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La méthode d’analyse des données 121

Dans la démarche d’analyse choisie, les étapes de cueillette de données et d’analyse sont appelées à se chevaucher. Les frontières entre chacune des étapes demeurent perméables tout au long du projet. Mettre sur papier les discours issus de la cueillette de données engage d’emblée dans une « lecture flottante » (Bardin:1998) amenant à « prendre contact » avec le contenu. L’analyse, bien qu’embryonnaire, émerge et à cet égard, Bardin soutient que le chercheur s’installe dans une « préanalyse » (Bardin:1998). Celle-ci devient de plus en plus approfondie dans une exploitation plus soutenue du matériel et un traitement systématique des informations. Or, à même la collecte de données, le processus analytique s’installe.

Pour Deslauriers et Kerésit, l’objectif principal de l’analyse est de « trouver un sens aux données recueillies » (dans Poupart et al.:1997:98). Dans ce projet, il s’agit de donner un sens à l’action, qui passe par la description des données et leur interprétation, une interprétation « qui est donc, pour l’essentiel, une proposition de compréhension, c’est-à-dire la présentation d’une manière de mettre ensemble les éléments d’un monde observé […] » (Paillé:2006:117). Cette « vérité » annoncée, à travers d’autres possibles, doit être « située » dans un contexte donné avec des participants singuliers qui développent une dynamique d’échanges particulière. Il faut aussi mettre en lumière que la posture personnelle du chercheur peut influer sur la construction (ou plutôt la co-construction) de cette « vérité ». Santiago parle pour sa part de « transformateur » ou de « participant activement engagé » pour discuter de cette posture du chercheur (Santiago dans Paillé:2006:216). Ses propos sont appuyés par Paillé, pour qui la posture tient lieu de toile de

fond de l’interprétation. Cette interprétation contextualisée n’empêche toutefois pas la transversalité et la transposition possible des réflexions issues de l’analyse de données. Or, il faut garder en tête, comme le soutient Poupart, que le sens donné par l’acteur à sa réalité ne se discute pas. Il revient au chercheur de dépasser cette perspective afin de relever les significations et les pistes d’interprétation (notes de cours :SHA 7040:2008). C’est donc en tout respect, non pas dans un sens de neutralité mais bien dans celui « d’objectivation », que l’analyse des données est appréhendée. Elle s’inscrit dans un objectif de développement de « connaissances praxéologiques » (Groulx dans Poupart:1998) basées sur les savoirs expérientiels des professionnels qui sont saisis à même leurs discours.

Cette analyse relève d’une tâche ardue, qui demande rigueur et précision et qui peut paraître insurmontable lorsque le chercheur est confronté à des centaines de pages de transcriptions de groupes de discussion et d’entretiens individuels, de matériel vidéo et de notes de rencontre. Par où commencer et surtout quoi chercher ? Paillé décrit très bien ce qui peut être vécu :

« La situation où un chercheur se retrouve face à une profusion de notes de terrain et de verbatims d’entretien avec l’intention d’en faire du sens a toujours quelque chose d’impressionnant. Dans une enquête de terrain qualitative, les matériaux de recherche qu’amasse un chercheur sont très souvent abondants ». Le chercheur a donc « […] pour mission de procéder à son analyse avec rigueur et réflexivité, d’une manière qui soit à la fois systématique et souple, selon une logique qui sera réfléchie et dont on pourra présenter les opérations, les raisonnements et les règles de décision » (Paillé et Mucchelli:2008:5).

L’analyse choisie pour la recherche est une analyse de contenu. Le contenu est principalement obtenu par la transcription des entretiens de groupe et individuels : le contenu vidéo ainsi que les notes d’entretiens apparaissent, tel que l’entend Duchesne et Haegel, comme de l’information contextuelle et illustrative (Duchesne et Haegel:2009:78). L’analyse de contenu choisie s’inspire des axes développés par Van der Maren (2010) quant à l’analyse des données issues de groupes de discussion. D’abord une analyse horizontale, ayant pour but de dégager les éléments pertinents et éclairants de chacun des discours : en cohérence avec l’utilisation du cadre de délibération éthique de Bossé, Morin et Dallaire (2006), les quatre perspectives qui y participent servent de

guide à la « classification » du matériel. Cela permet un premier « déblayage » et une organisation préliminaire des données. Ensuite, une analyse verticale, qui permet de dégager des interactions et des inter-influences au sein des groupes de discussion. Plus que le discours lui- même, c’est la richesse du croisement des différents discours qui prend l’avant-scène. L’exercice nécessite donc de « suivre » le déroulement de chacune des discussions pour en dégager les changements de cap, les retours en arrière, les avancées déclenchées par la mise en mots d’un ou de plusieurs participants ou encore les divergences de points de vue. Finalement une analyse transversale, la plus complexe, où l’exercice amène à mettre en lumière les « noyaux de sens » (Bardin:2007) et à dégager des logiques derrière les discours : en fait, à construire des logiques d’action à partir de la déconstruction des « pièces » de la prise de décision. L’image du « mécano » (Bardin:2007) refait surface : chacune des pièces doit être assemblée aux autres, pour que ces dernières forment un tout, dans l’objectif d’un résultat cohérence et signifiant. « […] Démonter le mécanisme, expliquer le fonctionnement et… retrouver les mêmes rouages ou le même moteur, quelles que soient la forme de l’horloge ou la couleur de la carrosserie » (Bardin:2007:277) : dans le cas de la protection de l’enfance, peu importe la décision prise. Ces propos rejoignent ceux de Landry, pour qui le but de l’analyse de contenu est de produire des inférences valides à partir des données analysées (Landry dans Gauthier:1995).

Le champ est libre dans cette analyse de données pour le discours des professionnels. Tel que le précise Van der Maren, analyser les données ce n’est pas chercher les extraits de discours qui illustrent la théorie, mais bien déterminer quels concepts théoriques correspondent le mieux aux discours recueillis (Van der Maren:2010). En ce sens, il y a un aller-retour constant entre le contenu des discours et la littérature pouvant l’éclairer. Le défi demeure de restituer, de la manière la plus fiable, les discours issus de la cueillette de données. L’écriture devient alors un point tournant. Cette écriture se veut analytique, se situant, comme l’entendent Paillé et Muchelli, à une certaine distance du corpus analysé et dépassant la stricte description (Paillé et Muchelli:2008). En réponse à la question de recherche, l’écriture reflète l’analyse de constats, suivis de tentatives d’interprétation (Paillé et Muchelli:2008). De ces tentatives d’interprétation émergent « […] une volonté de faire surgir le sens, de donner à voir ce qui peut être vu, de débusquer le non-dit ou l’implicite, de rapprocher ou d’opposer des logiques, de retracer des lignes de force » (Paillé et Muchelli:2008:129). Car tel que l’énoncent Duchesne et Haegel,

« […] il importe donc, au moment d’analyser des entretiens collectifs, de prendre le temps de confronter les traces que l’on a de la discussion, de comprendre ce qui s’y passe car le plus souvent, le sens n’est pas donné. Cette exigence d’interprétation se glisse dans les moindre détails » (Duchesne et Haegel:2009:91).