d’apprentissage peut être lié à une meilleure compréhension de l’exercice de choix et à une meilleure connaissance des valeurs [264] [268]. Le premier cas consiste, pour une MCM, à mieux comprendre, au cours du déroulement de l’exercice, la construction et le fonctionnement des cartes de choix. Dans le second cas, les individus apprennent à mieux connaître au fur et à mesure de l’exercice de choix leurs préférences et les valeurs qu’ils accordent à chaque attribut de la MCM. L’effet d’apprentissage peut se mesurer dans le terme d’erreur de la fonction d’utilité retenue pour estimer les CAP des individus. L’effet d’apprentissage conduirait à faire des choix plus sûrs et plus précis, dont la conséquence est une diminution de la variance du terme d’erreur avec le nombre de cartes déjà présentées [267]. Cependant, même si cet effet existe, il ne semble pas avoir d’impact sur les paramètres estimés, du moins pas de manière significative.

A l’opposé de l’effet d’apprentissage se situe l’effet de fatigue ou de lassitude. Celui-ci intervient à partir d’un certain nombre de choix successifs, et plutôt à la fin de l’exerCelui-cice de choix. Au-delà de ce nombre, les choix des individus sont moins sûrs, moins précis et ne correspondent plus à leurs « véritables préférences ». Les enquêtés se fatiguent ou se lassent de l’exercice à partir d’un certain nombre de cartes, et mettent alors en œuvre des processus de choix simplifiés pour répondre. Cet effet semble être accentué par la complexité d’un sujet

183 et par la longueur de l’exercice de choix, en termes de nombre de cartes. Comme l’effet d’apprentissage, la fatigue et la lassitude peuvent se mesurer par la variance du terme d’erreur de la fonction d’utilité. En présence de fatigue ou de lassitude, les individus sont supposés faire des erreurs dans leurs choix par rapport à leurs véritables préférences. Cela implique que la variance du terme d’erreur augmente au-delà d’un certain nombre de cartes déjà présentées [269] [270].

2-3-3Préférences et choix lexicographiques

Dans la MCM, les préférences lexicographiques correspondent aux préférences des individus qui choisissent de manière cohérente et consciente une alternative sans tenir compte de l’ensemble des attributs présents sur la carte de choix [271]. Il faut toutefois faire la distinction entre préférences et choix lexicographiques [261], ces derniers n’impliquant pas nécessairement des préférences lexicographiques. Les choix lexicographiques peuvent effectivement être causés par de réelles préférences lexicographiques, mais ce n’est pas la seule raison. Les choix lexicographiques résultent également de processus de simplification du choix lorsque l’enquêté juge l’exercice trop difficile, de comportements stratégiques des enquêtés, ou du format de la carte de choix [259]. Il semblerait en effet que la mise en œuvre de processus de simplification de choix augmente avec le nombre d’attributs présents sur les cartes de choix, et avec le niveau de méconnaissance des enquêtés sur les attributs présentés [259]. Enfin, un exercice de choix et une enquête complexes semblent favoriser la mise en place de choix lexicographiques, permettant de réduire les efforts cognitifs des enquêtés.

Même si ces choix lexicographiques sont assez courants dans l’application de la MCM aux problématiques environnementales, ces comportements sont difficilement mesurables [271]. Pour détecter les choix lexicographiques, plusieurs approches sont possibles. Une première approche consiste à introduire des questions attitudinales propres au processus de choix dans la dernière partie du questionnaire. C’est une technique adoptée pour détecter les choix lexicographiques conscients et déclarés par les enquêtés [187]. Une seconde approche vérifie que les choix des individus sur leurs cartes de choix correspondent aux principes de la théorie économique standard, et notamment l’axiome de continuité. Dans ce cas, ce sont les choix lexicographiques apparents et pas nécessairement conscients qui sont mis en évidence [187]. L’axiome de continuité est en effet un principe de la théorie économique standard qui est souvent violé en présence de choix lexicographiques [272]. L’axiome de continuité suppose que la diminution de la quantité d’un bien peut être compensée par l’augmentation

184 d’un autre bien pour maintenir un niveau d’utilité constant. Une troisième approche est de révéler la présence de choix lexicographiques par l’analyse de la variance du terme d’erreur dans la fonction d’utilité, qui est plus grande pour un individu ayant des choix lexicographiques. Cependant, l’augmentation ou la diminution de la variance du terme d’erreur ne sont pas uniquement dues aux choix lexicographiques, comme cela a été évoqué dans le paragraphe 2-3-2. Enfin, l’impact des choix lexicographiques dans la littérature est nuancé. Si récemment Rulleau et Dachary-Bernard [273] ont montré sur leur cas d’étude que les préférences lexicographiques ont un impact sur la probabilité de choix, elles n’ont en revanche pas observé de différences significatives pour les CAP estimés. Saelensminde [259] pense au contraire que les choix lexicographiques peuvent mener à une estimation biaisée de CAP liés à des biens ou services environnementaux.

2-3-4Cohérence des choix avec les fondements théoriques de la MCM

La MCM s’appuie sur la théorie du consommateur (cf. paragraphe 2-1-1-1) et suit l’approche néo-classique des préférences [223]. Cette approche suppose que les individus effectuent des choix rationnels respectant les axiomes de complétude et de transitivité. L’axiome de complétude suppose que l’individu est capable d’établir de manière certaine une relation de préférence pour ses choix de consommations [187]. En d’autres termes, pour tout bien, soit l’individu préfère X à Y (X>Y), soit l’individu préfère Y à X (Y>X) [223]. L’axiome de transitivité implique que pour tout bien X, Y, et Z d’un panier de consommation C, si X est préféré à Y (X>Y) et Y est préféré à Z (Y>Z), alors X est préféré à Z (X>Z).

Conformément à la théorie, tout individu dont les choix ne respectent pas ces deux axiomes est supposé irrationnel. Pourtant, au regard de nombreux cas d’études empiriques, les préférences ne sont pas toujours cohérentes avec cette théorie du consommateur [274]. Alors que par le passé, les choix découlant de préférences reconnues comme irrationnelles étaient souvent supprimées de l’analyse économétrique [223], certains auteurs [223] [274] [273] remettent en question l’élimination de telles préférences dans l’analyse, et cela pour plusieurs raisons. Les préférences irrationnelles ne peuvent être qu’apparentes, et être causées en réalité par une construction du questionnaire inadéquate. En outre, supprimer ces réponses apparemment irrationnelles revient à retirer des réponses valides de l’analyse, ce qui d’une part peut représenter un biais d’échantillonnage, et d’autre part conduit à diminuer l’efficacité statistique de l’analyse [223]. Les choix irrationnels, du moins en apparence, semblent

185 inévitables avec une MCM ; l’idée serait donc plutôt d’intégrer ces comportements en modifiant les modèles économétriques.

Par ailleurs, des principes autres que la rationalité sont supposés être respectés dans la mise en œuvre d’une MCM. Ces principes concernent les axiomes de monotonicité, de convexité et de continuité [223] (cf. partie 2-1-1-1). Le respect du principe de cohérence ou de stabilité est également attendu [263] [187]. Ce dernier suppose quant à lui que les individus ont des choix stables dans le temps. Le non respect de ces principes ne constitue pas un obstacle à l’obtention de choix rationnels. Cependant, ils limitent la mise en œuvre de l’analyse économétrique. Ainsi, les choix lexicographiques ne satisfont pas à l’axiome de continuité mais peuvent être rationnels. Or l’axiome de continuité est nécessaire en théorie pour calculer les taux marginaux de substitution entre attributs d’une MCM [274], sans quoi les CAP ne peuvent être estimés. Ces écueils semblent inévitables lorsque la MCM attrait à des sujets complexes, même si le soin et l’attention apportés à la construction du questionnaire semblent réduire ces choix non conformes.

2-4 Conclusion

La MCM présente un intérêt pour son application à des résultats d’impact essentiellement pour trois raisons. D’une part, elle permet une évaluation ex ante de scénarios hypothétiques, conforme à l’évaluation environnementale par ACV de scénarios de gestion de déchets fictifs et prospectifs. D’autre part, elle propose une approche multidimensionnelle de l’environnement, rendant possible la monétarisation simultanée de plusieurs impacts environnementaux issus de la gestion des déchets. Enfin, la MCM évalue l’ensemble de la VET des biens environnementaux associés aux impacts et ne se limite pas à certaines valeurs spécifiques comme les méthodes de « choix effectif » (cf. paragraphes 1-2-1 et 1-2-2).

En outre, le cadre théorique de la MCM, basé sur la théorie de Lancaster et la théorie de l’utilité aléatoire, rend cette méthode compatible avec la théorie du bien-être et l’estimation de CAP individuels pour l’amélioration quantitative d’impacts environnementaux.

Cependant, l’étude du protocole de mise en œuvre de la MCM, général et spécifique à la monétarisation des impacts environnementaux, a mis en évidence la complexité de cette méthode, tant dans la construction de l’enquête, que dans sa réalisation, puis dans l’exploitation de ses résultats économétriques. Des points méthodologiques d’ordre général encore non résolus sont susceptibles d’être rédhibitoires lors de l’application de cette méthode

186 aux impacts environnementaux issus d’une ACV. La partie suivante présente des propositions d’adaptation de la MCM pour les impacts environnementaux de la gestion des déchets issus d’une ACV.

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3- Propositions d’adaptation de la méthode

Les limites méthodologiques de la MCM sont liées principalement aux processus de choix effectifs des enquêtés et à leur influence sur l’estimation des CAP. Certaines de ses limites apparaissent comme rédhibitoires lorsqu’il s’agit d’appliquer la MCM à des impacts environnementaux midpoint issus d’une ACV. Dans un premier temps, ces limites doivent être identifiées, afin de proposer ensuite pour celles-ci des pistes d’action relatives à la construction et à la réalisation du questionnaire visant à les réduire. Toutefois, ces propositions d’adaptation ne sont pas exhaustives. D’autres limites méthodologiques liées à la MCM en général et à son application particulière aux impacts environnementaux demeurent en suspens. A défaut d’être traitées, ces limites sont exposées et discutées à l’issue de cette partie.