Chapitre 2 : Matériels et méthodes
I.2. Historique du site
I.2.1. Historique du complexe sidérurgique de Pompey-Frouard-Custines
Le complexe sidérurgique de Pompey-Frouard-Custines, qui a fonctionné de 1872 à 1986, est connu
pour avoir fourni les 7000 tonnes de métal nécessaires à la construction de la tour Eiffel ainsi que pour
sa production de fontes et d’aciers spéciaux.
En 1872, suite à l’annexion de la Moselle par les Allemands, M. Dupond et M. Dreyfus installent
l’usine d’Ars sur Moselle sur le site de Pompey, qui a l’avantage d’être près de la Moselle et de la voie
ferrée. Les deux premiers hauts-fourneaux furent allumés en 1874 et 1875 et l’aciérie Martin en 1888.
L’aciérie Thomas, permettant l’utilisation du minerai de fer lorrain phosphoreux, fut mise en marche
en 1895 et deux autres hauts-fourneaux furent construits en 1900 et 1906.
Suite à la première guerre mondiale, durant laquelle l’usine a été momentanément arrêtée, une
deuxième aciérie Martin est construite et l’usine commence à produire des fontes spéciales. La
production de ferromanganèse, ferro-alliage riche en manganèse (Mn), au haut-fourneau durera de
1922 à la fermeture de l’usine en 1986 (Truffaut, 2004).
A partir de la création d’un service de recherche en 1932 et de la construction d’un four électrique en
1939, un vaste programme de modernisation et de conversion de l’usine pour la production d’aciers
spéciaux se met en place après la seconde guerre mondiale. En 1963, l’usine compte 5240 salariés et
s’engage dans la production d’aciers spéciaux avec la mise au point d’un nouveau procédé (Lindz
Donavitz Pompey) et l’installation d’une aciérie à l’oxygène (plaquette SNAP, 1963 ; Geindre, 1966;
Gerber, 2005) (Figure 2).
La crise de la sidérurgie débute à la fin des années 60 et l’utilisation du minerai de fer lorrain cesse en
1973 au profit de minerais étrangers. Malgré des records de production en 1974 et de nombreux plans
sociaux signés, les installations de l’usine ferment progressivement dans les années 80 jusqu’à l’arrêt
du dernier haut-fourneau en 1986.
Depuis cette date, les trois plateformes principales (le Pré à Varois, le site de l’usine et le
Ban-la-Dame) ont été acquises par l’Etablissement Public Foncier Lorrain (EPFL) et un programme
d’aménagement du site et de reconversion du personnel a été entrepris. Toutes les installations
sidérurgiques ont été progressivement démolies et le site s’intègre au parc d’activités et à la
plate-forme multimodale, qui s’étendent de Custines à Champigneulles et accueillent aujourd’hui près de
150 entreprises. Un plan d’aménagement paysager (rectification des berges de la Moselle,
remblaiement des friches pour rendre les terrains constructibles, plantations) a également été mené
dans les années 90 pour requalifier le site (Figure 1.d.)
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Figure 2 : Vues aériennes de l’usine sidérurgique en 1963 (a) et des hauts-fourneaux dans les années 50 (b)
(tirées de Gerber, 2005)
I.2.2. Historique des approvisionnements
La charge des hauts-fourneaux était composée des minerais de Fe et de Mn dans le cas de la
production de ferromanganèse, d’agglomérés, de coke en tant que combustible et de fondant, ajouté en
vue d’améliorer la fusion de la gangue et des cendres et éventuellement d’autres additifs.
Minerais de Fe : l’usine de Pompey a été approvisionnée avec du minerai de fer lorrain jusqu’en 1972,
date à partir de laquelle les hauts-fourneaux ont été alimentés par des minerais brésiliens, australiens et
mauritaniens plus riches en Fe et en hématite et non phosphoreux (Geindre, 1966). Le bassin ferrifère
lorrain, formé au Jurassique (Aalénien), s’étend de la Belgique au Sud de Nancy. Une discontinuité le
sépare en deux parties : le bassin de Briey au Nord et celui de Nancy au Sud, de moindre importance.
D’origine sédimentaire, le gisement présente une dizaine de couches de minerai de un à quelques
mètres d’épaisseur alternées avec des lits de marnes sur plus de 60 m dans le bassin de Briey et sur
12 m seulement dans le bassin de Nancy (Rideau, 1956; Rogé, 1982 ; Atelier Mémoire Ouvrière).
Plusieurs concessions du bassin de Nancy ont alimenté l’usine de Pompey : celle de Ludres de 1873 à
1932, celle de Faulx de 1900 à 1938 puis celle de Saizerais de 1957 à 1973. Le minerai de fer exploité
dans les concessions de Giraumont, au Nord-Est de Conflans-Jarny et de La Mourière à Piennes,
situées dans le bassin de Briey au Nord du bassin ferrifère lorrain a également été utilisé dans les
usines de Pompey à partir respectivement de 1896 et 1910 (Geindre, 1966; Berrar, 2011).
Le minerai de fer lorrain est caractérisé par ses teneurs en Fe relativement faibles (30-35 %), d’où sa
dénomination de « minette » et ses teneurs importantes en P, qui ont impliqué le développement de
procédés sidérurgiques adaptés (procédé Thomas) pour qu’il puisse être utilisé. Il se présente sous
forme d’oolithes, grains ovoïdes de 200 à 500 µm constitués de fines concrétions successives de
goethite autour d’un noyau (grain de fer, fragment d’oolithe, grain de quartz ou fragment de coquille
ou de test). Le ciment interoolithes est principalement constitué de calcaire et de silice, leur proportion
variant selon les couches (Rideau, 1956; Rogé, 1982 ; Atelier Mémoire Ouvrière).
Minerais de Mn : la fabrication du ferromanganèse nécessite l’utilisation de minerais de Mn (à 40 % et
plus) et de minerais de Fe, dans le cas où le minerai de Mn ne contiendrait pas suffisamment de Fe.
Les minerais de Mn consommés par la sidérurgie française étaient importés de divers pays (Russie,
Inde, Afrique de l’Ouest, Brésil, Afrique du Sud, Australie, Maroc) suivant l’évolution du marché
international (Truffaut, 2004).
Agglomérés : l’usine de Pompey n’était pas complètement intégrée et ne possédait pas
d’agglomération, installation qui permet de fabriquer un matériau constitutif de la charge du
haut-fourneau (aggloméré) à partir des fines de minerais et de divers sous-produits de la sidérurgie riches en
Fe par mélange et par cuisson. Cependant, en 1963, une installation de préparation de charge
comprenant un atelier de concassage-criblage et une chaîne d’agglomération est créée à Saizerais
(SNAP, 1963), où seront agglomérés les minerais hématite importés ainsi que les matières ferreuses à
recycler (battitures, scories d’aciérie LD, poussières, sable de fonderie, fines de ramassage de
hauts-fourneaux, ferromanganèse), qui sont récupérées à l’usine (IRSID, 1984).
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Coke : l’usine de Pompey ne comportait pas de cokerie et le coke utilisé provenait des Houillères du
Bassin de Lorraine (IRSID, 1984). Les méthodes permettant de générer du coke sidérurgique de bonne
qualité à partir du charbon lorrain n’ayant été mises au point que dans les années 50, la sidérurgie
lorraine a fait venir la plus grande partie de son coke de la Ruhr jusqu’à cette période.
Fondants : au cours de la fabrication de la fonte, la production de laitier, qui résulte de la fusion de la
gangue du minerai, nécessite un indice de basicité (rapport CaO/SiO
2) de la gangue du minerai de 1,4.
Or le minerai de fer lorrain présente l’avantage d’avoir des couches avec une gangue tantôt plus
calcaire et tantôt plus siliceuse. Le mélange, dans des proportions appropriées, de ces deux types de
minerais permet de générer « un lit de fusion auto-fondant », auquel il n’est pas nécessaire d’ajouter
un fondant (Rogé, 1981). En revanche, pour la fabrication du ferromanganèse, des fondants calcaires
et magnésiens (castine, dolomie), voire barytiques, pouvaient être utilisés pour neutraliser la silice
présente dans les minerais de Mn et les cendres de coke et limiter les pertes de Mn dans le laitier
(Truffaut, 1989 et 2004). En particulier, de la castine (fondant calcaire) était ajoutée au haut-fourneau
lors de la fabrication de fonte au Mn.
I.2.3. Evolution du site du Ban-la-Dame
Dans la première moitié du XXème siècle, l’île a été occupée par un crassier avec plusieurs bassins de
décantation délimités par des digues. Une conduite hydraulique traversant la Moselle amenaient les
boues produites à l’usine située de l’autre côté de la rivière (Figure 3).
Figure 3 : Plan du site de Ban-la-Dame de 1943 (a) montrant les bassins de décantation et la conduite
d’amenée aux bassins traversant la Moselle (b) (échelle 1 :1000) (SNAP, 1943 - Espace Archives
ArcelorMittal (plan 514-724))
La date exacte d’arrêt de fonctionnement du bassin étudié n’est pas connue mais plusieurs indices
suggèrent que le déversement des boues aurait cessé dans les années 50. L’observation des
photographies aériennes du complexe sidérurgique prises depuis 1950 montre que le bassin ne semble
plus fonctionner en 1958 mais ne permet pas de déterminer la date exacte de son arrêt (Schwartz et al.,
2001). Ceci concorde avec le programme de modernisation de l’usine et d’augmentation des moyens
de production puisque des installations (laminoirs, traitements thermiques,…) sont mises en place, à
partir de 1957, sur le crassier nivelé du Ban-la-Dame, qui a été relié à l’usine par un pont construit
entre 1951 et 1953. De plus, des mesures prises suite à une pollution de la Moselle par le déversement
de cyanures en décembre 1946 confortent l’arrêt des bassins à ces dates. En effet, il a été diagnostiqué
(a)
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que le mauvais fonctionnement du bac de décantation destiné à l’épuration des eaux de lavage des gaz
de hauts-fourneaux et le déversement de cyanure de potassium dans la rivière dont le débit était faible
en raison de la gelée, étaient à l’origine de la pollution de la Moselle du 21/12/1946 et de la mort de
nombreux poissons (Est Républicain des 28-29/12/1946 et des 27-28/12/1947). Suite à cet incident, un
arrêté de la cour d'appel de Nancy concernant le déversement des eaux et des boues dans les bassins de
décantation des aciéries de Pompey a été pris le 28/07/1948 et un document du directeur technique de
l’usine du 10/11/1975 témoigne que cette pollution avait conduit la société à prendre des mesures
concernant l’épuration des gaz de hauts-fourneaux et la décyanuration des eaux de traitement. En
particulier, l’épuration à sec des gaz a été généralisée aux dépens de l’épuration par voie humide pour
limiter les volumes d’eaux polluées et favoriser leur traitement et le déversement de grandes quantités
de boues et d’eaux polluées dans des bassins de décantation de grandes dimensions situés à proximité
de la Meurthe a été abandonné (fonds archives ArcelorMittal - dossier 167/092 pollution Moselle).
A partir de la fin des années 80, des piézomètres ont été installés pour surveiller la qualité des eaux
souterraines en amont et en aval du crassier (annexe 3-2).
Dans le document
Formation, fonctionnement et évolution d'un Technosol sur des boues sidérurgiques
(Page 48-51)