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Les groupes de discussion comme principale source de données 116

Pourquoi le choix des groupes de discussion comme principale source de données ? Pour Geoffrion, le groupe de discussion se prête à l’analyse d’une vaste gamme de problèmes. Il facilite la compréhension du comportement et des attitudes d’un groupe cible et permet une

compréhension plus approfondie des réponses fournies (Geoffrion dans Gauthier:1995). Pour l’auteur, il est souvent plus important, en recherche, de comprendre les motifs d’une réponse que d’obtenir la réponse elle-même. La flexibilité possible à l’intérieur des groupes de discussion, permettant aux participants de réfléchir en cours de discussion par le biais des interventions de chacun, amène la création d’une dynamique de groupe d’où peuvent résulter des contenus riches. « Les groupes de discussion permettent de comprendre les sentiments des participants, leur façon de penser et d’agir, et comment ils perçoivent un problème, l’analysent, en discutent » (Geoffrion dans Gauthier:1996: 315-316).

L’utilisation du cadre de délibération éthique mène vers cette voie. Pour Guillemette, les entretiens de groupe sont d’ailleurs un « ancrage participatif visant à créer un espace de délibération » (Guillemette et al.:2010:2). Pour créer un espace délibératif suffisamment riche, un noyau de participants de 6 à 8 personnes est approprié : cela permet à la fois d’enrichir la discussion mais aussi d’accorder à chacun un espace de dialogue intéressant et non contraignant, tel qu’il serait possible de le voir dans un groupe plus volumineux.

Les participants de la recherche sont invités à se pencher sur une étude de cas précise, une situation inspirée de celles rencontrées fréquemment, qui est fictive mais réaliste, servant de déclencheur à la discussion sur la prise de décision et la gestion des risques. Chaque participant reçoit la mise en situation une semaine avant le groupe de discussion. Volontairement incomplète pour susciter les questionnements et ainsi amener à décortiquer les processus et logiques mis en oeuvre par les professionnels, la situation réfère à la quotidienneté et non à la singularité. Il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel, mais d’une situation rencontrée régulièrement (voir annexe 3).

La mise en situation constitue le point de départ à la discussion et facilite l’arrimage entre les réflexions de chacun. Bien que tous les participants maintiennent leur unicité par rapport à la réflexion, l’étude de cas permet des assises et une base de discussions communes. À l’aide d’une grille de questions souples mais déterminées et identiques pour chaque groupe de discussion (voir annexe 4), les participants sont invités à réagir, à émettre des hypothèses, à faire des réflexions afin d’en arriver à des pistes de solution. Par la discussion, se construisent des échanges qui

permettent à chacun de tirer profit des idées des autres. De fait, un climat de dialogue, de conversation et d’échange est privilégié, influencé par les principes de la délibération éthique.

Contrairement à plusieurs finalités d’application de certaines éthiques de la discussion ou encore de cadres de délibération éthique, l’objectif de la collecte de données n’est pas d’en arriver à un consensus : il n’y a donc pas de directives de convergence sur une solution commune. L’idée est plutôt de permettre, à l’intérieur du contexte d’échange produit, l’enrichissement de chacun par le point de vue commun, différent ou même dissident des autres. Van der Maren mentionne d’ailleurs deux objectifs à la collecte d’informations dans un cadre de groupes de discussion : comprendre, par le discours des participants, et faire prendre conscience, par les échanges réalisés (Van der Maren:2010). En ce sens, les groupes de discussion « […] sont à même de restituer toute la complexité des interactions sociales » (Touré dans Guillemette et al.:2010:5). Cela colle parfaitement à l’esprit de la mise en œuvre des groupes de discussion : permettre de comprendre la construction des logiques de décision au regard de la gestion des risques, et déclencher des prises de conscience chez les participants, à l’aide d’échanges collectifs et « délibérants ». Prises de conscience qui, lorsque énoncées, amènent à une meilleure compréhension de la construction des logiques d’action. Ancrés dans un paradigme interprétatif selon Touré, les groupes de discussion se prêtent bien aux recherches exploratoires de type délibératif, permettant de « générer des hypothèses sur des sujets peu explorés et jauger leur transférabilité à d’autres contextes » (Touré dans Guillemette et al.:2010:11). Pour l’auteur, un modèle inductif, dans la réalisation de groupes de discussion, porte principalement à analyser les données dans « […] une perspective de théorisation d’un phénomène » (Touré dans Guillemette et al.:2010:11).

Les groupes de discussion, comme tout choix méthodologique, comportent des forces et des limites. Baribeau présente ces dernières comme reproduit dans le tableau II. Les plus grands avantages des groupes de discussion résident dans l’économie de temps pour un accès à plusieurs participants. Pour cette recherche, il s’agit d’un aspect important compte tenu de la rareté du temps pour les professionnels. De même, les groupes encouragent l’expression et permettent de dégager les représentations des participants à travers un partage d’idée. Ces forces surpassent,

dans ce projet, les limites. En fait, les limites majeures associées aux groupes de discussion relèvent en partie de la capacité d’animation de l’animateur.

Tableau II : Forces et limites de l’entretien de groupe (Baribeau:2010)

Forces Limites

• Accès à un grand nombre de sujets • Dynamique des échanges

• Économie de temps

• Encourage l’expression sur des sujets « sensibles »

• Permet de faire émerger des représentations sociales

• Identifier les consensus et les désaccords rapidement

• Partage d’idées et nuances

• Permet d’ouvrir à d’autres questions et de recentrer les propos pour la suite des autres sessions

• Sélection des sujets

• À la limite, l’échantillon est biaisé • Difficile de suivre la discussion à plusieurs

pour l’animateur

• Importance des normes sociales ; les participants s’influencent mutuellement (effet boule de neige) provoquant une certaine conformité

• Les participants ont le contrôle de la discussion • Certains ne s’expriment pas, d’autres

monopolisent la parole

• Subjectivité débridée peut souvent être observée

• Temps est assez limité pour approfondir • Les données peuvent être contaminées par le

chercheur ou par le décideur

La qualité et la rigueur de l’animation des groupes de discussion sont primordiales et délicates à la fois. Tel que le supporte Geoffrion, « le rôle de l’animateur est de présenter les sujets de discussion et les questions. Les participants sont ensuite entièrement libres de formuler leurs réponses et commentaires à leur gré. […] Cette flexibilité, contrôlée par l’animateur, génère une richesse de données » (Geoffrion dans Gauthier:1995:312). Les défis sont grands quant à une animation efficace qui permet l’obtention de données riches. D’abord, dans l’adoption d’une posture neutre qui n’oriente pas la discussion : les questions doivent être claires mais non incitatives. Ensuite, dans la coordination des droits de parole afin que chacun puisse avoir un espace d’expression mais aussi dans la sollicitation des participants qui sont moins loquaces et ce, en alliant douceur et fermeté. Les participants étant libres d’intervenir au moment voulu, cela suppose des interventions de relance ou de freinage afin d’assurer un tour de parole équilibré. Pour réaliser ce travail, il est essentiel d’avoir en tête les attendus recherchés à travers les groupes afin de ramener le focus sur ce qui est privilégié, tout en ne se coupant pas de perspectives nouvelles et impensées jusqu’alors. Tel que l’entend Paillé, la collecte de données repose en partie sur le chercheur : « […] il s’en suit que son habileté de chercheur (interviewer, observateur, interprète) joue pour beaucoup dans la qualité de sa recherche » (Paillé dans

Dorvil:2007:419). La vigilance s’impose donc quant à la mise en œuvre des groupes de discussion et du rôle qu’y joue le chercheur.