Chapitre 1 : Les bassins à boues sidérurgiques, objets privilégiés pour la compréhension
I.4. Quelles méthodes pour l’étude de la pédogenèse des Technosols ?
Certaines particularités des Technosols (e.g. forte hétérogénéité des matériaux, courte durée de
pédogenèse) rendent difficile l’étude des processus pédogénétiques dans ces sols. Il en résulte, encore
plus que pour les sols naturels, le besoin de coupler différentes approches à plusieurs échelles d’étude.
Ce paragraphe n’a pas vocation à constituer une liste exhaustive des méthodes pouvant être utilisées
pour étudier les Technosols et leur pédogenèse. Il reprend certaines méthodes d’étude des sols
classiques qu’il confronte aux particularités des Technosols et présente d’autres méthodes,
d’évaluation des risques environnementaux ou de traçage qui peuvent se révéler utiles pour étudier les
Technosols. Certaines méthodes, utilisées dans le cadre de la thèse, y sont décrites plus en détail.
I.4.1. Méthodes d’étude des sols classiques et de l’évaluation environnementale
Les processus pédogénétiques peuvent être appréhendés à partir de l’étude détaillée des profils de
sols, par comparaison avec les matériaux parents non altérés (van Breemen et Buurman, 2002). Le
développement d’horizons est observable sur un Technosol construit après quelques années
d’évolution (Séré et al., 2010). Cependant, cette approche à partir de l’étude du profil est souvent
difficile sur les Technosols en raison de leur forte hétérogénéité spatiale, e.g. stratification des sols
miniers par apports successifs de stériles (Schafer et al., 1980) et de la composition initiale des
matériaux parents souvent inconnue.
La structure et en particulier la micromorphologie donnent des informations sur les processus
impliqués dans la formation du sol (Bullock et al., 1985). L’analyse des microstructures peut s’avérer
utile pour comprendre la succession de processus impliqués dans la formation de ces sols. De même,
l’étude des phénomènes d’agrégation, en tant que témoins de l’évolution du sol et indicateurs de son
fonctionnement, se révèle pertinente pour mieux comprendre les Technosols (Monserié et al., 2009).
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Les transformations minérales sont souvent peu considérées malgré leur potentialité à être des
indicateurs de pédogenèse des Technosols (Uzarowicz et Skiba, 2011). En général, l’altération des
matériaux technogéniques (e.g. sous-produits de la métallurgie, résidus d’incinération, particules
émises par des fonderies) sous l’influence des facteurs environnementaux est étudiée dans un cadre
d’évaluation des risques environnementaux liés au devenir des contaminants qu’ils contiennent.
Cependant, ces travaux montrent de fortes transformations des phases primaires et la formation des
phases secondaires (Mahé-Le Carlier et al., 2000; Ettler et al., 2001; Ettler et al., 2003). La
caractérisation des constituants minéraux et de leurs transformations, couplée avec une approche
historique, peut se révéler un outil utile pour tracer les procédés industriels et donc les sources des
matériaux technogéniques (Vassilev et Vassileva, 1996; Gregurek et al., 1998). L’approche
minéralogique peut également être utilisée pour décrire des séquences d’altération de matériaux en
conditions naturelles dans le but de prédire leur comportement à long terme (e.g. Yvon et al., 2006;
Saffarzadeh et al., 2011; Lanteigne et al., 2012).
La minéralogie des matériaux technogéniques se révèle complexe et requiert une combinaison de
techniques. Parmi elles, l’utilisation des extractions de Tamm (oxalate(o)) (Tamm, 1922) et de
Mehra-Jackson (citrate-bicarbonate-dithionite(d)) (Mehra et Mehra-Jackson, 1960), classiquement utilisées en
pédologie pour étudier les formes d’Al, Si, Fe et Mn, peuvent se révéler intéressantes pour l’étude de
phases non ou mal cristallisés de ces éléments et comme indicateurs de pédogenèse. Ainsi, le rapport
Fe
d/Fe
osemble être un bon indicateur des processus d’altération dans les Technosols se développant
sur des stériles miniers contenant des sulfures de Fe (Uzarowicz et Skiba, 2011). Les Technosols
pouvant contenir de fortes teneurs en métaux, par conséquent il pourrait être envisagé d’étudier l’état
chimique d’autres éléments que le Fe.
Les flux d’éléments, résultant des processus d’altération et de transport, renseignent également sur la
pédogenèse (Chadwick et al., 1990). Ainsi, la lysimétrie couplée à l’analyse des percolats et de la
solution de sol, peut être un outil pertinent pour suivre l’évolution des Technosols sous l’influence des
facteurs environnementaux (Séré et al., 2010).
I.4.2. Méthodes de traçage et de datation
Les méthodes de traçage des sources, d’isotopie et de datation, couplée avec une approche historique,
peuvent se révéler intéressantes pour distinguer les différentes origines et processus (technogéniques
versus naturels) à l’œuvre dans les Technosols.
Géochimieélémentaire
Les teneurs et la distribution des éléments dans les sols sont la conséquence de différents facteurs dont
la nature de leurs matériaux parents, les processus d’altération qu’ils subissent, les cycles
biogéochimiques des éléments ainsi que les apports extérieurs naturels ou issus de l’activité humaine.
L’importance relative de ces facteurs dépend du degré d’évolution du sol, l’influence du matériau
parent étant plus grande pour les sols jeunes ainsi que de la mobilité des éléments dans le sol et des
facteurs environnementaux (Martinez-Cortizas et al., 2007). L’étude de la composition et de la
répartition des éléments constitue un outil pour essayer de comprendre l’origine des matériaux du sol
et les processus à l’œuvre dans le sol à partir de leur signature géochimique, à l’image des méthodes
utilisées pour tracer les processus géologiques (Rollinson, 1993). Le calcul d’indices d’altération le
long du profil est rendu difficile par les apports de matériaux récents.
Approche de traçage des matières organiques
L’origine des composés organiques du sol peut être tracée en utilisant des marqueurs moléculaires ou
biomarqueurs. Cette méthode est basée sur la potentialité de certaines molécules à être spécifiques
d’une source et à se conserver dans le temps (Eganhouse, 1997). La présence, la structure ou la
distribution de ces composés, caractérisée par des rapports de concentration, permet de comparer les
apports de matières organiques naturelles et anthropiques et de différencier des sources anthropiques
(pétrogénétique, pyrogénétique, eaux usées) (Jeanneau et al., 2008; Jeanneau et al., 2010). Cette
approche ne peut s’appliquer qu’aux molécules qui n’ont pas une polarité ou une masse moléculaire
trop forte pour être analysées par CPG-SM ou qui sont liées par liaison covalente aux macromolécules
du sol (Jeanneau, 2007).
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Marqueurs de matières organiques naturelles
La matière organique naturelle est caractérisée par la prédominance paire de n-alcanols et d’acides n
-alcanoïques. Les composés de haut poids moléculaire (plus de 20 atomes de C) sont typiques de la
matière organique d’origine végétale (Matsuda et Koyama, 1977; Simoneit, 1986) et ceux de bas poids
moléculaire de matière organique d’origine microbienne et/ou aquatique (Cranwell, 1974). Cependant,
les acides n-hexadécanoïque et n-octadécanoïque (C
16:0et C
18:0) ne constituent pas des molécules
spécifiques car elles peuvent être présentes à la fois dans des végétaux (composés de la cire des
cuticules) (Matsuda et Koyama, 1977) et dans des matériaux anthropiques (Rogge et al., 1993).
Les n-alcanes peuvent provenir de l’apport de matières organiques naturelles (bactéries,
cyanobactéries, algues, zooplancton ou végétaux supérieurs) (Blumer et al., 1971) mais aussi de
matière organique pétrogénétique. Cependant, leur distribution renseigne sur leur origine puisque la
prépondérance des n-alcanes impairs sur les n-alcanes pairs, caractéristique de la distribution des
matières organiques naturelles, a tendance à s’atténuer au cours de la formation de la matière
organique pétrogénétique) (Philp, 1985). La prédominance impaire-paire peut être appréciée par le
Carbon Preference Index (CPI) à partir des teneurs en n-alcanes selon la formule suivante (Bray et
Evans 1961) :
[(
) (
)] (Équation 1)
Il est proche de 1 pour la matière organique pétrogénétique et supérieur à 5 pour la matière organique
naturelle (Eglinton et Hamilton, 1967). Leur distribution en termes de poids moléculaire permet
également de différencier les sources d’apports naturels, les distributions centrées sur des n-alcanes de
moins de 24 C étant plutôt caractéristiques des bactéries, cyanobactéries, algues et zooplanctons et
celles dominées par n-C
27, n-C
29et n-C
31des végétaux supérieurs (Caldicott et Eglinton, 1973).
La présence de stérols dont le sitostérol et le sigmastanol, composés provenant des membranes
végétales (Hartmann, 1998) et de produits de dégradation de la chlorophylle tels que le phytol et ses
produits de dégradation (phytone, phytadiène et néophytadienes) sont également des marqueurs de
matière organique végétale.
Marqueurs de sources de matières organiques anthropiques
Les analyses moléculaires permettent de différencier certaines sources de matières organiques
anthropiques et notamment les composés pétrogénétiques, qui signent la présence de matière
organique fossile, des composés pyrogénétiques issus de procédés de combustion (Jeanneau, 2007 ;
Jeanneau, 2008).
Certains composés aliphatiques sont des biomarqueurs pétroliers tels que les isoalcanes (dont le
pristane et le phytane) et les cycloalcanes, dont la présence se traduit par une déformation de la ligne
de base sur le chromatogramme, appelée unresolved complex mixture (UCM) (Gough et Rowland,
1990). Les stéranes, les diastéranes et les triterpanes tri-, tétra et pentacycliques (Peters et Moldowan,
1993)sont également des biomarqueurs pétroliers. Une distribution des n-alcanes sans prépondérance
paire-impaire, reflétée par un CPI proche de 1 pour les n-alcanes de haut poids moléculaire, est
également typique des matières organiques fossiles (Koma et al., 2001; Kaplan et al., 2001).
Parmi les composés aromatiques, les oxaarènes (analogues oxygénés des hydrocarbures aromatiques
polycycliques ou HAP) et les thiaarènes (analogues soufrés des HAP) sont des marqueurs
pétrogénétiques alors que la présence de cétones aromatiques indique également une origine
pyrogénétique. Les HAP peuvent être d’origine pétrogénétique ou pyrogénétique. Selon la
classification proposée par Stout et al. (2004), les HAP de bas poids moléculaires (naphtalène,
acénaphtène, acénaphtylène et fluorène) ainsi que les HAP alkylés seraient issus de matière organique
fossile tandis que les HAP de haut poids moléculaire (dont anthracène, fluoranthène, pyrène,
benzo(a)anthracène, chrysène, benzo(b)fluoranthène, benzo(k)fluoranthène, benzo(a)pyrène,
indeno(1,2,3-cd)pyrène, dibenzo(a,h)anthracène et benzo(ghi)pérylène) seraient plutôt des marqueurs
de combustion. La différence entre ces deux sources peut également être appréciée à partir de rapports
de teneurs de deux HAP isomères de même masse moléculaire (phénanthrène/anthracène et
benzo(a)anthracène/chrysène) en se basant sur l’hypothèse que les procédés de combustion entraînent
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des réactions rapides favorisant la formation de l’isomère le moins stable par rapport aux processus
longs de diagenèse et de catagenèse qui favoriseraient la formation de l’isomère le plus stable
(Budzinski et al., 1997; Yunker et al., 2002) (Tableau 1). D’autres rapports d’isomères
(fluoranthène/pyrène et indeno(1,2,3-cd)pyrène/ benzo(ghi)pérylène) permettent de différencier les
types de combustion en se référant aux valeurs obtenues pour les sources pures (Yunker et al., 2002)
(Tableau 1).
Tableau 1 : Rapports de teneurs en hydrocarbures aromatiques polycyliques (HAP) utilisés pour
différencier les origines pétrogénétique et pyrogénétique des HAP (Budzinski et al., 1997; Yunker et al.,
2002)
Rapport Valeur Source
An/An+Ph < 0,1 pétrogénétique
> 0,1 combustion
Fl/Fl+py
<0,4 pétrogénétique
0,4 à 0,5 combustion de combustible fossile liquide
> 0,5 combustion de bois, d’herbes et de charbon
IP/IP+Bghi
<0,2 pétrogénétique
0,2 à 0,5 combustion de combustible fossile liquide
> 0,5 combustion de bois, d’herbes et de charbon
BaA/BaA+Chr
< 0,20 pétrogénétique
0,20 à 0,35 pétrogénétique ou combustion
> 0,35 combustion
Ph/An > 10 pétrogénétique
< 10 combustion
Fl/Py > 1 combustion (charbon)
I.4.3. Expériences d’altération et analogie avec des sols naturels
Pour comprendre les processus pédogénétiques à l’œuvre dans les Technosols et leur évolution, des
expériences d’altération accélérée des matériaux technogéniques peuvent être réalisés. Par exemple,
l’altération des matériaux sous l’influence des exsudats racinaires peut être simulée par des
expériences en colonne (chromatographie éluto-frontale), qui, couplée avec une approche
modélisatrice, permettent de mieux appréhender les processus majeurs d’altération (Scholtus et al.,
2009).
L’analogie avec les sols naturels peut également contribuer à une meilleure prédiction de l’évolution
des Technosols. Par exemple, pour les matériaux excavés, une approche prédictive consiste à établir
une comparaison entre le matériau excavé et des sols, qui se sont développés sur des matériaux
similaires (Scholtus, 2003). Le parallèle entre l’altération de matériaux technogéniques (e.g. cendres
de charbon) et de matériaux naturels (e.g. cendres volcaniques) permet de bénéficier des connaissances
sur les processus pédogénétiques des sols naturels pour mieux comprendre ceux des Technosols
(Zevenbergen et al., 1999).
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Dans le document
Formation, fonctionnement et évolution d'un Technosol sur des boues sidérurgiques
(Page 31-35)